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choses égales d'ailleurs, agir, de préférence au négatif, avec plus de force sur le système nerveux ; à moins, ajouterai-je, qu'on veuille faire usage de très-forts courants, lesquels, loin d'opérer utilement comme moyen thérapeutique, ne peuvent qu'offenser et attirer la texture intime si compliquée et si délicate de l'organe de la vue.

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Sur la cautérisation actuelle du col utérin. Une longue série de caustiques solides ou liquides ont été préconisés et abandonnés dans le traitement des ulcérations du col utérin. Nous ne les citerons même pas. Le nitrate d'argent, le nitrate acide de mercure, le caustique de Vienne sont seuls employés dans la pratique générale.

Le premier convient dans les ulcérations superficielles, caractérisées par l'absence de l'épithélium et une légère granulation. On l'applique en crayon ou en solution avec un pinceau. Les chirurgiens croient avoir remarqué qu'il rapproche les époques mensstruelles, comme s'il avait pour effet de congestionner l'utérus.

Le nitrate acide de mercure jouit d'une sorte de popularité. On dirait un spécifique. Beaucoup de praticiens ne connaissent pas d'autre caustique pour les ulcérations du col utérin, et ne se laissent pas décourager alors même que des applications réitérées de ce modificateur sont restées inefficaces. Il faut bien savoir pourtant qu'il n'attaque pas les tissus assez profondément pour réussir lorsque l'altération s'est beaucoup étendue suivant l'épaisseur de la partie. Son application n'est pas douloureuse dans le moment où elle a lieu; mais, souvent, on peut même dire généralement, dans les vingt-quatre heures qui suivent, l'opérée éprouve des coliques, des maux de reins et des élancements dans le col. On a observé quelquefois le ptyalisme, accident qui est prévenu sûrement par une injection aqueuse au moyen de laquelle on entraine les portions non combinées du caustique; mais cette injection peut affaiblir l'action de celui-ci. Nous ne parlons pas de la saveur métallique perçue par quelques malades, premier effet de l'absorption. Notons bien que, dans un très-grand nombre de cas, la cautérisation avec le nitrate acide de mercure donne les résultats les plus avantageux.

Le caustique de Vienne est plus énergique que le sel mercuriel; mais on lui rcproche d'être d'une application difficile, de pouvoir, en se liquéfiant, se répandre sur les parois du vagin, d'agir à une profondeur qu'il est impossible de calculer d'avance, de produire des eschares qui ne se détachent qu'au bout d'un long temps, et qui

laissent après elles des tissus peu modifiés.

Tels sont les caustiques employés communément. (M. Jobert (de Lamballe), dans un grand nombre de cas, leur substitue le cautère actuel. Il n'a pas imaginé cette méthode, mais, en réalité, ce qu'on en avait dit est peu important et n'avait produit aucune impression. D'ailleurs, il n'est pas nécessaire de défendre M. Jobert à cet égard puisqu'on ne l'attaque pas encore. Sa méthode. quoiqu'il s'en occupe depuis 1830, n'en est pas à la période de convoitise. Plus tard on fera valoir une phrase de Celse, ce passage dubitatif de Percy : Ne pourraiton pas, dans certaines affections malignes et rebelles du vagin et du col de l'utérus, faire usage du feu, soit pour dessécher, soit pour brùler; » enfin un cas, cité par Boivin et Dugès, et dans lequel Larrey proposa la cautérisation avec le fer rouge pour remédier à une ulcération cancéreuse. Toujours est-il que, jusqu'ici, la cautérisation du col utérin par le fer rouge était sur le papier à l'état de point d'interrogation.

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Nous avons vu cautériser au fer rouge un grand nombre de femmes à l'hôpital Saint-Louis; nous pouvons affirmer que pas une n'a exprimé la plainte la plus légère, et que toutes celles que nous avons interrogées nous ont dit et répété que l'opération ne leur avait causé aucune espèce de douleur.

Ce résultat serait expliqué, dit-on, par l'anatomie. Les recherches les plus minutieuses faites par M. Jobert, et après lui par d'autres anatomistes, n'ont pu démontrer la présence de filets nerveux dans le museau de tanche. La portion d'utérus comprise dans le vagin ne reçoit pas de nerfs, et il en est ainsi dans toutes les espèces animales que M. Jobert a étudiées à ce point de vue. Les nerfs de la matrice, fournis les uns par le tri-splanchnique, les autres par le plexus sacro-lombaire, se portent sur la partie du col située au-dessus du vagin où ils forment un entrecoisement auquel convient parfaitement le nom de plexus utérin qui lui a été donné par M. Jobert, et d'où partent des filets ascendants ou utérins, des filets descendants ou vaginaux. Ainsi filets utérins, pour toute la portion de l'utérus qui est au-dessus de l'insertion vaginale; filets vaginaux, qui s'épuisent dans le vagin; mais pas de filets pour la portion intra-vaginale du col; partant, dit-on, point de sensibilité dans cette portion. On explique de cette manière que la cautérisation avec le fer rouge ne donne lieu à aucune douleur. (Il en est de même, bien entendu, de la cautérisation potentielle.)

Mais que de mystères dans la sensibilité !

Voilà une portion du col utérin qui n'accuse aucune impression; on la coupe, on la brûle, pas de douleur; l'inflammation va s'en emparer, les élancements les plus douloureux s'y feront sentir. Il en est de même du péritoine. Pincez-le, cautérisez-le, pas un cri ne sera poussé par l'animal sur lequel vous expérimenterez ; qu'une inflammation s'y développe, aussitôt les douleurs les plus atroces vont éclater!

Ne nous étonnons pas que la portion intra-vaginale du col soit insensible aux irritants physiques ou chimiques les plus énergiques. Il fallait que la sensibilité élective qui ouvre à l'agent fécondant les voies profondes de la génération, ne fût pas troublée par les vicissitudes de la sensibilité tactile. Mais tout en constatant l'insensibilité de cette portion du col aux irritants physiques ou chimiques, comme nous sommes obligé d'y admettre une sensibilité morbide qui, pour parler le langage de Bichat, marque le passage de la sensibilité organique à l'état de sensibilité animale, n'acceptons que dans une certaine mesure les données de l'anatomie. Disons, avec M. Jobert, que l'on ne voit pas de filets nerveux dans le museau de tanche; mais bornons-nous à cette déclaration, et ne concluons pas que l'élément nerveux n'y est pas présent. Cet élément n'existe pas seulement sous la forme visible de filets, et il peut, que disons-nous, il doit y avoir des émanations nerveuses imperceptibles de la portion sus-vaginale du col dans la portion intravaginale.

L'opération est pratiquée à l'aide de tiges de fer terminées par un bout renflé, et d'un spéculum en ivoire, c'est-à-dire, mauvais conducteur du calorique. On absterge le museau de tanche avec des pinceaux de charpie, et l'on applique le fer chauffé à blanc sur la surface malade, en l'y maintenant plus ou moins longtemps, selon qu'il est nécessaire d'agir plus ou moins profondément.

Il faut que le fer soit chauffé à blanc, pour que la destruction soit prompte, et pour qu'en le retirant on n'arrache pas l'eschare qui vient d'être produite. Ensuite on doit éviter soigneusement qu'aucun pli du vagin ne soit compris dans le spéculum, attendu qu'il serait brûlé, ou tout au moins fortement affecté par la chaleur.

Pendant les vingt-quatre heures qui suivent la cautérisation, les malades n'éprouvent d'autres symptômes que l'augmentation à peu près constante de l'écoulement, dont la matière reste la même ou se modifie, et devient parfois sanguinolente.

Plus de cinq cents cautérisations au fer rouge ont été pratiquées par M. Jobert, et

dans aucun cas, il faut que cela soit bien entendu, il n'y a eu d'accident.

L'élimination de l'eschare est plus ou moins prompte suivant que le tissu du col est ramolli, infiltré de liquides ou dense. Communément elle a lieu du quatrième au septième jour. Elle laisse à découvert une surface rouge qui est, en général, dans de bonnes conditions pour la cicatrisation. Celle-ci se fait de la circonférence au centre; mais non pas toujours régulièrement. Ainsi, quelquefois, des points sont cicatrisés et séparés l'un de l'autre par des plaques encore ulcérées ; puis, les points se multiplient, s'étendent, et la cicatrice devient complète. Il faut se garder de troubler ce travail par une nouvelle cautérisation au fer rouge. On peut seulement toucher les points encore ulcérés avec le nitrate acide de mercure. D'autres fois, au lieu de points, ce sont des lignes, et l'on a la disposition étoilée.

Rarement une cautérisation suffit. On peut y revenir tous les huit jours. Quand on a dû la réitérer, il reste au centre du museau de tanche une dépression infundibuliforme.

Des femmes. impatientes de guérir, ont trompé M. Jobert en lui disant qu'elles étaient éloignées de leur époque menstruelle, tandis qu'elles devaient avoir leurs règles le jour même, le lendemain ou le surlendemain; il les a cautérisées, et l'éruption a eu lieu comme de coutume. M. Jobert ne recommande pas moins, avec raison, de s'abstenir à l'approche des règles.

Quant aux cas dans lesquels la cautérisation au fer rouge est applicable, on peut dire que ce sont tous ceux dans lesquels on emploie les caustiques potentiels (sauf les ulcérations superficielles), et ceux dans lesquels on a préconisé l'excision du museau de tanche. S'il faut exprimer toute notre pensée, nous croyons que la cautérisation actuelle aura pour résultat de faire disparaitre de la pratique cette dernière opération, et assurément nous ne la regretterons pas.....

La cautérisation au fer rouge a contre elle l'effroi qu'elle inspire aux gens du monde. C'est au médecin consciencieux à dissiper des craintes que rien ne justifie, en invoquant l'autorité toute-puissante des faits.

(Gazette des hôpitaux, No du 7 juin 1845.)

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bles aux efforts les plus audacieux de l'art. Elle se place donc tout naturellement à côté des beaux faits publiés par M. Amussat, malgré toute la différence des résultats. Sous ce rapport même, on peut la considérer comme non moins importante, puisqu'elle fournit à ces cas de guérison le complément précieux des données d'anatomie pathologique.

Mlle J. B., âgée de 47 ans, n'ayant jamais eu d'enfants, toujours bien réglée, avait vu depuis 10 ans environ s'établir des métrorrhagies qui finirent par amener un état anémique grave; joues et lèvres pâles ct exsangues, visage profondément ridé, cœur battant avec violence, pouls précipité, bruit de souffle très-fort dans les carotides et l'innominée, oppression, forces anéanties, appétit nul. M. L. Boyer, examinant les organes génitaux, trouva le vagin étroit et sensible, l'utérus augmenté de volume. Le col offrait à peu près la forme de la petite extrémité d'un œuf et se continuait avec le corps plus volumineux que lui. Par le palper abdominal, on sentait bien que l'utérus en totalité était refoulé en bas, mais la main ne parvenait pas à sentir le corps de l'utérus encore contenu dans le petit bassin, L'ouverture du col était arrondie, petite, située un peu en arrière et à gauche de son extrémité inférieure. La pulpe du doigt ne pouvait y pénétrer. Une sonde droite y entra à la profondeur d'un centimètre; mais au lieu de trouver la cavité libre, elle buta contre un corps dur qui l'arrêta. On conclut de cet examen que l'utérus contenait une tumeur anormale. Mais pour connaitre plus exactement sa nature et ses rapports, il fallait dilater le col. Pour cela, on introduisit plusieurs fois par jour dans cet orifice une pince à anneaux dont on cherchait ensuite à écarter les branches. On essayait aussi de forcer le passage du doigt. Enfin, plus tard, l'emploi de l'éponge préparée vint aider et accroitre l'effet obtenu par ces premières tentatives.

Pouvant alors examiner plus fructueusement le siége du mal, M. L. Boyer reconnut une tumeur développée sur le côté droit de l'utérus. De ce côté, le doigt glissait sur une surface ronde volumineuse; mais il ne pouvait la contourner en totalité; et, arrivé à un certain point de sa circonférence, il était obligé de passer au-devant d'elle. Cette particularité démontra que la tumeur était interstitielle et non pédiculée et qu'elle adhérait au corps de l'utérus par une large surface.

En renouvelant ces explorations, M. Boyer sentit un jour qu'il se fit tout à coup une éraillure de la coque d'enveloppe, dans le point où celle-ci se réfléchissait de l'utérus

sur l'extrémité inférieure de la tumeur. Par là le doigt put pénétrer entre la paroi droite de l'utérus et la face correspondante de la tumeur; cette face parut lisse et unie. Il chercha alors à achever l'énucléation de son extrémité inféricure; les tissus se laissèrent en effet facilement écarter par le doigt. Il continua dans une seconde séance cette dissection et l'exécuta dans toute la hauteur où il lui fut possible d'atteindre, les limites de cette hauteur n'étant point dues à la résistance des tissus, mais seulement à l'impossibilité de porter le doigt plus profondément.

Toutes choses paraissant alors favorablement disposées pour le succès d'une opération, on se décida après une consultation à tenter l'extirpation.

Le 19 octobre 1845, la malade étant couchée sur une commode garnie d'un matelas, on mit à l'aide du spéculum le col à découvert. Avec un bistouri à lame étroite et à extrémité mousse, on débrida légèrement le col de chaque côté; puis en pressant du doigt sur chacune de ces incisions, on agrandit encore l'ouverture. Après avoir cherché à porter aussi loin que possible l'énucléation facilitée par cette manœuvre préalable, on saisit avec une pince de Museux la tumeur par sa surface énuclée, et on exerça sur elle quelques tractions. Mais le col de l'utérus résistant encore de manière à empêcher la tumeur de s'y engager, on dut encore pratiquer sur plusieurs points de son pourtour quelques débridements. On chercha alors à faire exécuter à la tumeur un mouvement de rotation vertical sur elle-même qui, en abaissant successivement chacune des parties de sa face externe, permit au doigt d'atteindre des parties de plus en plus profondes et de compléter ainsi son énucléation. On y réussit en implantant des pinces de Museux les unes après les autres et tirant, au fur et à mesure de la prise, sur chacune d'elles. Cependant la tumeur résistait toujours aux tractions, quoique ces tentatives d'énucléation eussent été ainsi renouvelées sur toutes ses faces.

L'opération se prolongcant et la malade perdant du sang, on fit des injections réitérées d'eau froide. On débrida de nouveau le col; mais en faisant derechef des essais de traction, on s'aperçut que le corps de l'utérus en totalité s'approchait de la vulve sans que la tumeur s'engageât davantage dans le col. On renonça en conséquence aux tractions directes, et on essaya d'imprimer à la tumeur un mouvement de rotation sur son axe vertical. Après plusieurs mouvements de ce genre, l'énucléation fut complète. Trois pinces implantées dans la tumeur l'attirèrent en bas en lui imprimant une rotation verti

cale, pendant qu'un des assistants, pour lui frayer passage, faisait avec le doigt introduit dans le col un effort comme pour déchirer celui-ci. Enfin sous ces efforts combinés la tumeur s'engagea et fut extraite en totalité. Son poids total était de 102 grammes. L'opération avait duré près de deux heu

res.

La tumeur était de nature fibreuse; son tissu dense, serré, d'un blanc mat, sans aucune nuance mélangée, homogène dans toutes ses parties, sans aucune apparence de vaisseaux, criait fortement sous le scalpel.

(Nous nous bornerons à dire, quant aux suites de l'opération et au résultat de l'autopsie, que la malade dont l'état avait été très-satisfaisant pendant deux jours tomba tout à coup dans un affaissement précédé d'un frisson violent, auquel elle succomba le 24 octobre. D'après les détails de l'autopsie et surtout en s'en rapportant à l'interprétation qu'en donne M. Boyer, on serait porté à conclure qu'il n'y cut pas de péritonite, mais que la mort fut causée par l'anémie, tous les vaisseaux sur le cadavre ayant été trouvés vides de sang.)

La surface des incisions pratiquées au col ne contenait pas de pus. L'épaisseur de la paroi antérieure de l'utérus est de 7 millimètres. Le tissu en est pâle, et ne laisse suinter ni sang ni pus. La cavité se présente large, à peine tapissée d'une couche ecchymosée peu épaisse; elle ne contient ni sanie liquide ni suppuration. Elle se trouve vers son fond et dans l'étendue du tiers de la longueur à peu près, divisée en deux parties par une cloison verticale mince, déchirée inférieurement, qui représente le reste de la portion de tissu utérin qui tapissait la tumeur du côté de la cavité normale de l'organe. Une sonde introduite dans le col pénètre indifféremment à droite dans la large cavité qui contenait la tumeur elle-même, ou à gauche dans la cavité normale de l'utérus; celle-ci est allongée suivant le diamètre longitudinal de l'organe; elle est aussi considérablement élargie, mais il n'est pas possible de mesurer exactement toutes ses dimensions, sa paroi droite manquant en grande partie. Sa longueur, de l'extrémité du col à son fond, est de 99 millimètres. La surface en est lisse et unie; sa paroi latérale gauche, formée par l'épaisseur entière de la paroi utérine normale, a 6 millimètres d'épaisseur. La cavité droite est large et présente une surface musculaire tomenteuse, dépourvue de muqueuse, ecchymosée, mais elle ne contient pas de pus; sa paroi latérale droite est épaisse de 10 millimètres. L'épaisseur de la cloison incomplète qui sépare les deux cavités ne peut être exactement mesurée; elle

présente des inégalités dues aux déchirures et aux tractions qu'elle a subies; mais elle paraît proportionnellement très mince et tout au plus épaisse de 2 millimètres.

Le fond de la vessie correspond à la face antérieure du vagin dans l'étendue de 10 millimètres, n'en étant séparée là que par une couche mince de tissu cellulaire. En arrière, le cul-de-sac péritonéal descend nonseulement entre le rectum et l'utérus, mais aussi entre le rectum et le vagin, à 15 millimètres au-dessous du col.

(Revue médicale, 1845.)

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Note sur les résultats d'une abrasion de la cornée, constatés deux ans après l'opération; communiquée à l'Académie royale des sciences, le 5 mai 1845; par M. Malgaigne. Il y a aujourd'hui plus de deux ans que j'ai adressé à l'Académie des sciences une première communication sur une opération insolite, destinée à fournir aux chirurgiens une dernière ressource contre les opacités de la cornée rebelles à tous les autres moyens. J'avais disséqué et enlevé à peu près la moitié de l'épaisseur de la cornée; immédiatement après l'opération, la malade avait aperçu distinctement les objets ; mais de toutes parts les objections étaient accumulées contre cette tentative nouvelle : la cornée ainsi redevenue transparente ne devait pas tarder à reprendre toute son opacité; la cornée amincie devait se distendre en staphylome; la cornée taillée par le bistouri ne devait jamais reprendre son poli, et les rayons lumineux, brisés sur les inégalités de sa surface, ne traceraient sur la rétine qu'une image obscure et confuse; et en supposant la transparence conservée, on n'aurait pas encore rendu aux malades la netteté de la vision.

Les résultats primitifs de l'opération firent évanouir quelques-unes de ces objections, mais le temps seul pouvait décider de la valeur réelle des autres. Je viens aujourd'hui présenter à l'Académie une jeune fille qui a subi l'abrasion de la cornée, le 20 mars 1843, il y a vingt-cinq mois et demi; je la présente comme une réponse victorieuse à toutes les objections que je viens d'énumérer, et comme un exemple d'un fait que je crois tout à fait nouveau en physiologie, savoir de la régénération au moins apparente de la cornée. Qu'il me soit permis de rappeler en peu de mots les principaux traits de cette observation.

Cette jeune fille a aujourd'hui dix-huit ans. Dès l'âge d'un an elle avait été affectée de maux d'yeux si intenses, que dès l'âge de six ans la vue était extrêmement trouble; de nouvelles attaques se succédèrent encore jusqu'à l'âge de treize ans, et lui laissèrent

sur l'œil droit une taie opaque qui, pendant trois ans, ne fit aucun pas vers la guéri

son.

Pour l'enlever, je décrivis sur la cornée une incision circulaire de six millimètres environ de diamètre; je disséquai le lambeau de manière à enlever plus de moitié de l'é-paisseur de la cornée; l'opération avait été faite publiquement à l'amphithéâtre de l'hôpital des Cliniques, et le lambeau fut examiné à loisir, palpé entre les doigts, étalé sur la table, de manière à convaincre tout le monde qu'il ne renfermait rien que du tissu altéré de la cornée. Le cinquantième jour, la malade sortit de l'hôpital avec la cornée presque absolument transparente, et pouvant lire de cet œil le petit texte des cahiers de visite des hôpitaux. Alors, un examen attentif faisait voir facilement le talus circulaire creusé sur la cornée, vestige que je croyais ineffaçable de l'incision et de la perte de substance que cette membrane avait subies. Malgré ce talus, la vision avait une netteté parfaite. Il y avait une autre circonstance intéressante à noter; pendant l'opération, la pointe de l'instrument ayant pénétré dans la chambre antérieure et touché l'iris, une très-petite saillie en pointe au côté externe de la circonférence de la pupille semblait attester une petite adhérence de l'iris avec la cornée.

Cependant, quatre mois après, le 5 septembre, l'opacité était revenue; la pauvre enfant, obligée de travailler pour vivre de son état de lingère, s'était fatigué les yeux, et avait perdu tout le bénéfice de l'opération. Des applications résolutives rétablirent encore la transparence, et elle sortit en bon état le 23 octobre; il y avait alors sept mois entiers écoulés depuis l'opération; le talus circulaire et la saillie de l'iris existaient toujours, et ne paraissaient pas devoir jamais disparaitre.

Mais cette récidive de l'opacité était une circonstance des plus graves. Pour en éviter une seconde, j'avais recommandé à la jeune fille de prendre un autre état qui lui permit de ménager ses yeux; mais combien l'opération perdait de sa valeur, si elle devait ainsi entraîner la perte d'une profession péniblement acquise! A ce prix elle n'eût été presque d'aucun secours aux classes laborieuses, et elle aurait dû être réservée presque exclusivement aux riches.

Heureusement, ma malade n'obéit qu'en partie à mes recommandations. Dès sa sortic de l'hôpital, elle fut obligée d'aider sa mère à confectionner des pantalons; deux mois après seulement, elle se mit en service durant quatre mois; après quoi, en mai 1844, elle se rendit en province, à Corbigny, chez une de ses tantes, où elle reprit

son état de lingère (1). Cette fois, l'œil opéré a parfaitement supporté la fatigue; bien plus, en janvier dernier, elle a eu une vive inflammation de cet œil qui a persisté deux mois et demi, et cependant la cornée n'a pas perdu de sa transparence. Revenue à Paris depuis quelque temps, elle va en journée chez une couturière et travaille à l'aiguille du matin au soir sans que l'œil en souffre. Ainsi, toute crainte de ce côté est dissipée, et l'opération ne gênera aucunement les malades dans l'exercice ultérieur de leur profession.

Mais l'examen de l'œil opéré nous révèle des particularités bien curieuses. D'abord, la saillie de l'iris a complétement disparu, et il faut bien admettre que, par l'effet du temps et les mouvements de l'iris, les adhérences de la cornée ont été absorbées et détruites. Ensuite ce talus creusé par le bistouri, qui persistait encore au bout de sept mois, a entièrement disparu aujourd'hui ; la cornée est aussi lisse de ce côté que de l'autre, sauf une petite cicatrice creuse, située en haut et en dedans, qui n'existait pas lors de l'opération, et qui me paraît être la suite d'un ulcère de la cornée qui a compliqué la dernière ophthalmie.

Y a-t-il là une régénération réelle de la cornée ? ou bien, au contraire, serait-ce le talus qui aurait été absorbé, en sorte que, loin de regagner en épaisseur, la cornée se serait amincie à sa circonférence? la première opinion me parait la plus probable : elle pourra d'ailleurs être vérifiée par l'expérimentation sur les animaux vivants.

En résumé, la cornée n'est point redevenue opaque, elle ne s'est pas distendue en staphylôme; la vision est nette et permet les travaux à l'aiguille; et pour donner enfin une idée plus exacte du résultat, malgré une faible teinte opaline de quelques points de la cornée, la jeune fille, après deux ans, lit encore sans difficulté le petit texte, comme elle le faisait à la sortie de l'hôpital.

(Journal de chir. Mai 1843.)

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