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DE MÉDECINE.

(AOUT 1845.)

I.- MÉMOIRES ET OBSERVATIONS.

CLINIQUE CHIRURGICALE DE L'HOPITAL SAINT-PIERRE.

(Service de M. le professeur Seutin.)

Revue générale des principaux cas de chirurgie qui se sont présentés pendant [le 1o semestre 1845; par P. J. DERIDDER, Élève interne audit hôpital.

§ler. FRACTURES. La question du traitement des fractures étant à l'ordre du jour dans le monde chirurgical en Belgique, M. Seutin ne néglige aucune occasion d'appeler l'attention de ses élèves sur ce point important de la thérapeutique. Par des faits, plutôt que par des considérations théoriques, il tâche toujours de les prémunir contre les insinuations plus ou moins suspectes de certains praticiens, et contre les craintes que ces derniers pourraient leur faire partager en faisant sonner bien haut les mots : accidents formidables, gangrène, sphacèle, etc.

Il leur fait voir, à l'évidence, que si l'on a des accidents à déplorer, cela ne tient aucunement à un défaut de sa méthode, mais plutôt à l'ignorance ou à la négligence des principes qui en règlent l'application; et tous ont l'occasion de se convaincre, par des faits aussi nombreux que variés, qu'il serait aussi ridicule de rejeter la méthode amovo-inamovible de crainte d'avoir des accidents, que de proscrire la phlebotomie de crainte d'ouvrir l'artère.

Les cas de fracture furent comparativement très-nombreux pendant ce semestre: sur un total d'environ 180 blessés qui ont séjourné à l'hôpital et dont quelques-uns y sont encore en traitement, on compte 28 cas de fracture répartis comme suit : Fracture du col du fémur.

de la cuisse

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N. B. Le 30 juin il est entré une fracture oblique du sémur au tiers supérieur de la cuisse droite. L'homme a marché le troisième jour; déjà il se trouve dans la cour avec ses camarades.

Dans ce chiffre, ne sont pas compris les nombreux cas de fracture qui se présentent journellement à la consultation gratuite. Là, les blessés atteints de fracture simple sont pansés sur-le-champ, et s'en retournent immédiatement dans leur famille.

On se contente de leur recommander de revenir aussitôt après la dessiccation de l'appareil, ou avant cette époque s'ils venaient à ressentir la moindre dou

leur. Outre l'économie qui en résulté pour l'établissement, cette pratique offre quelque chose de bien important en ce qu'elle permet de ne pas devoir arracher parfois les membres les plus utiles d'une famille aux soins et aux sollicitudes d'un ménage dont ils sont l'unique soutien.

Quand on saura que le nombre des cas dont il s'agit, s'élève au tiers de la somme totale, on ne sera plus étonné du chiffre comparativement plus élevé que fournit la statistique d'autres hôpitaux, dans lesquels il faut un lit pour la fracture la plus simple, et où celles tant soit peu compliquées réclament un atelier de menuisier en permanence; sans parler encore de tout l'attirail compliqué des lits mécaniques qui, à St.-Pierre, n'ont jamais frappé la vue des élèves, et se trouvent, vermoulus, relégués au grenier.

On trouvera à la fin de ce travail un relevé qui pourra donner une idée de l'avantage que cette méthode permet de réaliser sous le rapport de l'économie. Il fut dressé en 1840, par M. le professeur Simonart, alors interne à St.-Pierre.

Il faudrait s'aveugler volontairement pour ne pas être charmé de la simplicité de la méthode de M. Seutin, et ceux qui l'ont vu à l'œuvre ont de la peine à croire à l'existence de certaines objections formulées contre cette méthode. Et d'abord, la compression: M. Seutin, ne cesse de dire à ses élèves, comme du reste, il l'a écrit dans ses mémoires, qu'il n'en veut pas de la compression; qu'il la rejette comme dangereuse. Ce qu'il recommande à ses élèves, c'est une contention méthodique, douce, mesurée, parfaitement égale partout, n'agissant jamais sur des éminences non garnies, et suivant pas à pas le retrait des chairs. Dans le but de ne voir jamais cette contention passer à la compression, il préconise dans son cours l'emploi de ce qu'il a dénommé compressimètre ou plutôt sphengomètre (opıyııı, embrasser étroitement). Voici en quoi il consiste : C'est un cordon d'une résistance convenable, de la largeur d'un demi-pouce (simplement un cordon gris ordinaire) d'une longueur un peu plus grande que celle du bandage, de manière à en dépasser les extrémités de quelques travers de doigts. Ce cordon, préalablement graissé, pour ne jamais être retenu par un peu d'amidon, qui aurait pu suinter à travers les bandes, est appliqué immédiatement sur le membre dans la direction que doivent parcourir plus tard les ciseaux.

Il est triple, le but qu'on se propose dans l'emploi de ce cordon. Par son glissement plus ou moins facile, il sert en premier lieu à indiquer le rapport qui existe entre les différents diamètres du membre et les différents axes du bandage. Ce rapport est l'expression fidèle du degré de contention convenable que l'on doit obtenir. Aussi, le moindre changement que le compressimètre y accuse (dans ce rapport) indique ou le relâchement du bandage ou le passage de la contention convenable à la compression nuisible, et même les tendances vers ces deux états. Ensuite il garantit le membre contre l'impression fâcheuse qui pourrait résulter de l'application d'une légère traînée d'amidon qu'on conseille de ménager aux endroits du passage des ciseaux, dans le but de faciliter le jeu de ces derniers. Enfin, ce cordon sert à conduire les ciseaux dont il empêche le contact immédiat avec le membre. Il prévient ainsi des blessures, que des personnes non habituées au maniement des ciseaux, pourraient occasionner à leur blessé ; et remarquons-le bien en passant, ces dernières ne manquent jamais de rejeter sur la méthode ce qui tient à leur peu d'habitude, je n'oserais me servir d'une autre expression. Au surplus, et toujours dans le même but, M. Seutin conseille de tendre la peau dans une direction opposée à celle que doit suivre son secateur, dont au reste la confection a été modifiée de manière à pouvoir se dispenser de ces précautions.

Un semblable compressimètre fut, comme toujours et partout, employé dans le traitement du nommé Van Hoeter, qui offrit au professeur de St.-Pierre l'occasion de faire voir à ses élèves et à des professeurs distingués d'établissements nationaux,

voire même à des membres de la Commission chargée du rapport sur la communication faite en 1844, à l'Académie royale de médecine; de faire voir, dis-je, combien sa méthode l'emporte sur les autres dans les fractures obliques de cuisse. Tandis qu'il répondait à toutes les objections possibles, il démontrait ipso facto que le raccourcissement du membre est bien minime en comparaison de celui que l'on obtient par toute autre méthode. Je crois que les quelques détails historiques recueillis au fauteuil du blessé mettront le lecteur à même d'asseoir un jugement équitable.

Le nommé Van Hoeter (Alexandre), âgé de 51 ans, d'une stature athlétique, est transporté à l'hôpital St.-Pierre dans la matinée du 24 mars. En glissant d'un talus, il vient de faire une chute de sa hauteur. On constate une fracture oblique au tiers supérieur du fémur gauche; le membre est considérablement tuméfié.

A l'instant même, on applique le bandage amidonné, sans négliger le spica, comme cela se fait dans les cliniques de certains hôpitaux. L'extension et la contreextension sont faites à la manière ordinaire de M. Seutin, décrite par MM. Simonart et Pourcelet dans le Traité du bandage amidonné du docteur Seutin, page 346, édit. 1840. Le lendemain, ce bandage n'étant pas parfaitement desséché et n'offrant conséquemment point toutes les conditions avantageuses à être sectionné, le professeur n'eut point de quoi s'inquiéter, parce que l'inspection immédiate du membre ne lui était pas permise. Le glissement facile du cordon (sphengomètre), la couleur et la chaleur naturelle des orteils, et les sensations du blessé étaient là pour le rassurer et pour faire évanouir toute crainte d'accident ou de gangrène qui, pour le dire en passant, n'est qu'un mot de huit lettres pour ceux qui suivent fidèlement sa méthode. Mais la connaissance détaillée de cette dernière ne s'acquiert que par la pratique. Du reste, les aveux sincères de la part d'hommes éminents qui, après la visite, ne rougissent pas de déclarer vis-à-vis des élèves qu'ils viennent seulement d'apprendre plusieurs points de cette méthode, sont bien faits pour expliquer cette espèce de résistance à la généralisation de l'appareil amovo-inamovible.

Le second jour, le bandage est sectionné le long du sphengomètre, malgré la persistance des motifs de tranquillité de la veille, car il convient d'en faire la remarque, l'inventeur de la méthode amovo-inamovible, loin de se fier uniquement aux sénsations éprouvées par le malade, aux indications du compressimètre et à l'examen des extrémités préfère l'inspection immédiate du membre, chaque fois que cette dernière peut se faire sans inconvénient. Il ne se le cache pas, une plicature de bande, un petit coin de carton peuvent produire une pression d'où résulte une rougeur qui, peu apparente d'abord, finirait bientôt par être douloureuse. Alors, et sans que le malade en souffre le moins du monde, il lui est loisible de parer à ces petits inconvénients, de les prévenir même, soit en effaçant les plicatures des bandes, soit en corrigeant le carton, soit en ménageant convenablement une légère couche d'ouate.

Le troisième jour, le retrait des chairs s'étant opéré jusqu'à un certain point, on trouva que le bandage n'embrassait plus assez immédiatement le membre, surtout a cuisse ; chose dont on s'assura facilement par la sonoréité à la percussion, le Fissement trop libre du compressimètre et l'interposition facile du doigt entre le nembre et le bandage.

"'est dans cette occurrence, qu'il s'agissait de rassurer ceux qui auraient pu partaer, avec certains praticiens, la crainte exagérée que le retrait des chairs étant opéé, l'os peut se mouvoir librement dans le bandage, à l'instar d'un battant de cloce. Voici comment M. Seutin s'y prit pour éluder ce phénomène résultant de la marne heureuse des choses. Pouvant, pour un moment, perdre de vue la jambe, qui pysiologiquement ne devait pas subir des changements notables de volume, il incisales deux valves latérales perpendiculairement et au niveau de la partie

supérieure de la rotule,'dans l'étendue du tiers de la circonférence totale du bandage, de manière à ménager encore, à la cuisse, une assiette dont la base va en s'élargissant à mesure que l'on approche de la racine du membre. Cette pratique, disons-le en passant, n'ôte rien à la solidité dufbandage. Au reste, après l'inspection du membre, rien n'empêche de poser au niveau de la solution de continuité, deux petits morceaux de bois, de zinc, de fer-blanc, de carton non mouillé, etc., car M. Seutin n'est nullement exclusif et sa méthode est excessivement complaisante. Elle permet, dans l'espèce, de visiter isolément le membre, l'une moitié après l'autre ; et si, comme le recommande M. Seutin, l'on prend la précaution de faire embrasser par les mains d'un aide, et le membre et une valve latérale, pendant qu'on écarte l'autre, il y a impossibilité physique au dérangement de la coaptation. Ces sections opérées, M. Seutin coupa des languettes en biseau, aux dépens des faces opposées des valves latérales, de manière à permettre un chevauchement convenable de ces dernières; par là, son bandage embrassait de nouveau le membre aussi étroitement qu'il le fallait. Dans des séances subséquentes, il parvint à rétablir le rapport convenable entre le bandage et le membre, par l'interposition de coussins de grandeur appropriée; ainsi, il démontra à son auditoire que, avec sa méthode, il lui était bien facile de suivre le retrait des chairs, pas à pas et sans le perdre un moment de vue, et de notre côté, nous restions convaincu que, dans le cas même où il serait survenu une atrophie considérable du membre, on n'aurait pas dû changer le bandage.

L'idée des mouvements que semblent redouter certains praticiens, doit paraître encore plus étrange après un examen attentif de la configuration du bandage.

En effet, il est tellement moulé sur le membre, que les inégalités anatomiques de ce dernier (malléole, mollet, genou), ne permettent aucun déplacement, surtout sur sa longueur, et déterminent ainsi une presque impossibilité de raccourcissement, lorsque la coaptation a été bien faite et que le membre fracturé a été soumis à une extension et à une contre-extension méthodiques jusqu'à dessiccation du bandage. Dans ces différentes inspections du membre, qui se continuent jusqu'à l'époque de la parfaite consolidation (environ deux mois, époque à laquelle on constata un raccourcissement de deux lignes tout au plus), M. Seutin, dans le but de se passer d'aide et d'éviter les mouvements, conseilla de se servir de courroies bouclées qui, glissées sous le bandage, le fixent instantanément. De petits cordons, passés dans l'épaisseur des bandes, remplissent le même office pour le spica. D'après un essai récent, une courroie bouclée, de longueur convenable, peut constituer un spica supplémentaire dont l'application ne demande aucun mouvement de la part du malade.

C'est surtout dans les cas de fractures comminutives et compliquées que notre maltre nous fit voir les avantages de l'application immédiate de son bandage amovo-inamovible. Bien souvent il prévient par là les accidents inflammatoires qui sembleraient imminents. Dans les cas cependant où la suppuration est inévitable, par le fait même de la gravité de la lésion, il nous a démontré à l'évidence. non par la théorie, mais par des faits, que sa méthode. loin de rendre les pansement impossibles, les simplifie singulièrement, et que toujours ces derniers se font sar le moindre dérangement des fragments coaptés, et sans occasionner la moinde souffrance au blessé. Les quelques détails qui suivent mettront le lecteur au courat des faits dont il s'agit.

Elsought (Henri), âgé de 47 ans, constitution détériorée, est transporté à l'hôstal St.-Pierre le 26 décembre 1844, deux heures après avoir reçu une ruade de cheva On constate une fracture du tibia droit au quart supérieur. Une esquille de trois paces, non entièrement détachée, montrait quelques lignes de son extrémité supé eure à travers une petite plaie. Réunion de la plaie et application immédiate & ban

dage amidonné qu'on eut soin de faire remonter au delà du genou, vu l'endroit élevé de la fracture. Saignée; tartre émétique en lavage; glace pilée en permanence pendant quinze jours.

Le malade se trouve sans douleur les deux premiers jours, mais le décubitus dorsal qu'il avait tenu jusqu'à la dessiccation du bandage, exaspère son affection de poitrine, et la bronchorrhée se complique de pneumonie hypostatique. C'est alors que M. Seutin nous fit constater un avantage précieux de sa méthode, en ce qu'elle permet au blessé de prendre des attitudes variées. En effet, la position assise dans un fauteuil qu'on put lui permettre, contribua singulièrement à la résolution de l'hypostase qui aurait infailliblement conduit le malade au tombeau. Dès ce jour, tout se passe régulièrement; les fenêtres ménagées au bandage permettent de remplir toutes les indications.

Le 15 janvier, l'ouverture première de la peau étant devenue insuffisante, on y passe un séton qui sort à deux pouces de distance à la partie interne et déclive du membre, et ainsi l'on facilite l'issue du pus.

Les pansements se font avec la plus grande facilité et sans souffrance pour le blessé, qui, vu la rigueur de la saison, se promène à béquilles de long en large dans les salles.

Le 18 mars, le blessé accuse de la douleur à la cuisse. On a remarqué depuis quelques jours, une diminution de la suppuration. A l'ouverture du bandage, on trouve une petite ouverture fistuleuse au tiers supérieur interne de la cuisse; le pus avait fusé jusque-là. Cautérisation de l'ouverture. Compresse-longuette sur le trajet fistuleux. Depuis, on n'a plus rien observé du côté de la cuisse. Mème séance : incision d'un pouce au niveau de l'extrémité inférieure de l'esquille. Une injection démontre la communication des trois ouvertures avec le même foyer.

Le 24 mars, la suppuration a réduit l'appareil à un état tel qu'on se décide à en remettre un nouveau.

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Le 30 mars, extraction d'une esquille. On en abandonne une seconde parce qu'elle tient encore trop fortement.

Le 28 mai, incision d'un pouce et demi par laquelle on extrait une esquille de deux pouces de long sur trois lignes de large. Le lendemain, on retrouve encore deux petites esquilles dans le pansement.

Le 7 juin, on constate la consolidation. On ôte le bandage et on trouve tout le membre comme tanné.

Il n'y a pas d'ankylose au genou, grâce aux mouvements qu'on avait eu soin de lui imprimer depuis longtemps.

Van den Neucker (Théodore), âgé de 38 ans, charretier, est transporté à l'hôpital St.-Pierre, le 13 mars 1845. La roue d'un chariot chargé d'au delà trois mille livres de houille, vient de lui passer sur la jambe gauche, à un pouce au-dessus des malléoles. Le membre abandonné à lui-même simule un fléau. Par le toucher, on découvre d'abord une espèce de vide, dans une étendue qui rappelle la largeur de la roue; par une légère pression on sent une foule d'esquilles, ce qui donne la sensation comme si on palpait un sac de noisettes. Une plaie circulaire, de deux à trois lignes de lumière, fournit un écoulement abondant de sang rouge.

Application immédiate du bandage amidonné.

Pansement de la plaie.
Plaques en zinc pour la suppuration à venir.

Le lendemain, le blessé va bien ; il n'a plus souffert depuis l'application du bandage. Il y a eu un léger suintement de sang qui rougit le bandage. Section de ce dernier en présence de M. le président de l'Académie royale de médecine. — Le membre est dans une situation très-rassurante; l'hémorrhagie a cessé. Une fenêtre est pratiquée vis-à-vis de l'endroit écrasé; on garnit les bords de l'ouverture

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