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du fœtus par des applications réitérées de forceps, auxquelles M. Devilliers attribue la mort de l'enfant.

L'ampoule dilatatrice de M. Daudé a été insuffisante dans l'observation qui précède. Cependant l'idée qui a présidé à sa construction est excellente, en raison même de sa simplicité.

L'instrument de M. Lépine père, outre sa simplicité et sa facilité de construction, est aisé à introduire dans la cavité du col de l'utérus, où la sonde le dirige sans crainte de lésion. Il n'exige ni mandrin ni tige particulière. La saillie légère que produit l'attache de la vessie de caoutchouc (ballon d'enfant) suffit pour indiquer d'une manière précisé à quelle profondeur on introduit l'instrument. Le ballon peut acquérir le volume d'une tête de fœtus de quatre à cinq mois. Les contractions de l'utérus sont attendues; lorsqu'elles arrivent, elles chassent alors, après un séjour d'une durée variable, l'instrument hors de l'organe.

La sonde se ramollissant, ne peut occasionner d'accidents.

M. le rapporteur propose d'adresser des remercîments à MM. les docteurs Daudé, Lépine père et Moyne, et de déposer leur travail et leurs instruments dans les archives de l'Académic.

M. DEPAUL pense que les appréciations du rapporteur semblent vraiment trop favorables à la méthode de dilatation du col de l'utérus avec les dilatateurs mécaniques.

On exagère singulièrement leurs avantages; l'éponge préparée suffisait autrefois. Elle a toujours suffi à M. Depaul.

Il s'élève contre ces ampoules d'une grosseur monstrueuse; une ampoule du volume d'une tête de fœtus de quatre mois est énorme. Elle peut décoller le placenta, causer des hémorrhagies inquiétantes, funestes même. On peut tuer l'enfant. L'instrument auquel le rapporteur donne sa confiance est dangereux.

Les autres moyens n'offrent pas ces dangers, les injections vaginales suffisent dans un bon nombre de cas; une simple sonde introduite dans le col à la manière de M. Simpson, procure la dilatation aussi bien que les dilatateurs dont on a fait grand bruit. Avec tous les anciens procédés, on arrive à provoquer l'accouchement.

Le but à poursuivre n'est pas la brusque dilatation du col, on pourrait obtenir celle-ci avec des dilatateurs à main, mais cela n'est pas nécessaire. Il faut arriver seulement à dilater un peu le col, et surtout à provoquer les contractions utérines;

il faut aller doucement, imiter la nature.

A un autre point de vue, il est bon de dire que la priorité d'invention des dilatateurs à ampoule élastique appartient à un accoucheur anglais, M. Barnes, qui depuis longtemps les met en usage, et qui a même réclamé en faveur de ses droits.

M. DEVILLIERS. Les dilatateurs ne sont pas jugés; nous en sommes encore à la période d'essai.

M. LE PRÉSIDENT, après avoir invité M. Devilliers à modifier, en les atténuant, les réflexions favorables de son rapport, met aux voix les conclusions du rapport, qui sont adoptées.

FIÈVRE JAUNE. M. POISEUILLE reprend les faits exposés dans le rapport de M. Mêlier.

M. LE PRÉSIDENT fait observer que M. Poiseuille analyse le rapport de M. Mêlier sans argumenter.

M. POISEUILLE. Le bois du navire est hygrométrique; il absorbe de l'eau chargée de miasmes et des vapeurs chargées d'air vicié. La fonction hygrométrique du bois des navires, déjà connue de Saussure, varie avec la température extérieure, la vitesse des courants d'air le jour et la nuit. L'orateur rapproche les faits d'absorption des miasmes par le bois, des expériences d'absorption et d'endosmose et exosmose à travers le bouchon de flacons pleins de gaz acide carbonique. Il en tire cette autre conclusion, que le gaz contenu s'échappe du vase, d'où indication d'introduire dans le navire, autour des parois de la cale, un appareil ventilateur très-puissant.

M. Poiseuille a proposé autrefois un système de ventilation pour la cale des navires. Des tuyaux parcouraient cette partie du vaisseau dans tous les sens et y distribuaient l'air; mais pour obtenir un courant, il fallait avoir recours à un appareil de chauffage constaniment allumé, et qui était placé sur le pont, exposé à toutes les intempéries, et par conséquent difficile à entretenir.

Un autre appareil plus moderne, dû à l'intelligence d'un simple ouvrier zingueur, M. Nouailher, mérite une attention toute particulière, et son application à la ventilation des bâtiments serait très-heureuse, d'abord parce qu'il fonctionne sans difficulté, et grâce seulement à l'influence du vent, ensuite, parce qu'il est peu dispendieux.

Suit une courte description de cet appareil.

Ce ventilateur d'un nouveau genre a déjà été essayé; on a pu le voir fonctionner dans des usines où les ouvriers

travaillant à une température de 50 à 55 degrés centigrades éprouvent un soulagement énorme par ce système d'aération.

Une seule objection peut être faite. Dans le cas où il n'y aurait pas de vent, que deviendrait l'appareil? M. Van Hecke a imaginé un autre appareil aspirateur et souffleur que l'on peut annexer aux tuyaux propulseur et aspirateur de M. Nouailher pour suppléer à l'action du vent.

Une grande facilité d'application, le prix modique de cet appareil, font un devoir d'imposer presque ce mode d'aération pour la cale des navires.

Séance du 14 juillet.

OPHTHALMIE D'ÉGYPTE. M. le docteur JOSAT lit un travail sur ce sujet.

Des considérations sur les conditions atmosphériques, l'air chargé de vapeurs salées, la poussière, le simoun, expliquent d'abord l'endémicité de l'ophthalmie en Égypte. L'histoire apprend aussi que toutes les armées envahissant ce pays ont subi des épidémies. Il résulte de la comparaison du séjour des armées dans les autres pays, que c'est bien le climat d'Égypte qui engendre l'ophthalmie des armées.

L'ophthalmie égyptienne ou ophthalmie belge, est-elle contagieuse ou ne l'est-elle pas? La question n'est pas absolument résolue, la contagion directe est prouvée dans beaucoup de cas.

Comme côté pratique, on voit que, les malades dispersés, il n'y a pas eu augmentation de l'épidémie. Cela indique ce qu'il y a à faire dès que l'ophthalmic se développe dans les corps d'armée.

M. Josat résume son mémoire, et formule la conclusion qui suit :

L'ophthalmie des armées procède de l'ophthalmie égyptienne; elle s'est fixée en Belgique, et elle s'établit d'une manière permanente dans les milieux où existent des conditions d'encombrement et de malpropreté.

DURÉE MOYENNE DE LA GROSSESSE. M. MATTEI lit un mémoire sur la durée moyenne de la grossesse chez la femme et sur les meilleures indications pour tâcher de déterminer d'avance le moment de l'accouchement.

Voici les conclusions du mémoire: 1o La grossesse dans l'espèce humaine a une durée moyenne qui constitue la règle ou loi de la nature, et des extrêmes qui constituent des exceptions. Ces dernières donnent les naissances hâtives ou tardives.

2o Les chiffres de 280 jours, de 10 mois Junaires ou de 7 quarantaines donnés par

Hippocrate; ces chiffres étaient considérés par lui non comme une moyenne, mais comme la limite extrême de la grossesse, ce qui n'est pas exact, car il est prouvé désormais que dans quelques cas, rares, est vrai, ce terme peut être dépassé.

il

3o Le chiffre de 9 mois solaires ou de 270 jours, et qui ne se trouve pas dans les livres hippocratiques; ce chiffre, quoique plus rapproché de la moyenne, est encore un peu trop élevé.

4° Mon observation personnelle, et surtout les faits consignés dans les deux premiers volumes de ma Clinique obstétricale, m'autorisent à dire que la moyenne de la grossesse est environ de 265 jours chez la femme.

5o Le jour de la fécondation étant ordinairement inconnu, on peut dater cette fécondation d'après la dernière apparition des règles, et la durée de la grossesse peut être calculée d'après le nombre des menstruations qui manquent; en effet, la congestion utérine continue chaque mois, quand même il n'y a pas de sang perdu, et c'est ordinairement à une époque cataméniale que le produit est expulsé.

6o Le moment le plus habituel de l'arrivée de l'accouchement, et qu'on peut indiquer d'avance, est la neuvième époque cataméniale après la fécondation. On peut compter ces époques tous les trente jours ou par mois solaires, quand même les règles ne suivraient pas cette période à l'état de vacuité chez le sujet qu'on ob

serve.

7o Les exceptions à cette règle existent. Elles peuvent dépendre de l'époque tardive de la fécondation, du défaut de développement fœtal ou du défaut de préparation du segment inférieur de l'utérus et du col; mais par l'examen direct des parties, on peut connaître d'avance ces exceptions.

8o Cette manière de compter est à la fois plus expéditive et plus exacte que les méthodes anglaise, allemande, polonaise et française. Rien n'empêche cependant d'employer simultanément ces diverses méthodes et de les contrôler les unes par les autres. (Commission d'accouchement.)

MUSC ET ACETATE D'AMMONIAQUE DANS LA PNEUMONIE. M. DELIOUX DE SAVIGNAC lit un mémoire sur l'emploi du muse et de l'acétate d'ammoniaque dans les pneumonies graves, pneumonies typhoïdes et pneumonies avec délire. L'esprit de Mindererus, contenant de l'acétate d'ammoniaque impur, était autrefois administré dans les états typhiques.

M. Delioux donne ce sel, à l'état de pureté, à la dose de 20 grammes et même

de 60 grammes dans une potion édulcorée avec du sirop de Tolu ou un autre sirop.

L'acétate d'ammoniaque a été à tort placé parmi les médicaments contro-stimulants par Giacomini et son école. L'auteur eroit ce sel sédatif et anti-ataxique; il ralentit le cours du sang: c'est un tempé

rant.

seul, M. Delioux a pu guérir uu bon nombre de pneumonies avec délire. (Commissaires MM. Michel Lévy, Barth et Grisolle.)

A quatre heures et demie l'Académie se forme en comité secret pour entendre la lecture du rapport sur les candidats à la place vacante dans la section de médecine

Par l'emploi de l'acétate d'ammoniaque vétérinaire.

VI. VARIÉTÉS.

Exposé du diagnostic de la rage sur les animaux de l'espèce canine; lu à l'Académie de médecine de Paris, dans sa séance du 9 juin, par M. H. BOULEY. (Suite. Voir notre cahier de juillet, p. 90).

Une particularité très-curieuse de l'état rabique, et qui peut avoir une trèsgrande importance au point de vue diagnostique, c'est que l'animal est muet sous la douleur. Quelles que soient les souffrances qu'on lui fait endurer, il ne fait entendre ni le sifflement nasal, première expression de la plainte du chien, ni le cri aigu par lequel il traduit les douleurs les plus vives.

Frappé, piqué, blessé, brùlé même, le chien enragé reste muet; non pas qu'il soit insensible. Non, il cherche à éviter les coups: quand on a allumé sous lui la litière de sa niche, il s'échappe du foyer, et se tapit dans un coin pour se soustraire aux atteintes de la flamme. Lorsqu'on lui présente une barre de fer rouge, et que, emporté par la rage, il se jette sur elle furieux et la mord, il recule immédiatement après l'avoir, saisie; le fer rouge appliqué sur ses pattes le fait fuir de même. Il est évident que dans ces diverses circonstances, l'animal souffre; l'expression de sa figure le dit: mais, malgré tout, il ne fait entendre ni cri, ni gémissement.

Toutefois, si la sensibilité n'est pas éteinte chez le chien enragé, comme en témoignent les résultats des expériences qui viennent d'être rapportées, elle doit ètre moindre que dans l'état physiologique. Ainsi, quand on jette sous lui de l'étoupe enflammée, ce n'est pas immédiatement qu'il se déplace; il y met du temps, c'est le cas de le dire, et quand il se décide enfin à s'échapper, déjà le feu lui a fait de profondes atteintes. Certains sujets, mais ceux-là font exception, ne lâchent pas la barre de fer rouge qu'ils ont saisie avec leur gueule.

Ces faits autorisent à admettre que les chiens frappés de la rage ne perçoivent pas les sensations douloureuses au même degré que dans l'état normal, et c'est ce qui explique comment il peut arriver qu'ils assouvissent leur fureur jusque sur euxmêmes. Nous avons raconté, dans le Recueil de médecine vétérinaire, l'histoire d'un chien épagneul appartenant à M. le comte Demidoff, qui, dans un accès de rage, se rongea la queue avec ses dents et finit par se la détacher du trone. Dans d'autres cas, les malades s'écorchent seulement la peau jusqu'au vif, et les plaies qui résultent de leurs mordillements répétés ressemblent, à s'y tromper, à ces dartres vives, qu'il est si commun d'observer chez les chiens. Là se trouve une cause possible d'erreur de diagnostic contre laquelle on ne saurait trop se tenir en garde.

La conclusion à tirer de ce dernier paragraphe, c'est qu'il y a lieu de se méfier du chien qui ne se montre pas sensible à la douleur, dans la mesure qu'on sait lui être particulière, et qu'il faut s'en défier aussi quand il porte sur le corps des écorchures à vif qui ont apparu sondainement.

Ces prescriptions paraitront peut-être bien rigoureuses à la plupart de ceux qui m'entendent; mais, en pareille matière, l'excès de la prudence n'est que trop justifié.

Quelques mots sculement sur ce point, et vous allez comprendre, Messieurs, combien la règle de conduite que nous venons de formuler peut être salutaire. Il arrive souvent que les personnes qui conduisent aux vétérinaires des animaux enragés leur donnent des renseignements comme ceuxei. « Mon chien est triste depuis un jour ou deux, et, chose tout à fait inhabituelle chez lui, il m'a montré les dents; je l'ai châtié avec le fouet ou la cravache, et quoique, de sa nature, il soit très-plaintif ou criard, il a reçu les coups sans pousser un seul cri. »

Un fait comme celui-là n'a, on le concoit, aucune importance pour qui en ignore la valeur; mais pour ceux qui savent, voyez tout ce qu'il dit et quels malheurs pourraient être évités si, à l'instant, qu'il se produit, la lumière se faisait dans l'esprit de celui qui en est le spectateur.

J'en dirai autant du rongement obstiné de l'animal par lui-même, dans des lieux déterminés. On l'attribue naturellement à des démangeaisons simples, et ce peut en être, il est vrai, l'unique cause. Mais l'expérience enseigne que ce symptôme peut avoir une signification bien autrement retoutable: témoin le chien de M. le comte Demidoff.

La prudence veut donc que, quand il se produit, on ne le traite pas comme une chose légère, mais que, au contraire, on prenne des mesures comme s'il était gros de conséquences dangereuses.

L'état rabique se caractérise encore par une particularité extrêmement curieuse et d'une importance principale, sous le rapport du diagnostic: nous voulons parler de l'impression qu'exerce, sur un chien affecté de la rage, la vue d'un animal de son espèce. Cette impression est tellement puissante, elle est si efficace à donner lieu immédiatement à la manifestation d'un accès, qu'il est vrai de dire que le chien est le réactif sùr, à l'aide duquel on peut déceler la rage encore latente dans l'animal qui la couve.

Tous les jours, à l'École, nous nous servons de ce moyen pour dissiper les doutes, dans les cas où le diagnostic peut demeurer incertain, et il est bien rare qu'il nous laisse en défaut. Dès que le chien, soupçonné malade, se trouve en présence d'un sujet de son espèce, il tend à se jeter sur lui, si sa maladie est réellement la rage, et, s'il peut l'atteindre, il le mord avec fureur.

Et, chose étrange, Messieurs, tous les animaux enragés, à quelque espèce qu'ils appartiennent, subissent la même impression en présence du chien. Tous, en le voyant, s'excitent, s'exaspèrent, entrent en fureur, se lancent sur lui et l'attaquent avec leurs armes naturelles; le cheval avec ses pieds et ses dents, le taureau avec ses cornes; de même le bélier. Il n'y a pas jusqu'au mouton qui ne dépouille, Sous l'empire de la rage, sa pusillanimité native, et qui, loin de ressentir de l'effroi à la vue du chien, ne lui en inspire, au contraire, et, fondant sur lui tête baissée, ne l'oblige à fuir devant ses attaques.

Voilà, sans doute, Messieurs, quelque chose de bien extraordinaire; mais voici

qui l'est davantage encore. Le chien perdrait, semble-t-il, la singulière propriété qu'il possède de mettre en jeu l'excitabilité des animaux enragés, lorsque la maladie dont ceux-ci sont atteints n'est pas de provenance canine. Un cheval, auquel M. Renault avait inoculé la rage du mouton, contracta cette maladie sous sa forme la plus furieuse, car il se déchirait à lui-même la peau des avant-bras à coups de dents. Eh bien! Messieurs, la vue d'un chien ne produisit sur cet animal aucune excitation; celui qu'on lui jeta dans sa mangeoire fut épargné; il le repoussa du bout de sa tête, sans lui faire aucun mal. Mais quand on lui présenta un mouton, il entra à l'instant même dans un accès de fureur terrible, et la pauvre bête saisie par lui fut à l'instant même broyée sous ses dents.

Mais ce fait n'est peut-être qu'une exception; et à supposer qu'il soit l'expression d'une loi, et que les faits à venir démontrent que les animaux qui ont contracté la rage par inoculation sont surtout impressionnés par la vue d'un animal de la même espèce que celui sur lequel le virus a été puisé, il ne sera pas commun de voir se reproduire le phénomène que nous venons de relater, parce que rien n'est rare comme la transmission de la rage des herbivores.

Dans le plus grand nombre des cas, ce sont donc les sujets de l'espèce canine qui mettent en jeu l'excitabilité des animaux atteints de la rage.

Vous devez comprendre, Messieurs, qu'elle est l'importance de la connaissance de ce fait, et combien l'enseignement qui en ressort pourrait être utile si les propriétaires, éclairés sur sa signification, étaient mis à même d'en profiter. Tous les jours, en effet, en interrogeant des personnes qui nous conduisent des chiens enragés, nous acquérons la preuve que, avant de diriger leurs atteintes contre l'homme, ces chiens se sont montrés très-excitables à la vue d'un animal de leur espèce. « Chose singulière, nous dit-on, mon chien, d'un naturel très-pacifique, est devenu, depuis deux ou trois jours, très-agressif pour les autres chiens; dès qu'il en voyait un, il lui courait sus. »

Et cependant, Messieurs, la plupart du temps, cette particularité si significative n'éveille pas l'attention de celui qui l'observe et ne fait naître dans son esprit aucun soupçon; et cela parce que, vis-à-vis du maitre et du familier de la maison, rien n'est encore changé dans le caractère de ce chien que la vue d'un animal de son

espèce irrite et rend exceptionnellement hargneux.

Permettez-moi, Messieurs, de rapporter ici une anecdote quí, mieux que les commentaires, fera ressortir l'importance diagnostique de la particularité curieuse sur laquelle nous venons d'appeler l'attention. Il y a une vingtaine d'années, une personne conduisit à Alfort, dans un cabriolet de place à deux roues, un fort joli chien de chasse, qui fut placé, non muselé, dans le fond de la voiture, c'est-à-dire sous les jambes de son maître et du cocher. Pendant tout le trajet, et malgré l'excitation que pouvait lui causer la présence d'une personne qui lui était étrangère, ce chien resta inoffensif. La voiture entra dans l'École, jusqu'à la cour des hôpitaux, et là le propriétaire du chien le prit dans ses bras et le porta dans mon cabinet, où je me rendis. Il me donna pour renseignement que, depuis deux jours, cet animal était triste et refusait de manger. N'étant pas alors en garde, comme je le suis aujourd'hui, contre la rage et ses modes insidieux de manifestation, je plaçai ce chien sur mes genoux pour examiner de plus près. J'étais en train de soulever les lèvres pour me rendre compte de la coloration des muqueuses, lorsqu'un caniche qui m'appartenait entra dans mon cabinet. Dès qu'il l'aperçut, le chien que j'examinais m'échappa des mains sans essayer de me mordre, et se rua sur le caniche, qui parvint à l'éviter sans essuyer de dommages. Ce mouvement inattendu et tout à fait inhabituel au caractère de cet animal, d'après ce que me dit son maître, fut pour moi un trait de lumière. Je soupçonnai la rage. Le chien fut immédiatement séquestré, et, trois jours après, il succombait à cette maladie.

Rien de plus suspect donc qu'un chien qui, contrairement à ses habitudes et aux inspirations de son naturel, se montre tout à coup agressif pour les animaux de son espèce. De pareilles manifestations sont très-significatives, et, si l'on sait les comprendre, on peut mettre les siens, les autres et soi-même à l'abri des désastres que peut causer la maladie dont ces signes sont des précurseurs infaillibles.

-Autre particularité dont la connaissance importe beaucoup au public et pourrait prévenir bien des malheurs.

Il arrive très-souvent que le chien qui ressent les premières atteintes de la rage s'échappe de la maison et disparaît. On dirait qu'il a comme la conscience du mal qu'il peut faire, et que, pour éviter d'être nuisible, il fuit ceux auxquels il est atta

ché. Quoi qu'il en soit de cette interprétation, toujours est-il que, très-souvent, it abandonne ses maîtres, et qu'on ne le revoit plus, soit qu'il aille mourir dans quelque endroit retiré, soit, ce qui est le plus ordinaire, dans les localités populeuses, que, reconnu pour ce qu'il est aux sévices qu'il commet sur les hommes et sur les bêtes, il trouve la mort en route.

Mais dans quelques cas, trop nombreux encore, le malheureux animal, après avoir erré un jour ou deux et échappé aux poursuites, revient obéissant à une attraction fatale vers la maison de ses maîtres. C'est dans ces circonstances surtout que les malheurs arrivent. Et, en effet, au retour du pauvre égaré, on s'empresse vers lui; le premier mouvement est de le secourir, car, la plupart du temps, il est misérable à l'excès, réduit à rien, couvert de boue et de sang. Mais malheur à qui l'approche! A la période où il en est de sa maladie, la propension à mordre est devenue chez lui impérieuse; elle domine le sentiment affectueux, si vivace qu'il soit encore, et trop souvent elle le porte à répondre par des morsures aux caresses qu'on lui fait, aux soins qu'on veut lui donner.

Il y a donc lieu, encore ici, de tenir tout au moins pour suspect le chien qui, après avoir quitté pendant un jour ou deux le toit domestique, y revient, surtout s'il est dans l'état de misère dont nous venons d'essayer de donner un aperçu.

Tels sont, Messieurs, successivement énumérés, les symptômes, les signes, les particularités qui signalent l'état rabique chez le chien. On peut voir, d'après cet exposé, que la rage canine n'est pas une maladie caractérisée par un état de fureur continuelle, telle qu'on le conçoit généralement dans le vulgaire, qui ne croit à son existence et ne la juge que par les manifestations de sa dernière période.

Mais avant que les manifestations se produisent, avant que le chien enragé se montre tout à fait furieux et exprime sa fureur par des morsures, un assez long délai s'écoule pendant lequel l'animal demeure inoffensif, bien que déjà sa maladie soit nettement déclarée.

Voilà la vérité que nous voudrions mettre en relief, parce que si le public s'en pénétrait bien, s'il savait se rendre compte de la valeur des premiers symptômes de l'état rabique, la plupart des chiens pourraient être séquestrés avant qu'ils aient cu le temps de faire des malheurs.

(La fin au prochain No.)

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