Images de page
PDF
ePub

par-là, une plante garnie de quelques feuilles ou dont la tige soit encore verte. Toutes les fanes sont noires et effeuillées; si l'on tire sur elles on n'amène que des racines dépourvues de tubercules et déjà profondément désorganisées. Il a fallu tirer un grand nombre de plantes pour rencontrer quelques rares tubercules à l'état rudimentaire, encore ceux-ci étaient-ils déjà atteints d'un commencement de pourriture.

Nous avons encore visité cinq ou six autres champs plantés de pommes de terre tardives, rouges ou bleues; mais nous n'avons plus pris de notes à leur égard, parce qu'ils se trouvaient absolument dans les mêmes conditions que les deux derniers dont il vient d'être question: partout les fanes étaient complétement détruites et les racines en voie de décomposition; partout bon nombre de plantes manquaient de tubercules; partout enfin les tubercules étaient très-petits, peu abondants et pour la plupart tachés.

Un autre jour notre examen s'est porté sur les plantations dépendantes de la commune d'Anderlecht, et voici quel a été le résultat de nos investigations.

Jer champ.

Pommes de terre rouges tardives; fanes complétement mortes; tubercules très-petits, rares et tachés.

2e champ. Pommes de terre blanches précoces, en état de maturité; tubercules plus petits et moins nombreux que les autres années; quelques-uns sont tachés.

-

3e champ. Pommes de terre bleues tardives; toutes les fanes sont noires; beaucoup de plantes ont les racines malades; les tubercules sont très-petits, peu nombreux et tachés.

4e champ. Pommes de terre rouges tardives; les fanes sont tout à fait anéanties; les tubercules sont assez gros, assez bien développés et sont moins tachés que ceux des plantations précédentes.

5e champ. - Pommes de terre rouges tardives; se trouvent dans les mêmes conditions que celles du champ no 4.

6e champ. — Pommes de terre blanches précoces; elles sont en état de maturité; les tubercules sont beaux et bien développés; quelques-uns sont légèrement tachés.

--

7e champ. Pommes de terre rouges tardives; fanes noires et desséchées; tubercules peu développés et tachés; racines en putréfaction.

8e champ.- Pommes de terre blanches précoces, mûres; tubercules volumineux, quelques-uns légèrement tachés.

9e champ. Pommes de terre bleues tardives; fanes noires, sèches et cassantes; racines malades et absence complète de tubercules à la plus grande partie des plantes.

Quelques autres champs nous ont fourni les mêmes résultats. Cependant, dans cette localité, les tubercules sont en général plus nombreux et plus développés que dans les localités où nous avons fait nos premières explorations. Cette différence tient à ce que dans le canton d'Anderlecht les pommes de terre ont été plantées de bonne heure, c'est-à-dire dans les premiers jours du mois de mai. Nous noterons enfin que près du village il y a quelques parcelles de terrain abritées de toutes parts par un puissant rideau de verdure, où les pommes de terre offrent encore une belle végétation et ont échappé au fléau dévastateur.

Dans notre troisième excursion, nous avons suivi la chaussée de Ninove et, étant arrivés à une lieue environ de distance de Bruxelles, nous avons visité les campagnes qui bordent la route des deux côtés.

ler champ. Pommes de terre rouges tardives; fanes mortes; plusieurs plantes sont dépourvues de tubercules, mais la plupart sont garnies de tubercules assez développés; les racines commencent à pourrir, et quelques tubercules sont tachés.

2e champ.-Pommes de terre bleues tardives; les fanes sont encore vertes, assez bien garnies de feuilles et plus saines que toutes celles que nous avons vues jusqu'à présent. Les tiges sont légèrement tachées. Les tubercules sont nombreux, assez gros, mais quelques-uns commencent à se tacher. Ces pommes de terre ont été plantées au commencement du mois de mai.

--

3e champ. Pommes de terre rouges tardives; fanes noires et effeuillées ; tubercules petits, peu abondants et tachés; beaucoup de plantes n'ont pas un seul tubercule; racines commençant à se pourrir.

4 champ. - Pommes de terre rouges tardives; fanes noires; tubercules petits et tachés; racines malades. Elles ont été plantées vers le milieu du mois de mai. 5e champ. Pommes de terre bleues tardives. Mêmes conditions. Ces deux champs appartiennent au même cultivateur, qui déclare qu'ils ont été ravagés, comme nous les voyons actuellement, en moins de deux jours, et qu'il n'y a plus rien à espérer de ces plantations.

6e champ.

Pommes de terre bleues tardives; fanes sèches et noires; tubercules très-petits, peu nombreux et tachés; racines malades.

7e champ. Pommes de terre rouges précoces; fanes effeuillées, mais assez vertes ; tubercules gros, bien développés; mais plusieurs, et même des plus beaux, offrent des taches.

Se champ. Pommes de terre rouges tardives; fanes détruites; tubercules trèspetits, peu abondants et tachés. Beaucoup de plantes sans tubercules; racines atteintes d'un commencement de putréfaction. Le propriétaire déclare qu'il a suffi d'une nuit pour détruire complétement les plus beaux champs de pommes de

terre.

Les campagnes de Jette et de Laeken ont été l'objet de notre quatrième exploraration, dont voici le résultat :

ler champ. Pommes de terre rouges tardives; fanes détruites; certains pieds offrent des tubercules assez développés, d'autres des tubercules très-petits, d'autres enfin n'en ont pas du tout ; tubercules tachés et ne tenant presque pas aux racines; celles-ci sont malades.

2e champ. Pommes de terre blanches précoces, plantées tard; les tiges sont encore vertes et ont encore quelques feuilles; les tubercules sont assez développés; taches rares.

3e champ. — Pommes de terre rouges tardives; fanes mortes, tubercules petits peu nombreux, fortement tachés; racines malades.

4e champ.

Pommes de terre rouges tardives, plantées vers le 15 mai; mêmes conditions que pour les précédentes.

5e champ. - Pommes de terre bleues tardives; fanes pour la plupart mortes; de loin en loin on trouve encore quelques feuilles vertes; racines malades; tubercules tachés, peu nombreux et petits.

6e champ. Pommes de terre blanches précoces; tiges encore vertes, mais sans feuilles; tubercules assez beaux et sains, mais peu nombreux.

7e champ.-Pommes de terre bleues tardives; fanes mortes; tubercules fortement tachés, petits, peu abondants; racines commençant à se pourrir.

8e champ. - Pommes de terre blanches tardives; tiges vertes, mais dépourvues de feuilles ; racines malades; tubercules peu développés, légèrement tachés. Ce champ est remarquable par la hauteur, la force et la vigueur des fanes; cette luxuriante végétation n'a pu que nuire au développement des tubercules.

9e champ. Pommes de terre rouges tardives; fanes mortes; racines malades; tubercules petits et tachés.

Tous ces champs sont des environs de Jette; les ravages y sont plus considérables que du côté d'Anderlecht et hors la porte de Ninove, et se rapprochent pour l'inten

sité de ceux que nous avons constatés du côté de Vleurgat et d'Uccle. Voyons maintenant dans quelles conditions se trouvent les plantations de pommes de terre aux environs de Laeken.

ler champ. - Pommes de terre rouges tardives; fanes mortes; la plupart des racines sont en voie de décomposition; il faut en examiner un grand nombre avant de découvrir des tubercules; ceux-ci sont très-petits, à l'état rudimentaire pour ainsi dire, et presque tous tachés.

2e champ.

Pommes de terre bleues tardives. Mêmes observations.

3e champ. Pommes de terre blanches précoces, en état de maturité; tubercules gros; quelques-uns sont tachés; beaucoup offrent, et en abondance, ces petits amas de fécule dont nous avons parlé plus haut.

Ces trois plantations occupent des terrains très-humides: les deux premières sont des plus malheureuses que nous ayons rencontrées.

4e champ. — Pommes de terre rouges tardives; fanes noires; racines malades; tubercules peu nombreux, assez développés, mais tachés.

5e champ. Pommes de terre bleues tardives; fanes encore vertes; quelquesunes ont encore des feuilles saines. Les tubercules sont assez gros, mais fortement tachés. Racines commençant à pourrir.

6e champ.

Pommes de terre rouges, longues, précoces; fanes détruites; tubercules bien développés, mais fortement tachés.

7e champ. Pommes de terre rouges et bleues tardives; fanes mortes; racines malades; tubercules petits, peu nombreux et tachés.

Se champ. Pommes de terre rouges tardives; fanes anéanties; racines malades; tubercules rares, à l'état rudimentaire et tachés; beaucoup de plantes sont dépourvues de tubercules.

Nous avions assez vu pour porter un jugement sur la maladie et nous former cette douloureuse conviction que la récolte était irrévocablement perdue. Toutefois, désireux de savoir si le mal avait cessé de faire des progrès et si, sous l'influence de conditions atmosphériques plus heureuses, il s'était produit quelques efforts favorables de la part de la nature, nous fimes encore deux visites aux champs que nous avions examinés en premier lieu. Ces contre-visites nous convainquirenti de plus en plus qu'il n'y avait plus rien à espérer des plantations de pommes de terre, car là où nous avions laissé des fanes encore vertes et garnies de feuilles, nous trouvâmes ces fanes tout à fait détruites, car les nouvelles pousses avaient même disparu et les tubercules étaient devenus malades.

Il résulte de tout ce qui précède que toutes les campagnes des environs de Bruxelles ont subi le même sort; que toutes les pommes de terre indistinctement ont été atteintes de la maladie, à des degrés différents, il est vrai, selon l'espèce, selon que la plantation a eu lieu plus tôt ou plus tard, selon l'exposition, la nature, le plus ou moins d'humidité des terrains, etc.; que les pommes de terre précoces, quoique en général moins grosses et moins nombreuses que les autres années, ont le moins souffert; que les pommes de terre tardives ou de provision ont été si gravement atteintes que beaucoup de plants n'ont pu fournir de tubercules, que la plupart n'en ont fourni que de très-petits, et que les tubercules existants sont à peu près tous frappés d'un commencement de décomposition ; que la récolte enfin sera nulle ou tout au plus le dixième d'une récolte ordinaire, et que, selon toutes les probabilités, la part minime qui a échappé au désastre ne se conservera pas.

Des causes de la maladie. — Examen des diverses opinions émises à cet égard. Quelle est enfin la véritable cause de la maladie. Les opinions les plus diverses et les plus contradictoires ont été émises sur la nature et principalement sur les causes de la maladie. Il n'est pas une de ces opinions, si bizarre qu'elle soit, qui n'ait fait

des prosélytes et trouvé des défenseurs. Cela n'a rien d'étonnant, car, dans tout événement imprévu intéressant la société tout entière, tout le monde aime à raisonner: d'où cette conséquence nécessaire, inévitable, que le public, ébloui par une apparence de vérité, adopte une opinion plutôt qu'une autre, sans se douter que celle qu'il adopte ne lui paraît approcher de la vérité que parce qu'il est en général peu compétent pour discerner le vrai du faux, l'erreur de la vérité.

S'il importe peu pour le présent, il peut au moins importer grandement pour l'avenir de démontrer les erreurs commises et de déterminer la véritable cause du mal. Nous examinerons donc rapidement les opinions publiées dans ces derniers temps, en ne nous arrêtant, pour les réfuter sérieusement, qu'à celles qui ont acquis quelque importance, soit par le nom de leurs auteurs, soit par les discussions auxquelles elles ont déjà donné lieu.

La première que nous rencontrons est celle de M. le comte d'Ex, qui, dans une lettre adressée au Messager de Gand, attribue la maladie à la température élevée de l'atmosphère. Voici l'explication qu'il a donnée du phénomène : « Cette année, les pluies ont été abondantes, mais précédées ou suivies de l'apparition du soleil; ou bien elles ont été les avant-coureurs ou les résultats d'orages continus, qui laissaient après eux une chaleur moite, et qui, selon leur coutume, ne rafraîchissaient pas l'atmosphère. Ces phénomènes ont eu lieu 5 ou 6 fois, et plus, le même jour. Le fluide électrique, qui influe si avantageusement sur la végétation, joint aux pluies chaudes, a fait pousser les pommes de terre de la manière la plus vigoureuse, et par cette raison leurs tiges, leurs feuilles étant plus tendres, ont été presque rouies, desséchées, et par suite ont péri. L'état atmosphérique qu'elles avaient subi leur avait donné une prédisposition à devenir malades. En effet, leurs tiges, leurs feuilles étant, si je puis m'exprimer ainsi, plus molles, plus herbacées et munies de plus de pores, devaient de toute nécessité être plus sensibles à l'impression d'une chaleur atmosphérique à la fois plus élevée et plus qu'ordinaire, qui, jointe à une humidité qui agissait coup sur coup sur une plante après ces diverses et alternatives dessiccations, devait la rendre malade. »

Comme on le voit, cette opinion ne manque pas d'une certaine apparence de vérité; mais, pour peu qu'on réfléchisse, elle ne paraît plus soutenable. Une plante des régions intertropicales ne craint point ces alternatives de chaleur et de pluie. Ces alternatives ne sont pas rares dans nos climats, et si elles pouvaient amener des désastres comme celui que nous déplorons aujourd'hui, nous aurions à trembler tous les ans pour nos plantations de pommes de terre.

D'après M. le docteur Gravet, qui a publié une lettre sur la maladie régnante, dans les journaux de Courtrai, la source du fléau se trouve dans les tubercules mêmes, qui sont arrivés, dit-il, à un état de décrépitude et de vieillesse exigeant impérieusement un rensemencement.

La même opinion, ou du moins une opinion ayant quelque analogie avec celle de M. Gravet, a été émise par deux savants allemands, MM. Wahlen et Mayer, qui pensent que la maladie est le résultat d'une dégénération, d'une faiblesse du germe.

Il n'y a qu'une objection à faire aux opinions de ces messieurs; c'est qu'il serait assez étonnant et très-extraordinaire que cet état de décrépitude du tubercule, que cette dégénération, cette faiblesse du germe, se manifestassent ainsi tout à coup, d'une manière imprévue, sans qu'on se soit aperçu les années antérieures que les différentes espèces de pommes de terre perdaient en qualité et ne répondaient plus à l'attente du cultivateur. Nous savons qu'on a écrit que depuis l'année 1843 la récolte des pommes de terre a été en diminuant ; nous le croyons, mais aussi a-t-on vu beaucoup d'étés comme ceux de 1844 et de 1845? Nous ne pouvons admettre la dégénération du tubercule, parce qu'il y a trois mois que Pon man.

geait encore d'excellentes pommes de terre de l'année dernière, parce que jamais elles n'ont présenté un si bel aspect, une végétation si riche, si puissante que cette année, parce que enfin jamais peut-être récolte n'aurait été plus belle et plus abondante sans les circonstances atmosphériques exceptionnelles que nous décrirons plus loin.

Nous arrivons à la théorie des parasites, qui a pour auteurs ou propagateurs l'auteur d'un article inséré dans l'Organe des Flandres, M. le docteur Van Oye, de Thourout, Mile Libert, de Malmédy, et M. Ch. Morren, de Liége. C'est l'opinion de M. Morren que nous soumettrons à un examen sévère, car sa qualité de professeur d'agriculture et d'économie forestière nous en fait un devoir, à raison de la compétence toute particulière qui semble devoir résulter de cette qualité, et de l'influence que pourrait exercer l'opinion de cet auteur.

M. Morren, comme on le sait, prétend que la maladie doit son origine au développement d'un champignon, d'un botrytis, qui pullule et se reproduit par milliards. Selon lui, le mal se déclare par une tache jaune sur les feuilles des parties supérieures; le lendemain ou deux jours après la formation de cette tache, se montre à la partie inférieure des feuilles un duvet blanchâtre, qui n'est autre chose que le funeste botrytis. La tige reçoit l'influence délétère; par-ci, par-là son épiderme brunit, noircit, et quand on suit au microscope les phases du mal, on s'aperçoit bientôt que c'est par l'écorce que la tige est attaquée. L'agent morbide porte son action de l'écorce sur l'épiderme, et bien que celui-ci ne montre pas toujours des champignons, il n'en est pas moins frappé de mort. La séve devient malade, mortifère; elle porte le poison de la feuille dans la tige, et celle-ci périt. Alors les feuilles se sèchent et meurent, la fane noircit, et, frappée de mort par un champignon vénéneux, elle tombe pour propager malheureusement la source du fléau ou déposer ses germes dans la terre. L'infection descend bientôt de la tige dans le tubercule lui-même, attaque là la partie corticale, et, au bout de trois jours au plus, le botrytis se fait jour au dehors, se manifestant sous forme d'efflorescence blanche d'abord sur les yeux des tubercules, puis sur toute leur surface. Telles sont, en quelques mots, l'opinion de M. Morren et la manière dont il explique l'action mortifère du botrytis. Assurément l'explication paraît assez claire, et nous concevons qu'elle ait pu subjuguer quelques esprits. Toutefois il est un premier fait qui renverse cette brillante et scientifique théorie des botrytis, c'est que la maladie n'a pas tout à fait marché comme nous venons de le dire d'après M. Morren, et qu'on peut prouver par une foule d'observations que des campagnes d'une vaste étendue ont été ravagées en une seule nuit ; que là où il y avait encore le soir une belle et saine végétation, on trouvait le lendemain matin toutes les sommités noircies et complétement grillées.

Pour dévaster tout un pays, les botrytis ont dû être très-nombreux et se rencontrer partout à foison. Eh bien, nous affirmons que nous n'avons que rarement rencontré des moisissures ou des champignons; nous disons rarement, parce que nous avons visité beaucoup de plantations et que les botrytis ne se sont montrés que dans quelques champs très-humides et où les pommes de terre étaient déjà dans un état avancé de décomposition. Et cependant nous les avons bien cherchés, ces botrytis! et nous avions à notre disposition des yeux, des loupes et des microscopes.

M. Morren en a vu partout; le hasard ou les localités l'ont sans doute favorisé. Nous le voulons bien; nous reconnaissons même avec lui qu'on trouve des botrytis sur les feuilles, les tiges, les racines et les tubercules, mais nous disons que c'est là l'exception, et que ces botrytis sont la suite, la conséquence du travail de décomposition auquel ces parties sont soumises, et non la cause primordiale de la maladie. Sans doute les botrytis, comme les cryptogames en général, sont doués

« PrécédentContinuer »