Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

eu mauvaise grâce de s'adresser à son métropolitain pour faire cesser cet abus, si celui-ci en eût toléré un semblable dans sa cathédrale. Cette lettre est de la fin du quinzième siècle, et il paroît par-là que cette fête étoit déjà abolie dans l'église de Sens. Elle l'étoit également dans beaucoup d'autres, conformément aux décisions de plusieurs conciles, par le zèle et la vigilance qu'apportèrent les évêques à retrancher des abus si crians.

Quelques auteurs parlent de la coutume établie dans certains diocèses, où, sur la fin de décembre, les évêques jouoient familièrement avec leur clergé à la paume, à la boule; à l'imitation, disent-ils, des saturnales des païens : mais cette dernière pratique, qu'on regarderoit aujourd'hui comme indécente, n'étoit mêlée d'aucune impiété, comme il en régnoit dans la fête des fous. D'autres auteurs prétendent que les Latins avoient emprunté cette dernière fête des Grecs; mais il est plus vraisemblable que la première origine de cette fête vient de la superstition des païens qui se masquoient le premier jour de l'an, et se couvroient de peaux de cerfs ou de biches pour représenter ces animaux, ce que les chrétiens imitèrent nonobstant les défenses des conciles et des Pères. Dans les siècles moins éclairés, l'on crut rectifier ces abus, en y mêlant des représentations des mystères : mais, comme on voit, la licence et l'impiété prirent le dessus; et de ce mélange bizarre du sacré et du profane, il ne résulta qu'une profanation des choses les plus respectables.

La fête des Innocens étoit comme une branche de l'ancienne fête des fous, et on la célébroit le jour des Innocens. Elle n'a pas disparu sitôt que la première, puisque Naudé, dans sa plainte à Gassendi, en 1645, témoigne qu'elle subsistoit encore dans quelques monastères de Provence. Cet auteur raconte qu'à Antibes, dans le couvent des franciscains, les religieux prêtres ni le gardien n'alloient point au chœur le jour des Innocens, et que les frères lais qui vont à la quête ou qui travaillent au jardin et à la cuisine, occupoient ce jour-là leurs places dans l'église, et faisoient une manière d'office avec des extravagances et des profanations horribles. Ils se revêtoient d'ornemens sacerdotaux, mais tout déchirés, s'ils en trouvoient de tels, et tournés à

l'envers. Ils tenoient des livres à rebours, où ils faisoient semblant de lire avec des lunettes qui avoient de l'écorce d'orange pour verres. Ils ne chantoient ni hymnes, ni psaumes, ni messes à l'ordinaire; mais tantôt ils marmotoient certains mots confus, et tantôt ils poussoient des cris avec des contorsions qui faisoient horreur aux personnes

sensées.

On a conservé, dans quelques cathédrales et collégiales, l'usage de faire cfficier ce jour-là les enfans de chœur, c'està-dire, de leur faire porter chape à la messé et à vêpres, et de leur donner place dans les hautes stalles, pour honorer la mémoire des enfans égorgés par ordre d'Hérode. C'est une pratique pieuse qui, n'étant accompagnée d'aucune indécence, ne se ressent en rien de la mascarade contre laquelle Naudé s'est élevé si justement, et encore moins de l'ancienne fête des fous.

(M. DE JAUCOURT.)

FROID (Belles-lettres ).

On dit qu'un morceau de poésie, d'éloquence, de musique,

un tableau même est froid, quand on attend dans ces ouvrages une expression animée qu'on n'y trouve pas. Les autres arts ne sont pas si susceptibles de ce défaut. Ainsi l'architecture, la géométrie, la logique, la métaphysique, tout ce qui a pour unique mérite la justesse, ne peut être ni échauffé ni refroidi. Le tableau de la famille de Darius, peint par Mignard, est très-froid en comparaison du tableau de Lebrun , parce qu'on ne trouve point dans les personnages de Mignard cette même affliction que Le Brun a si vivement exprimée sur le visage et dans les attitudes des princesses persanes. Une statue même peut être froide. On doit voir la crainte et l'horreur dans les traits d'une Andromède; l'effort de tous les muscles et une colère mêlée d'audace dans l'attitude et sur le front d'un Hercule qui soulève Anthée.

Dans la poésie, dans l'éloquence, les grands mouvemeus

[ocr errors]

deviennent froids quand ils sont exprimés en termes trop communs, et dénués d'imagination. C'est ce qui fait que l'amour, qui est si vif dans Racine, est languissant dans Campistron son imitateur.

Les sentimens qui échappent à une âme qui veut les cacher, demandent au contraire les expressions les plus simples. Rien n'est si vif, si animé que ces vers du Cid: Va, je ne te hais point... Tu le dois..... Je ne puis. Ce sentiment deviendroit froid s'il étoit relevé par des termes étudiés. C'est cette raison par rien n'est si froid que le style que ampoulé. Un héros, dans une tragédie, dit qu'il a essuyé une tempête, qu'il a vu périr son ami dans cet orage; il touche, il intéresse s'il parle avec douleur de sa perte, s'il est plus occupé de son ami que de tout le reste; il ne touche point, il devient froid s'il fait une description de la tempête, s'il parle de source, de feu bouillonnant sur les eaux, et de la foudre qui gronde et qui frappe à sillons redoublés la terre et l'onde. Ainsi le style froid vient tantôt de la stérilité, tantôt de l'intempérance des idées; souvent d'une diction trop commune, quelquefois d'une diction trop recher

chée.

L'auteur qui n'est froid que parce qu'il est vif à contretemps, peut corriger ce défaut d'une imagination trop abondante; mais celui qui est froid parce qu'il manque d'âme, n'a pas de quoi se corriger. On peut modérer son feu, on ne sauroit en acquérir.

(M. DE VOLTAIRE.)

ON

I

IDIOT.

On appelle idiot celui en qui un défaut naturel dans les

organes qui servent aux opérations de l'entendement est si grand qu'il est incapable de combiner aucune idée, en sorte

que sa condition paroit à cet égard plus bornée que cello des bêtes. La différence de l'idiot et de l'imbécille consiste, ce me semble, en ce que l'on naît idiot, et que l'on devient imbécille. Idiot vient d'un mot grec qui signifie homme particulier, qui s'est renfermé dans une vie retirée, loin des affaires du gouvernement, c'est-à-dire, celui que nous appellerions aujourd'hui un sage. Il y a eu un célèbre mystique qui prit par modestie la qualité d'idiot qui lui convenoit beaucoup plus qu'il ne pensoit.

(M. DIDEROT.)

INTRIGUE.

CONDUITE détournée de gens qui cherchent à parvenir,

à s'avancer, à obtenir des emplois, des grâces, des honneurs par la cabale et le manège. C'est la ressource des âmes foibles et vicieuses, comme l'escrime est le métier des lâches.

Intrigue (belles-lettres). Assemblage de plusieurs événemens ou circonstances qui se rencontrent dans une affaire, et qui embarrassent ceux qui y sont intéressés.

Intrigue en poésie est le nœud ou la conduite d'une pièce dramatique, ou en prose d'un roman, c'est-à-dire, le plus haut point d'embarras où se trouvent les principaux personnages, par l'artifice ou la fourberie de certaines personnes, et par la rencontre de plusieurs événemens fortuits qu'ils ne peuvent débrouiller.

Il y a toujours deux desseins dans la tragédie, la comédie ou le poème épique. Le premier et le principal est celui du héros; le second comprend tous les desseins de ceux qui s'opposent à ses prétentions. Ces causes opposées produisent aussi des effets opposés; savoir : les efforts du héros pour l'exécution de son dessein, et les efforts de ceux qui lui sont contraires.

Comme ces causes et ces desseins sont les commencemens de l'action, de même ces efforts contraires en sont le milieu, et forment une difficulté et un nœud qui font la plus grande

partie du poème; elle dure autant de temps que l'esprit du lecteur est suspendu sur l'événement de ces efforts contraires. La solution ou dénouement commence lorsque l'on commence à voir la difficulté levée et les doutes éclaircis.

Homère et Virgile ont divisé en deux chacun de leurs trois poèmes, et ils ont mis un nœud et un dénouement en chaque partie.

La première partie de l'Iliade est la colère d'Achille qui vent se venger d'Agamemnon par le moyen d'Hector et des Troyens. Le nœud comprend le combat de trois jours qui se donne en l'absence d'Achille, et consiste d'une part dans la résistance d'Agamemnon et des Grecs, et de l'autre dans l'humeur vindicative et inexorable d'Achille, qui ne lui permet pas de se réconcilier. Les pertes des Grecs et le désespoir d'Agamemnon disposent au dénouement par la satisfaction qui en revient au héros irrité. La mort de Patrocle, jointe aux offres d'Agamemnon, qui seules avoient été sans effet, lèvent cette difficulté et font le dénouement de la première partie. Cette même mort est aussi le commencement de la seconde partie, puisqu'elle fait prendre à Achille le dessein de se venger d'Hector; mais ce héros s'oppose à ce dessein, et cela forme la seconde intrigue qui comprend le combat du dernier jour.

Virgile a fait dans son poème le même partage qu'Homère. La première partie est le voyage et l'arrivée d'Enée en Italie; la seconde est son établissement. L'opposition qu'il éprouve de la part de Junon dans ces deux entreprises, est le nœud général de l'action entière.

Quant au choix du nœud et à la manière d'en faire le dénouement, il est certain qu'ils doivent naître naturellement du fond et du sujet du poème. Le P. Le Bossu donne trois manières de former le nœud d'un poème; la première est celle dont nous venons de parler; la seconde est prise de la fable et du dessein du poète; la troisième consiste à former le nœud de telle sorte que le dénouement en soit une suite naturelle.

Dans le poème dramatique, l'intrigue consiste à jeter les spectateurs dans l'incertitude sur le sort qu'auront les principaux personnages introduits sur la scène; mais pour cela elle doit être naturelle, vraisemblable et prise autant qu'il

« VorigeDoorgaan »