Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

LETTRE

A M. DE LAMARTINE.

Lorsque le grand Byron allait quitter Ravenne,
Et chercher sur les mers quelque plage lointaine
Où finir en héros son immortel ennui;
Comme il était assis aux pieds de sa maîtresse,
Pâle, et déjà tourné du côté de la Grèce,
Celle qu'il appelait alors sa Guiccioli

Ouvrit un soir un livre où l'on parlait de lui.

Avez-vous de ce temps conservé la mémoire,
Lamartine, et ces vers au prince des proscrits,
Vous souvient-il encor qui les avait écrits?
Vous étiez jeune alors, vous, notre chère gloire.
Vous veniez d'essayer pour la première fois
Ce beau luth éploré qui vibre sous vos doigts.
La Muse que le ciel vous avait fiancée
Sur votre front rêveur cherchait votre pensée,
Vierge craintive encore, amante des lauriers.
Vous ne connaissiez pas, noble fils de la France,
Vous ne connaissiez pas, sinon par sa souffrance,
Ce sublime orgueilleux à qui vous écriviez.

De quel droit osiez-vous l'aborder et le plaindre?
Quel aigle, Ganymede, à ce dieu vous portait?
Pressentiez-vous qu'un jour vous le pourriez atteindre,
Celui qui de si haut alors vous écoutait?

Non, vous aviez vingt ans, et le cœur vous battait.
Vous aviez lu Lara, Manfred et le Corsaire,
Et vous aviez écrit sans essuyer vos pleurs ;
Le souffle de Byron vous soulevait de terre,
Et vous alliez à lui, porté par ses douleurs.
Vous appeliez de loin cette âme désolée;
Pour grand qu'il vous parût, vous le sentiez ami,
Et, comme le torrent dans la verte vallée,
L'écho de son génie en vous avait gémi.

Et lui lui dont l'Europe, encore toute armée,
Écoutait en tremblant les sauvages concerts;
Lui qui depuis dix ans fuyait sa renommée,
Et de sa solitude emplissait l'univers ;
Lui, le grand inspiré de la Mélancolie,
Qui, las d'être envié, se changeait en martyr;
Lui, le dernier amant de la pauvre Italie,
Pour son dernier exil s'apprêtant à partir;

Lui qui, rassasié de la grandeur humaine,

Comme un cygne, à son chant sentant sa mort prochaine, Sur terre autour de lui cherchait pour qui mourir......

Il écouta ces vers que lisait sa maîtresse,

Ce doux salut lointain d'un jeune homme inconnu.
Je ne sais si du style il comprit la richesse;

Il laissa dans ses yeux sourire sa tristesse :
Ce qui venait du cœur lui fut le bien venu.

Poëte, maintenant que ta muse fidèle,
Par ton pudique amour sûre d'ètre immortelle,
De la verveine en fleurs t'a couronné le front,
A ton tour, reçois-moi comme le grand Byron.
De l'égaler jamais je n'ai pas l'espérance ;

Ce que tu tiens du ciel, nul ne me l'a promis;

Mais de ton sort au mien plus grande est la distance,
Meilleur en sera Dieu qui peut nous rendre amis.
Je ne t'adresse pas d'inutiles louanges,

Et je ne songe point que tu me répondras;
Pour être proposés, ces illustres échanges
Veulent être signés d'un nom que je n'ai pas.

J'ai cru pendant longtemps que j'étais las du monde ;
J'ai dit que je niais, croyant avoir douté;

Et j'ai pris devant moi pour une nuit profonde
Mon ombre qui passait, pleine de vanité.

Poëte, je l'écris pour te dire que j'aime,
Qu'un rayon du soleil est tombé jusqu'à moi,
Et qu'en un jour de deuil et de douleur suprême,
Les pleurs que je versais m'ont fait penser à toi.

Qui de nous, Lamartine, et de notre jeunesse,
Ne sait par cœur ce chant, des amants adoré,
Qu'un soir, au bord d'un lac, tu nous as soupiré?
Qui n'a lu mille fois, qui ne relit sans cesse,
Ces vers mystérieux où parle ta maîtresse,
Et qui n'a sangloté sur ces divins sanglots,
Profonds comme le ciel, et purs comme les flots?
Hélas! ces longs regrets des amours mensongères,
Ces ruines du temps qu'on trouve à chaque pas,
Ces sillons infinis de lueurs éphémères,
Qui peut se dire un homme, et ne les connaît pas ?
Quiconque aima jamais porte une cicatrice;
Chacun l'a dans le sein, toujours prête à s'ouvrir ;
Chacun la garde en soi, cher et secret supplice,
Et mieux il est frappé, moins il en veut guérir.
Te le dirai-je, à toi, chantre de la souffrance,
Que ton glorieux mal, je l'ai souffert aussi?
Qu'un instant, comme toi, devant ce ciel immense,
J'ai serré dans mes bras la vie et l'espérance,
Et qu'ainsi que le tien mon rêve s'est enfui?

Te dirai-je qu'un soir, dans la brise embaumée,
Endormi, comme toi, dans la paix du bonheur,
Aux célestes accents d'une voix bien-aimée,

J'ai cru sentir le temps s'arrêter dans mon cœur?
Te dirai-je qu'un soir, resté seul sur la terre,
Dévoré, comme toi, d'un affreux souvenir,
Je me suis étonné de ma propre misère,

Et de ce qu'un enfant peut souffrir sans mourir?
Ah! ce que j'ai senti dans cet instant terrible,
Oserai-je m'en plaindre et te le raconter?
Comment exprimerai-je une peine indicible?
Après toi, devant toi, puis-je encor le tenter?
Oui, de ce jour fatal, plein d'horreur et de charmes,
Je veux fidèlement te faire le récit;

Ce ne sont pas des chants, ce ne sont que des larmes,
Et je ne te dirai que ce que Dieu m'a dit.

Lorsque le laboureur, regagnant sa chaumière,
Trouve le soir son champ rasé par le tonnerre,
Il croit d'abord qu'un rêve a fasciné ses yeux,
Et, doutant de lui-même, interroge les cieux.
Partout la nuit est sombre, et la terre enflammée.
Il cherche autour de lui la place accoutumée
Où sa femme l'attend sur le seuil entr'ouvert;
Il voit un peu de cendre au milieu d'un désert.
Ses enfants demi-nus sortent de la bruyère,
Et viennent lui conter comme leur pauvre mère
Est morte sous le chaume avec des cris affreux;
Mais maintenant au loin tout est silencieux.
Le misérable écoute, et comprend sa ruine.
Il serre, désolé, ses fils sur sa poitrine;
Il ne lui reste plus, s'il ne tend pas la main,
Que la faim pour ce soir, et la mort pour demain.
Pas un sanglot ne sort de sa gorge oppressée ;
Muet et chancelant, sans force et sans pensée,
Il s'assoit à l'écart, les yeux sur l'horizon,

Et regardant s'enfuir sa moisson consumée,
Dans les noirs tourbillons de l'épaisse fumée
L'ivresse du malheur emporte sa raison.

Tel, lorsqu'abandonné d'une infidèle amante, Pour la première fois j'ai connu la douleur, Transpercé tout à coup d'une flèche sanglante, Seul, je me suis assis, dans la nuit de mon cœur. Ce n'était pas au bord d'un lac au flot limpide, Ni sur l'herbe fleurie au penchant des coteaux; Mes yeux noyés de pleurs ne voyaient que le vide, Mes sanglots étouffés n'éveillaient point d'échos. C'était dans une rue obscure et tortueuse De cet immense égout qu'on appelle Paris. Autour de moi criait cette foule railleuse Qui des infortunés n'entend jamais les cris. Sur le pavé noirci les blafardes lanternes Versaient un jour douteux plus triste que la nuit, Et, suivant au hasard ces feux vagues et ternes, L'homme passait dans l'ombre, allant où va le bruit. Partout retentissait comme une joie étrange; C'était en février, au temps du carnaval. Les masques avinés, se croisant dans la fange, S'accostaient d'une injure ou d'un refrain baṇal. Dans un carrosse ouvert une troupe entassée Paraissait par moments sous le ciel pluvieux, Puis se perdait au loin dans la ville insensée, Hurlant un hymne impur sous la résine en feux. Cependant des vieillards, des enfants et des femmes Se barbouillaient de lie au fond des cabarets, Tandis que de la nuit les prêtresses infâmes Promenaient çà et là leurs spectres inquiets. On eût dit un portrait de la débauche antique, Un de ces soirs fameux, chers au peuple romain, Où, des temples secrets, la Vénus impudique Sortait échevelée, une torche à la main.

« VorigeDoorgaan »