Images de page
PDF
ePub

Il serait impossible d'assigner l'époque où commença l'usage vulgaire de l'huile de foie de morue, car partout on en retrouve des traces et il n'y a guère que Michaelis (1), Percival (2) et Darbey (3) qui se livrèrent à des expérimentations sur ce sujet dans le siècle passé. Ce furent les docteurs Schenk (4), et Scherer de Siegen (5), publiant en 1822 une série d'observations constatant les bons effets de l'huile de poisson dans les affections rhumatismales chroniques, qui donnèrent éveil aux praticiens et les engagèrent à tenter les expériences nécessaires pour assurer à la thérapeutique ce précieux médicament; en même temps la Société des sciences et arts d'Utrecht faisait des propriétés et des vertus de cette huile le sujet d'un prix (6). Une foule d'auteurs se livrèrent, en quelques années, en Allemagne, en Hollande et en Belgique, à des études sur les effets de l'huile de morue, les journaux de médecine de cette époque fourmillent d'observations et d'expériences tendant au même but. Alors parurent les dissertations d'Elber Ling (7), de Reder (8) et de Spaarman (9). Notre intention n'est point de passer en revue tous ces travaux qui ont été du reste indiqués pour la plupart avec beaucoup de soin par M. le professeur Delavacherie en 1839 (10), nous bornant à l'examen de ceux qui présentent le plus d'intérêt et qui résultent d'observations recueillies lorsqu'on avait acquis déjà quelques notions sur la manière d'agir et les cas d'application du médicament.

Ce fut seulement en 1834, que Carron-Duvillards fit appel au zèle de ses compatriotes, pour introduire dans la thérapeutique l'huile de morue, dont on retirait déjà de grands avantages dans divers pays (11).

Parmi ceux qui se livrèrent avec le plus d'activité à la recherche des effets de l'huile de morue se trouve le docteur Brefel de Hamm; ses premiers essais le por

connaissance de M. Pieterse, arpenteur, demeurant dans la colonie George, nous y allâmes avec lui et notre séjour s'y prolongea jusqu'au 23 juin ; là je fus souvent témoin de guérisons obtenues par l'huile de poisson, remède qui, avec l'aloès, les feuilles et fleurs du bellis et du bouchou, composait presque toute la pharmacie des indigènes.

Étant dans cette colonie, je fus invité, par M. Daniel Van Raenen, à assister à la pêche à l'embouchure de la rivière nommée Kysna, dans la baie Formosa, aussi appelée Plettenbergsbay; on y pêche la fameuse raie à queue à dard; on la tue à coups de bâton avant d'y toucher, car, au dire des Hottentots, sa piqûre est très-dangereuse; aussi redoutent-ils beaucoup ce poisson lorsqu'ils se baignent à l'embouchure des fleuves. Plus tard, pendant un séjour de dixhuit mois au cap de Bonne-Espérance, j'eus souvent l'occasion de me convaincre que l'usage et l'efficacité de l'huile de ce poisson y étaient aussi bien connus et appréciés que dans l'intérieur du pays.....

Mon fils, capitaine de navire au service de la Hollande, avait, au retour d'un de ses voyages en Amérique, une bouteille d'huile de foie de morue dont il s'était muni à Curaço, ce moyen jouissant, dans cette contrée, d'une grande vogue contre les foulures et les contusions..... (1) Histoire naturelle des animaux. Paris, 1756, t. II, p. 72.

(2) Percival; Essays medical, philosophical and experimental. Warrington, 1790, t. II. (3) London medical journal, vol. III, p. 392.

(4) Schenk; Hufeland's journal, 1822, p. 130.

(5) Bulletin des sciences médicales de Fer., t. I, p. 364.

(6) Nouvelle bibliothèque médicale, 1824, t. IV, p. 472.

(7) Elber Ling; De oleo jecoris aselli. Berlin, 1826.

(8) Reder; Idem. Rostock, 1826.

(9) Spaarmaan; Iden., ibid., 1826.

(10) De Lavacherie; Sur les effets que l'on attribue à l'huile de morue; journal des connaissances médicales, juin 1839.

(11) Bulletin général de thérapeutique médicale et chirurgicale, mai 1834.

tèrent à ranger dans l'ordre suivant la gradation d'action de l'huile dans diverses maladies :

1 Scrofules des systèmes fibreux et osseux, rachitisme, tumeurs blanches des diverses articulations, spina ventosa, carie scrofuleuse.

2o Affection des glandes mésentériques.

3. Engorgement des glandes sous-cutanées.

4o Ophthalmies, otites et maladies cutanées scrofuleuses sur lesquelles son influence est peu ou point marquée (1). Les résultats qu'il présenta dans son ouvrage avaient beaucoup d'analogie avec ceux obtenus par De Busch de Bremen (2), Most de Rostock (3) Gumpert de Rawiez (4), Kolkmann de Wiedembrück (5), et Richter (6).

En 1836 parut dans la Gazette médicale de Prusse (7), une observation intéressante de guérison de coxarthrocace droite à la dernière période, sur une jeune fille de 6 ans, par l'huile de foie de morue, dont elle prit 40 onces. Cette guérison extraordinaire fit redoubler les praticiens d'activité pour s'assurer des propriétés bienfaisantes de ce corps oléagineux. MM. Hopfer de l'Orme, pharmacien à Hanau, et Hansmann de Atens dans le Oldenbourg, entreprirent des travaux chimiques sur la composition du remède et y découvrirent la présence de l'iode (8). A la même époque, M. Duclou publia le mode suivant d'administration de l'huile de poisson, pour éviter le dégoût qu'occasionne ordinairement son usage dans le principe.

[blocks in formation]

Faire selon l'art une émulsion avec le sirop, la gomme et l'huile, dans laquelle on fait dissoudre le sucre à une douce chaleur (9).

Il est rare cependant que ce médicament répugne au point d'en empêcher l'ingestion, et les enfants s'y habituent aussi bien que les personnes plus âgées, surtout quand on a soin de le leur présenter comme liqueur en évitant d'éveiller leur susceptibilité qui est ordinairement mise en jeu par tout ce qui porte le nom de médecine. L'huile la moins désagréable est celle qui provient du foie de la raie, l'une des espèces les plus répandues dans le commerce: elle est d'un jaune

(1) Derstakfisch-liberthran in naturhistorisch pharmaseutischer hinsicht, 1835.

(2) Med. chir. zeit. 1827, p. 205.

(3) Allgem, med. zeit. 1834.

(4) Hufeland's journal, t. LXXIV.

(5) Ibid. t. V.

(6) Richter; Vereins-zeitung, 1835,

(7) Preussische medicinische zeitung, 1836.

(8) Journal de pharmacie, octobre 1837.

(9) Journal de pharmacie et des sciences accessoires, septembre 1837.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

doré limpide et transparente et laisse dans la bouche un arrière-goût de sardine, qui n'a rien de bien désagréable.

Le docteur Gouzée donna en 1838 le résultat de ses expériences; selon lui ce médicament produirait des avantages marqués dans le rachitisme, les altérations des os qui en dépendent, les tumeurs blanches, les caries des lymphatiques, des scrofuleux et le rhumatisme articulaire chronique (1).

Ce fut alors aussi que le docteur Haeser à léna, témoin des expériences de Hansmann qui, comme nous l'avons dit, constata par la chimie la présence de l'iode dans l'huile de poisson, publia les succès qu'il en obtint dans les cas de tubercules des poumons, succès qui résultèrent également, dit-il, de l'emploi de la graisse de chien (2). Il fit connaître, l'année suivante, dans le même recueil, de nouveaux succès obtenus dans la tuberculisation pulmonaire et particulièrement dans un cas d'aphonie produite par cette désorganisation (3).

A la même époque, le docteur Taufflieb, médecin à Barr, qui avait déjà, deux années auparavant, annoncé des avantages retirés de l'usage de ce liquide dans la carie scrofuleuse (4) publia de nouvelles guérisons de la même affection; dans ces dernières l'efficacité résulta de l'emploi combiné de l'huile de poisson et de l'hydriodate de potasse (5); il guérit, entre autres, trois cas de coxalgie avec luxation incomplète, dans lesquels il y eut raccourcissement et un cas au début dont la résolution fut prompte et complète. Comme la maladie semblait rester stationnaire malgré l'ingestion de l'huile, après s'être améliorée d'abord dans le principe, et que l'hydriodate de potasse donnait un nouvel essor à l'amélioration, il pense que l'huile modifie l'état général et les iodures les effets locaux. Il a administré, jusqu'à 36 livres d'huile en 2 ans et demi et se sert d'une solution hydro-alcoolique d'iodure de potassium (iod. potass. 1; alcool 16; aq. 16).

Tous les travaux publiés sur l'huile de poisson n'en font pas l'éloge et nous ne pouvons, pour ne pas encourir de blâme, passer sous silence les inconvénients que l'on a signalés comme provenant de l'usage de ce corps gras.

Un mémoire publié en 1838 par M. Hoebeke, chirurgien à Sottegem (6), contient le récit de plusieurs cas de rétrécissement du bassin survenus à la suite de l'usage de l'huile de poisson; selon lui, le ramollissement produit dans cette circonstance, se manifestait par un rétrécissement transversal du détroit inférieur, tandis que, comme on le sait, dans le rachitisme, le défaut d'ampleur se fait remarquer au détroit supérieur dans le sens antéro-postérieur.

[ocr errors]

Dans l'année suivante, M. Delavacherie, professeur à l'université de Liége, fit connaître deux faits de ramollissement des os survenus pendant l'usage de l'huile de poisson, dont le résultat fut une déviation des jambes chez les sujets et qui les rendit cagneux (7). Le même auteur rapporte que M. le professeur d'accouchement, Simon, pratiqua dans la même année l'opération césarienne et la symphyseotomie (1) Gouzée; Observation sur l'emploi et les usages thérapeutiques de l'huile de foie de raie ou de morue. Bulletin médical belge, janvier 1838.

(2) Hufeland's journal der pratischen Heilkunde, 1838.

(3) Hufeland's journal; Observations ultérieures sur l'efficacité de l'huile de foie de morue contre les tubercules pulmonaires et particulièrement dans un cas d'aphonie produite par ces derniers.

(4) Gazette médicale de Paris, août 1837.

(5) Ibid., novembre 1839.

(6) Mémoire et observations sur le rétrécissement du bassin, pouvant nécessiter l'opération césarienne, et sur les causes qui peuvent le produire. Bulletin médical belge, février 1838. (7) De Lavacherie; Sur les effets que l'on attribue à l'huile de morue ; Journal des connaissances médicales, juin 1839.

chez des femmes dont le bassin s'était rétréci pendant qu'elles faisaient usage de l'huile de morue. Le docteur Klencke qui rappelle les faits mentionnés par nos compatriotes, cite aussi l'histoire d'un chat chez lequel un état d'ostéoporose se déclara à la suite de l'administration de l'huile de poisson. Il attribue cette particularité à ce que l'huile fut prise malgré l'existence de contre-indications qui sont pour lui : l'enfance avant sept mois, un état de pléthore ou d'obésité, un état fébrile sthénique, etc. (1). Nous devons attendre, pour nous prononcer à cet égard, que ce point soit éclairci par des faits nouveaux; les observations constatant des effets contraires, c'est-àdire, une nutrition plus active du système osseux, sont en trop grand nombre, pour qu'on puisse révoquer en doute cette manière d'agir; d'ailleurs nous ne connaissons point encore le mode intime d'action de ce médicament, et peut-être quelque circonstance exceptionnelle, dépendante soit du sujet, soit de ce qui l'entourait, ou du médicament lui-même, la qualité, la quantité par exemple, a-t-elle suffi pour déterminer ce phénomène tout à fait insolite en pareil cas. Il doit en être ainsi, car le docteur Schenck et bien d'autres qui l'ont employée contre la carie scrofuleuse, la regardent comme un spécifique aussi sûr contre les scrofules, le rachitisme et l'arthritis, que le quinquina contre les fièvres intermittentes (2), tant son action est évidente. L'huile de poisson fut mise en usage contre d'autres affections encore. Richter (3), qui la regarde à cause de l'iode comme un spécifique contre le rachitisme et les scrofules, l'a employée contre les maladies chroniques de la peau. Rayé (4) l'a administrée dans les phlegmasies chroniques de l'estomac et des poumons, il se servait de la forme suivante, dans les pneumonies : Potion composée de :

[blocks in formation]

A prendre en neuf fois, en trois jours; dans les affections chroniques de l'estomac, quelques gouttes de laudanum étaient ajoutées à l'huile, et servaient à établir la tolérance. M. Mareska l'a préconisée dans ces derniers temps aussi contre la carie et les tubercules crus (5).

Il n'y a point à douter que si l'huile de foie de morue a des propriétés spéciales comme corps oléagineux, on doit en attribuer également aux substances minérales qu'elle contient ; Falker rapporte toute sa vertu à la résine, par l'activité des sécrétions qu'elle détermine. Nous avons déjà fait mention des travaux de MM. Hopfer et Hansmann qui y ont découvert l'iode; Martens à Leipzig, et Springmühl à Dresde, l'ont trouvé également, mais seulement dans les espèces de couleur foncée (6). Gmelin a constaté sa présence, il l'a toujours rencontré dans l'huile véritable, provenant de Bergen, en Norwége, et il en a analysé beaucoup d'autres qui n'en contenaient pas (7). MM. Girardin et Pressier (8) ont entrepris

(1) Klencke; Annales de la Société de médecine d'Anvers, 1843, p. 173. (2) Schenck; Sur l'emploi de l'huile de morue. Hufeland's journal, 1839.

(3) Richter; Medicinische zeitung, 1838. Nouvelles observations concernant l'emploi de l'huile de morue à hautes doses dans les maladies chroniques de la peau.

(4) Rayé ; De l'huile de foie de raie et de morue dans les phlegmasies chroniques des po 1mons et de l'estomac. Annales de la Société des sciences naturelles de Bruges.

(5) Mareska; Bulletin de la Société de médecine de Gand, 1843,

(6) Pharmaceutisches centralblatt, 1837, n° 31 et 47.

(7) Gmelin; Sur la présence de l'iode dans l'huile de foie de morue, Ann, de pharmacie, (8) Taufflieb; Gazette médicale de Paris, novembre 1839, o. c.

l'exécution de travaux comparatifs sur l'huile de foie de raie et celle de foie de morue, ils ont trouvé que celle du premier poisson, qui a une odeur de sardine et une densité de 0,928, contient 18 centigrammes d'iodure de potassium par litre, tandis que celle du second n'en contient que 15. M. Gobley a constaté la présence du phosphore dans l'huile du foie de ces deux poissons (1).

Cet aperçu des principales expérimentations auxquelles les praticiens se sont livrés sur les effets de l'huile de foie de morue, laisse assez voir que les travaux sur ce sujet sont loin d'être terminés et qu'on n'est pas près encore du but auquel, avec de la constance, on peut espérer de parvenir un jour; on l'a employée dans beaucoup de maladies, tantôt avec fruit, tantôt sans succès, à part encore la prévention à laquelle il est si facile de sacrifier dans un premier engouement; mais il reste beaucoup à faire les huiles de poisson jouissent-elles toutes de la même efficacité; doit-on les succès obtenus aux principes oléagineux ou à des substances minérales qu'elles contiennent; ou à la réunion de ces divers corps; doit-on avoir égard à telle ou telle circonstance hygiénique générale, ou à telle disposition individuelle, pour l'administrer avec espoir de succès; quelle est son action sur l'économie? Toutes ces questions ont besoin de faits nouveaux, bien observés, pour recevoir une solution satisfaisante, car, comme l'a fort bien fait remarquer le docteur Taufflieb (2), « les auteurs qui cherchent à introduire un médicament nou»veau dans la pratique médicale, s'attachent plutôt à faire ressortir les avantages » du traitement proposé, qu'à fixer les conditions qui doivent en assurer les succès; et lorsque tout semble avoir été fait, tout reste à faire.

[ocr errors]

D

L'huile de morue n'a sans doute été longtemps négligée par les thérapeutistes, que parce qu'on ne connaissait ni les effets de l'iode, ni la présence de ce métal dans l'huile de certains poissons, et sous ce rapport, on doit reconnaître encore ici les services éminents que la chimie organique a rendus à l'art médical et à l'humanité, car, comme l'a dit M. le docteur Daumerie, le scepticisme qui s'est introduit en médecine depuis quelques années, n'est que trop justifié par les nombreuses déceptions qui attendaient les praticiens qui se livraient avec une foi aveugle aux beaux résultats des divers systèmes. « Les partisans de Broussais, dit-il (3), nous citaient avec assurance une foule de cancers traités et guéris par de fortes applications de sangsues. Rien n'a résisté pendant quelque temps aux piqûres » des acupunctureurs. Que de miracles n'a pas faits l'iode? Quels prodiges n'a point opérés le muriate de baryte ? Quelles maladies aiguës ont résisté aux saignées » coup sur coup ou au tartre stibié employé à haute dose? Aujourd'hui que tout a » été épuisé au creuset de l'expérience, que subsiste-t-il encore? Le cancer est incu»rable, comme toujours, malgré les évacuations sanguines; l'usage de l'iode, du mu»riate de baryte, est très-restreint; l'acupuncture est morte. » L'état apathique que l'on a montré pour l'huile de poisson, avant la constatation de la présence de l'iode dans ce corps, qui s'y trouve à l'état d'hydriodate de potasse, médicamentqui, comme nous l'avons fait remarquer,jouit actuellement d'une grande faveur et en est certainement digne, est suffisamment justifié. Sous ce rapport, nous pensons que le mode d'administration de M. le docteur Taufflieb, qui consistait, comme nous l'avons dit, à donner conjointement l'huile et l'iodure de potassium, est susceptible de produire des effets plus certains, des guérisons plus durables et plus positives (3). Nous engageons

(1) Journal de chimie médicale, janvier 1844.

(2) Taufflich; Gazette médicale de Paris. Novembre, 1839, o. c.

(3) Extrait du rapport de M. Daumerie sur le mémoire de M. Gouzée, concernant l'huile de foie de morue, lu à la Société des sciences médicales et naturelles de Bruxelles, dans la séance du 8 janvier 1837. Bullet, médic. belge.

« PrécédentContinuer »