Images de page
PDF
ePub

admettre. Il est donc extrêmement difficile, impossible même souvent, d'établir d'une manière précise le diagnostic d'une affection dont les caractères sont peu tranchés, variables ou équivoques, mais poursuivons. Si pendant la vie on peut admettre ou contester l'existence d'une péricardite ou d'une endocardite, lorsqu'on arrive à l'ouverture du corps, tous les doutes doivent se dissiper. Si ces phlegmasies sont les compagnes inséparables du rhumatisme aigu intense, on doit en trouver des traces à chaque nécropsie. Or plusieurs examens de ce genre ont été relatés dans ce mémoire, que disent-ils ? Dans deux cas rien, dans deux autres très-peu de chose. En effet, que signifient une légère teinte rosée qui était sans doute un phénomène d'imbibition, ou quelques adhérences du péricarde avec le cœur et des poumons avec les parois thoraciques qui devaient être la conséquence d'une phlegmasie plus ou moins ancienne?

Nous avons eu l'occasion d'ouvrir un individu qui tout récemment avait été atteint de rhumatisme, voyons ce qu'il a présenté.

37e OBSERVATION. Jean A... âgé de 20 ans était depuis longtemps atteint de douleurs qui surtout affectaient les membres inférieurs, depuis quelques jours elles étaient devenues très-intenses, occupant successivement les articulations tibio-fémorales, tibio-tarsiennes et les lombes. Le traitement employé amena du soulagement; mais sans cause connue une fièvre intense et continue se déclara, il y eut de la diarrhée, un dépérissement rapide, la mort en fut le résultat.

Le cœur examiné à l'intérieur et à l'extérieur ne présentait aucune trace morbide; pour être entièrement exact, il faut dire que le péricarde contenait quelques grammes de sérosité; mais la face interne de cette enveloppe n'était ni rouge ni injectée, la muqueuse gastrique était enflammée, la fin de l'iléon présentait un grand nombre de larges ulcérations.

[ocr errors]

Voilà une gastro-entérite folliculeuse qui, succédant immédiatement à un rhumatisme, ne pouvait pas en si peu de temps effacer les traces d'une péricardite ou d'une endocardite si celle-ci eût existé,si surtout elle eût offert quelque intensité. Mais, dira-t-on, peut-être, le rhumatisme n'était pas aigu. Je ne le nie point, mais il me semble qu'il n'y a pas une différence telle entre les rhumatismes aigu et chronique que l'un ne puisse pas avoir quelques-uns des caractères qui appartiennent à l'autre. Du reste cette objection ne pourra pas être faite au cas suivant, qui est étranger à l'observation noso-comiale, mais qui n'en est pas moins positif. 38e OBS. La sœur Th... du couvent des dames âgée de 30 ans, petite, faible, maigre, ayant la peau d'une pâleur terne jaunâtre, eût en 1833 un rhumatisme général; elle était parfois sujette à une petite toux avec crachement de sang. Le 15 novembre 1836 se déclara un rhumatisme aigu pyrétique intense, les articulations tibio-fémorales et tibio-tarsiennes étaient affectées. La maladie ne céda point à plusieurs applications de sangsues, la saignée générale était contre-indiquée par les apparences cachectiques de la constitution; il y avait plusieurs jours que cette affection existait, lorsque dans la nuit eut lieu un sentiment de constriction dans la poitrine, une menace de suffocation, mais ce ne fut qu'un accident passager.

Le lendemain, examinée avec grand soin, on ne reconnut ni dyspnée, ni palpitations du cœur. L'auscultation ne fournit aucun signe, le pouls était très-régulier, la percussion ne fit distinguer aucune matité anormale, en un mot il fut impossible de trouver les indices d'un état morbide déterminé.

Le rhumatisme allait en diminuant aux membres inférieurs, mais les poignets étaient tuméfiés et douloureux, des sueurs abondantes se déclarèrent, l'amélioration fit des progrès.

28. La malade se sentait évidemment bien. Elle parlait de son entier et prochain rétablissement.

La nuit suivante elle éprouve une gêne extraordinaire de la respiration, se sent suffoquée, pousse des cris, annonce sa mort, demande l'extrême-onction. - On lui applique des sinapismes très-actifs, elle expire au bout de 3/4 d'heure.

La rapidité de cette fâcheuse terminaison fit accorder la permission de se livrer à quelques recherches cadavériques. Toutefois celles-ci furent bornées au thorax et à l'abdomen.

Le péricarde était entièrement sain, ses parois n'offraient ni rougeur ni injection, il contenait environ 25 à 30 grammes de sérosité citrine, le cœur avait son volume normal, n'offrait aucune tache à sa surface. Le ventricule gauche était comme à l'ordinaire sensiblement plus épais que le droit, lequel était assez mince à son sommet, il n'y avait aucune trace d'inflammation dans la membrane soit des cavités droites, soit des cavités gauches de cet organe, soit des gros vaisseaux. Sur le bord libre de la valvule mitrale on distinguait deux petites indurations cartilagineuses, ayant le volume et la forme d'une lentille. Elles ne pouvaient gêner en rien les mouvements de la valvule. Les poumons étaient très-sains, crépitants, l'estomac dansl'état le plus naturel ainsi que les autres organes de l'abdomen.

Cette observation est vraiment remarquable par ses circonstances négatives. Où donc était le siége de la maladie, la cause de la mort ? Dans l'encéphale ? Peut-être. Mais la malade avait parlé avec le calme de la raison, la netteté la plus entière du jugement jusqu'à sa dernière minute. Elle n'avait jamais eu la moindre marque de lésion cérébrale, on eût examiné l'encéphale et son prolongement rachidien que l'on n'eût cette fois, comme dans maintes autres occasions étrangères au genre d'affection qui m'occupe, trouvé aucune lésion apparente. Mais laissons ce côté du fait et bornons-nous à signaler cette absence absolue, complète, d'endocardite ou de péricardite dans un cas de rhumatisme aigu multiple, avec fièvre intense.

Des différentes recherches, dont je donne un aperçu succinct, il résulte que la coïncidence du rhumatisme et de la phlegmasie des enveloppes du cœur existe quelquefois, mais est loin d'être constante.

Le rhumatisme exerce-t-il une influence sur le développement des lésions organiques du cœur et des gros vaisseaux ?

Si les principales lésions organiques du cœur ou des gros vaisseaux procèdent, comme beaucoup de médecins en sont convaincus, d'un certain degré ou mode d'inflammation des membranes qui tapissent ces organes, les états morbides qui s'accompagnent nécessairement d'une phlegmasie de ce genre, doivent être les agents éloignés indirects, mais inévitables de ces lésions organiques. Or, d'après M. Bouillaud, le rhumatisme a pour coïncidence à peu près constante l'endocardite ou la péricardite; donc, d'après ce médecin, il doit être la cause première la plus ordinaire, la plus menaçante des affections organiques du cœur ou des gros vaisseaux. Mais si, comme les faits viennent de le démontrer, la complication intrathoracique du rhumatisme est loin de faire loi, cette affection ne doit-elle pas être absoute de la funeste influence dont elle était accusée?

Voyons d'ailleurs ce que dit l'expérience à ce sujet : nous avons recueilli dans les 4 années qui viennent de s'écouler 88 observations de maladies du cœur ou des gros vaisseaux. Dans 20 cas la nécropsie a été faite, ils avaient pour sujets des hypertrophies générales ou partielles, des dilatations de cavités, des cartilaginifications, des ossifications des valvules, etc. Dans 4 cas seulement nous avons trouvé le rhumatisme mentionne au nombre des renseignements relatifs aux antécédents.

Chez l'un de ces malades âgé de 33 ans, un rhumatisme articulaire avait eu lieu à 14, 19 et 30 ans. Ce fut après trois ans d'une bonne santé que se manifesta l'affection du cœur qui occasionna la mort. Nous trouvâmes des traces de péricardite, car il y avait adhérence du péricarde du cœur. Le volume de cet organe était

augmenté, le ventricule gauche surtout était hypertrophié, la valvule mitrale était cartilagineuse.

La 2e observation a pour sujet un individu âgé de 72 ans, dont le père avait été atteint de rhumatisme chronique et qui lui-même avait été pris douze ans avant d'un rhumatisme aigu. Depuis un an, il éprouvait les symptômes d'une lésion du cœur, oppression, palpitations, battements étendus, obscurs, etc.

La 3 observation est celle d'un vigneron âgé de 23 ans, qui avait eu 13 ans avant un rhumatisme au genou,lequel avait duré sept mois. Il avait des palpitations de cœur fortes, sans bruit spécial, mais les battements se répétaient avec énergie dans le système artériel. Soumis à un traitement antiphlogistique, ce malade alla mieux et quand il parut entrer décidément en convalescence, des douleurs rhumatismales se firent sentir à l'épaule, au genou et au poignet.

La 4 observation est celle d'un cordonnier, àgé de 24 ans, qui avait eu des atteintes fréquentes de rhumatisme et qui depuis deux ans avait des palpitations de cœur, de la toux, de la dyspnée, une douleur vive dans la région précordiale. On y entendait un bruit de frottement assez prononcé, les battements du cœur étaient un peu obscurs.

Dans ces quatre cas, il y avait certainement un rapport, peut-être même un enchaînement de causes et d'effets entre le rhumatisme et la lésion du cœur, mais dans 84 autres cas, cette relation ne put être découverte.

L'angine de poitrine est un résultat ou du moins une coïncidence fréquente de diverses altérations du cœur et spécialement de l'aorte ou de ses annexes. En effet, chez les sujets morts d'angine de poitrine, on a trouvé l'aorte dilatée (1), épaissie (2), cartilagineuse (3) avec des ossifications plus ou moins étendues (4), présentant intérieurement des traces d'inflammation (5) ayant les vaisseaux de ses parois très-injectés (6) sa membrane interne rouge (7), parsemée de rugosités (8), d'ulcérations (9) et même détruite dans une grande partie de son étendue (10). 2o Les valvules aortiques endurcies (11) épaissies (12) cartilagineuses (13) et souvent ossifiés (14).

(1) Morgagni; Epist. 26, no 31. Bien que Héberden soit le premier auteur qui ait décrit comme maladie spéciale, l'angine de poitrine, Morgagni doit être regardé comme l'observateur qui en a donné le premier exemple. Wall; Méd. transactions, t. III, P. 12.- Black; Obs. Ire. Memors of the medical Society of London, t. IV, p. 161. Parry; Syncope angineuse.- Black hall; Obs. 1, 2, Carron d'Annecy; Journal Sedillot, t. XLV, p. 353. obs. 6.Desportes; Angine de poitrine, obs. 17. — Jurine; Obs. 12.

(2) Parry; Obs. Ire. - Blackall; Obs. 2, 3, 4.— Jemina; Revue méd., 1820, t. III, (3) Stroeller et Jurine, p. 254.

(4) Heberden; Commentarii de morborum historia et curatione, p. 276.

gill.

-Black. Blackall. Jurine.

[ocr errors]

Jemina.

(5) Parry; Obs. 1. Blackall; Obs. 2, 3, 4. Jurine; Obs. 12.

d'Edimbourg, t. XVI, p. 378.

p. 98.

Wall; Fother

Sandwith; Journal

(6) Parry; Obs. 2. - Jemina.

(7) Jurine; Obs. 180, 210, 225.

(8) Blackall; Obs. 2, 3.

(9) Blackall; Obs. 2, 4.

(10) Obs. recueillie dans le service de M. Récamier. Bibl. méd., 1828, t. IV, p. 402.

[blocks in formation]

3 Les artères coronaires ou cardiaques cartilagineuses (1), tapissées d'unë fausse membrane (2) fréquemment ossifiées (3).

Or l'angine de poitrine s'est montrée chez un grand nombre d'individus qui avaient été atteints de rhumatisme ou de goutte. En effet, Wall (Medical trans. t. 3, p 12). Parry, Macbride (Méd. obs. auding t. 6, p. 9.) en ont cité des exemples. Le célèbre John Hunter qui mourut d'une attaque d'angine de poitrine avait été goutteux (4) M. Desportes (5) et Blackall (6) ont établi par des faits le même rapport. Les observations 1, 8, 13, 23, 25 de Jurine prouvent encore que des individus atteints d'angine de poitrine avaient été ou goutteux ou rhumatisants.

En Allemagne, Elsner (7), Berger (8), Staller (9); en Angleterre, Bulter (10), Macquen (11), ont attribué l'angine de poitrine à la goutte.

Une certaine relation existe donc entre le rhumatisme ou la goutte et l'angine de poitrine, mais elle n'est ni constante, ni nécessaire. D'ailleurs, c'est moins dans le péricarde ou l'endocarde que se forment les lésions graves, qui sont le point des phénomènes de l'angine de poitrine, que dans le tissu propre soit de l'aorte, soit des valvules qui l'avoisinent; or, ce tissu est fibreux ou albuginé et se trouve en rapport de structure avec celui qui forme le siége le plus spécial de l'affection rhumatismale.

Des considérations et des faits dont se compose ce paragraphe, je tire les conséquences suivantes :

1. Avec le rhumatisme coincide quelquefois une péricardite, comme Pavait annoncé M. Chomel.

2 La coïncidence d'une péricardite ou d'une endocardite avec le rhumatisme n'est pas aussi constante que l'a avancé M. Bouillaud.

3o Le rhumatisme a souvent précédé le développement d'une affection du cœur et peut en être considéré quelquefois comme une cause prédisposante.

IV. NATURE DU RHUMATISME.

S'il s'agissait de rechercher la nature intime, l'essence du rhumatisme, il serait prudent de renoncer à ce genre d'études; il ne m'est point donné de pénétrer dans les mystérieuses profondeurs de la pathogénie. Mais si par nature on entend l'ordre d'affections auquel peut appartenir le rhumatisme, cette recherche devient possible; toutefois, il ne faut pas la croire facile; des opinions diverses ont été émises

(1) Parry; Obs. 1.

(2) Ire obs. de Parry.

(3) Jenner. Parry, p. 5. — Parry; Obs. 2, 3.— Obs. de Fothergill. — Les 4 obs. de Black. - La 3e obs. de Blackall. - La 12e obs. de Jurine. Obs, de Desportes et Carron. (4) Voy. son Hist. pathologique rapportée par Home, dans l'édition de 1794, du Traité du sang de J. Hunter, et Bibliothèque britannique, sect. des sciences et arts, t. II, p. 301. Hunter avait l'aorte dilatée, rugueuse à l'intérieur, les valvules semi-lunaires ossifiées ainsi que les artères coronaires.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small]

-

à ce sujet le rhumatisme peut être placé parmi les fièvres, les névroses, les lésions organiques, les phlegmasies. En effet, il touche à toutes ces classes par des points de contact multipliés.

Les pyrexies semblent le réclamer puisque quelquefois avec une fièvre intense, il n'y a que de légères douleurs aux articulations. Telle était cette fièvre rhumatique de Sarcone qui consistait en lassitudes, en souffrances vagues dans le cou, le dos, la poitrine, qui se jugeait par des sueurs ou des urines copieuses. (1) M. Chomel admet une fièvre rhumatismale sans rhumatisme (2), comme les auteurs ont admis des varioles sine variolis. Mais aussi combien de fois le rhumatisme n'est-il pas exempt de fièvre? Ce symptôme n'en constitue donc pas le caractère essentiel.

Les douleurs rhumatismales que n'augmente pas la pression, qui sont sans tuméfaction, sans chaleur, plutôt avec un sentiment de froid, ne portent-elles pas le cachet d'un état nerveux, ne se rapprochent-elles pas des névralgies, ne peuventelles pas être classées parmi les névroses? Cela est évident.

Les altérations diverses dont les articulations sont le siége, par suite d'anciennes affections rhumatismales ou goutteuses, ces déformations considérables, ces concrétions, ces dégénérescences des ligaments, des cartilages, des synoviales; ces ankyloses qui ont le rhumatisme pour origine, ne prouvent-elles pas aussi que cette maladie doit appartenir aux lésions organiques? sans contredit: mais ces divers ordres d'affections auxquels le rhumatisme touche évidemment, ne le réclament que quand déjà il a parcouru un autre cercle.

Cette maladie commence, en effet, généralement par un état inflammatoire. S'il s'exaspère, c'est aussi sous cette forme qu'il se présente; on peut donc le considérer comme de nature phlegmasique; mais un simple aperçu, une allégation, ne suffisent pas; examinons donc cette question quelques instants.

Le rhumatisme aigu, dont les symptômes sont une tuméfaction plus ou moins considérable, une chaleur vive, un certain degré de rougeur, une douleur intolérable, une fièvre intense, ne permettent aucun doute sur le caractère essentiellement inflammatoire de l'affection; l'état couenneux du sang, l'augmentation considérable de fibrine constatée par MM Andral et Gavarret et par nous-même, donnent des preuves incontestables de la justesse de cette proposition. L'espèce de causes les plus ordinaires et le genre de traitement le mieux approprié peuvent encore être invoqués en sa faveur. Voilà qui est exact, inattaquable pour le rhumatisme aigu pyrétique; mais le rhumatisme aigu apyrétique ne rentre-t-il pas dans une catégorie différente. Les symptômes inflammatoires y sont, il est vrai, moins prononcés, mais ils existent; le sang est peu couenneux ou même ne l'est point; mais les antiphlogistiques locaux triomphent de la maladie. Elle peut donc être placée parmi les phlegmasies. Le rhumatisme chronique paraîtrait s'éloigner de cette classe; et cependant il est extrêmement susceptible d'exaspération, et alors il y rentre nécessairement, il s'y retrouve quand il devient pyrétique. L'examen des articulations ou des autres parties affectées de rhumatisme chronique y fait souvent découvrir des épaississements, des injections, des indurations, des afflux de liquides qui sont des suites évidentes d'un travail inflammatoire ; mais alors l'inflammation n'a pas été vive, n'a pas été aiguë, elle a été lente, modérée, sub-aiguë et constitue une phlegmasie chronique.

Ainsi considéré dans sa plus grande généralisation le rhumatisme appartient à la classe des phlegmasies, mais n'a-t-il pas quelque chose de spécial ? n'a-t-il rien qui le distingue des autres inflammations?

Il n'est pas une maladie qui n'ait sa physionomie propre, bien qu'on la range à

« PrécédentContinuer »