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notre collègue, je me suis réservé de faire des observations sur le fond et sur les conclusions.

Sur le fond, parce que je ne puis considé rer que comme probables et non comme prouvées, l'opinion de l'auteur du mémoire et celle du rapporteur. Il n'est guère possible, dit M. Fée, d'assigner une cause certaine à l'ergotisme, les effets sont constatés et les causes sont ignorées. Partant de cette conviction, j'ai pensé, quant aux conclusions, contrairement à l'opinion du rapporteur, qu'il était de l'intérêt de la science et de la Société, de donner de la publicité à une opinion, qui paraissait s'appuyer sur des faits, sauf à les examiner et à les combattre, si on les croit erronés.

Il me suffira de vous exposer brièvement les causes que l'on assigne à l'ergotisme des graminées pour vous prouver qu'elles sont, quoi qu'on en dise, restées à l'état d'hypothèse.

Les causes assignées à l'ergotisme peuvent être rangées dans trois catégories; toutes s'appuient sur des noms respectables.

Dans la première, on peut ranger les opinions de ceux qui regardent l'ergot comme le résultat d'une piqûre d'insecte, de la présence d'animaux microscopiques ou de leurs œufs.

Ray, Martin, Field, Tillet, Read, l'attribuent à une piqûre d'insecte; Fontan, Buffon et Needham considèrent l'ergot comme un polypier dû à des animaux microscopiques. M. Gripekoven le regarde comme le résultat de l'action des œufs de la granella tinca. Dans la seconde catégorie, on peut placer celles qui considèrent l'ergot comme le résultat du développement d'un champignon(1). Les principaux auteurs qui partagent cette opinion, sont: Decandolle, Bulliard, H. Raspail, Seringe, Duby, Richard, Balbi et le rapporteur, notre estimable collègue, M. Nollet.

Dans la troisième, j'ai rangé les opinions de ceux qui attribuent l'ergot à une maladie de la graine ou de l'ovule. Bosc, Rosier, V. de Bomare, Schmeider, Taube, B. de Jussieu, Geoffroy, Virey, Fries, Turpin, Tessier, MM. Philippar, Quckett, Smeth et et Bauer partagent à peu près cette opinion.

Il y a un grand nombre d'auteurs qui professent, à l'égard de l'ergot, des opinions mixtes, c'est-à-dire, qui considèrent à la fois l'ergot comme une maladie de l'ovule, et le développement d'un champignon. Les principaux de ces auteurs sont MM. Leveillé et Fée. Il suffira de citer ce que dit M. Leveillé au sujet de la formation de l'ergot pour se

(1) Je ferai remarquer en passant, qu'il existe une grande diversité sur le genre de l'agame du soigle ergoté.

convaincre que telle est son opinion : « L'ergot commence toujours à se montrer avant la fécondation, et par conséquent dès les premiers temps de l'apparition de la fleur. Il se développe dans l'intérieur même des valves de la glume, et se montre d'abord sous forme de tubercule mou, presque liquide, visqueux, d'une odeur désagréable, qui occupe la partie supérieure de l'ovaire, resté à l'état rudimentaire; peu à peu celui-ci devient noirâtre, s'allonge...

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Quand son accroissement s'est terminé, il laisse exsuder une matière visqueuse qui se répand sur l'ovaire, y forme une couche mince et jaunâtre qui s'enlève par plaque.»

Pour M. Fée, l'ergot se compose de deux parties, celle du centre, qu'il nomme nosocarya, celle de l'extérieur et du sommet qu'il nomme sphacelia et sacculus.

Un examen rapide de ces trois catégories d'opinions prouvera ce que j'ai avancé plus haut, c'est-à-dire, que la question n'est pas résolue.

L'opinion qui attribue l'ergotisme à une piqûre simple d'un insecte, est généralement abandonnée, par la raison qu'un insecte, en enlevant une portion d'une graine développée, sans y rien déposer d'irritant, ne la fait pas changer de nature, et ne peut que l'empêcher de se développer ou d'être fécondée si elle ne l'était pas.

Il n'en est plus de même si un animal dépose, sur la graine ou sur l'ovaire, un principe irritant quelconque; par l'action d'un pareil principe, une maladie peut se montrer; tout le monde sait, du reste, qu'une affection morbide, si elle ne détruit pas la vie, la modifie, et lui donne une impulsion particulière. De telle sorte qu'il est aussi rationnel d'admettre, comme possible, une modification morbide de l'ovaire, par le contact des œufs de certains insectes, que par celui des graines ou sporidies de certaines plantes parasites. Il reste donc à prouver que c'est à l'une plutôt qu'à l'autre cause que l'ergotisme est dû.

Il est généralement reconnu que l'ergot ne se développe que dans certaines conditions du sol et de l'atmosphère, un terrain bas et humide et un air chaud et humide, et ces conditions sont également favorables pour fixer, sur les ovaires, les sporidies de certains champignons que les œufs de certains insectes. Ces conditions sont également favorables pour permettre à ces agents d'agir d'une manière défavorable sur les ovules. Mais est-ce à dire que parce que des œufs de la tinea granella ont été déposés sur les ovules de certaines graminées, on doive leur attribuer l'ergotisme de ces grains? non pas plus qu'on ne peut attribuer cette transformation à la présence d'un champignon ou

de ses sporidies. Il n'y a donc, dans les observations présentées par M. Gripekoven, que la constatation d'un fait, l'existence d'œufs d'insectes sur certains ergots. De même les observations de M. Fée n'ont prouvé que l'existence de certain champignon sur certains ergots; les ergots placés dans toutes conditions ne donnent pas lieu à la production d'insectes, comme des ergots peuvent exister sans champignons. C'est ce qui ressort des observations de M. Quekett, qui dit avoir vu l'ergotæcia (sclerotium de D. C.) se montrer sur les graminées et même sur d'autres plantes, sous forme filamenteuse; et que ce champignon peut accomplir toutes les phases de son développement sans modifier l'ovaire et même qu'il peut vivre loin de cet organe.

Au reste, notre doute sur l'influence que peut exercer, comme cause de l'ergotisme, le champignon précité, est pleinement justifié par M. Fée, qui s'exprime ainsi au sujet du développement de l'ergot:

« Au début de l'ergotisme il peut arriver deux choses, ou bien le périsperme s'atrophie, il n'y a point alors de nosocarya, et l'on ne trouve qu'un grain de seigle ridé, flétri et facile à briser; ou bien le nosocarya se développe, ce qui a lieu par une sorte d'hypertrophie du périsperme et l'on a le corps ergoté. Mais alors encore, il peut se présenter deux choses; ou bien le nosocarya se développe en même temps que le champignon, et il y a un ergot violet parfaitement constitué et surmonté d'un sacculus, ou bien le nosocarya se développe seul sans fongus, il n'y a point de sacculus, point de tissu allongé, point de sporidies, il y a des ergots blancs sans traces de champignons. »>

De deux choses l'une, ou bien le champignon est cause de l'ergotisme, ou bien il ne l'est pas ; si c'est à ce parasite que l'on doit cette transformation de la graine, l'ergot ne peut se rencontrer sans lui, si au contraire, l'ergot peut exister sans champignon, la présence du champignon n'est qu'une coïncidence, un effet, une implantation d'un être particulier sur un autre être malade, altéré.

Tous les êtres organisés ont leurs caractères distinctifs, ces caractères sont constants, aussi les retrouve-t-on toujours quels que soient d'ailleurs les lieux où croissent ces individus ; c'est cette constance dans la fixité des caractères, qui a fait dire à Cuvier que l'espèce était éternelle. Cependant le champignon auquel on attribue l'ergotisme des graminées, varie d'après les espèces des graminées sur lesquelles on l'observe; ainsi il est plus allongé dans le seigle que dans le froment, il est linéaire dans l'avoine, et ovoïde dans le poa.

En terminant ce que j'avais à vous dire sur l'ergotisme provoqué par un champignon, je dirai que cette opinion n'a pour elle, au moins jusqu'ici, qu'un seul fait sur lequel elle s'appuie, ce fait est cité par Wiggers, qui dit avoir déterminé l'ergotisme en semant des sporidies sur des épis sains. Ce fait est-il exact?

Quant à l'opinion qui attribue l'ergotisme à une maladie (opinion que je partage en attendant mieux), elle se fonde sur un grand nombre de faits et de raisons.

Tous les auteurs, au nombre desquels je range MM. Leveillé et Fée, admettent dans l'ergot une partie malade, c'est l'ovaire dont la forme se retrouve toujours dans les ergots. On y remarque constamment le sillon caractéristique du caroypse; la diagnose microscopique fournit les mêmes résultats dans les graines saines et les graines ergotisées (Féc, p. 11).

Les épis atteints par l'infection sont plus disposés à donner naissance à des agames parasites, disposition que l'on observe en général chez tous les végétaux malades, qui en sont presque toujours recouverts.

Les grains non ergotés d'un épi sont rides, flétris, cette atrophie n'est-elle pas un indice, sinon une preuve que la plante en général est malade; et que la maladie, dont les ergots sont atteints est due aux causes signalées plus haut?

On trouve une nouvelle preuve en faveur de cette opinion, dans la saveur de l'ergot, qui rappelle en général, dit M. Fée, celle du périsperme amylacé; cependant cette saveur n'est pas franche. On rencontre également dans le nosocarya des ergots, des grains de fécule, plus ou moins altérés; mais l'embryon a disparu ainsi que le blaste. N'est-il pas évident d'après cela, que l'ergot n'est qu'une production morbide, qui s'accompagne souvent de champignon?

En terminant, je vous dirai, Messieurs, qu'il suffit qu'une question scientifique soit encore à l'état de supposition ou de probabilité, pour qu'on admette les opinions, quelles qu'elles soient, qui cherchent à la résoudre. En conséquence, je propose à la Société d'ordonner l'impression de la note de M. Gripekoven, et le rapport de la commission.

M. NOLLET, répondant à quelques observations de M. Dugniolle, s'étonne de ce que, sans avoir combattu ni l'opinion de l'auteur du mémoire sur l'ergot, ni l'opinion du rapporteur sur ce travail, il vienne présenter une autre hypothèse qu'il ne croit pas plus sontenable que celle de l'auteur. En effet, dit M. Nollet, le préopinant paraît ne pas admettre qu'il y ait dépôt d'œuf à l'intérieur de l'ergot comme le prétend M. Gripekoven;

mais il suppose que l'insecte a déposé son œuf sur le grain naissant, et a causé ainsi son changement de nature et son développement extraordinaire.

M. Nollet fait remarquer que ce phénomène, tel que le conçoit M. Dugniolle, n'a pas d'analogue dans la nature, que les œufs des papillons (y compris ceux de la tinea granella) ne produisent rien de semblable; que même les piqûres des insectes sur les organes de la génération ou sur les fruits, loin de les développer d'une manière extraordinaire, les font avorter, et tomber si ces piqûres ont lieu au commencement de la formation des fruits, et nuisent à leur développement, si elles ont lieu plus tard; qu'enfin le simple dépôt d'un œuf de teigne sur un grain ne peut pas altérer celui-ci ni dans sa forme, ni dans sa structure, ni dans sa composition. Il rappelle que, dans son rapport, il fait ressortir ces faits importants que l'ergot sain ne présente à l'extérieur ni plaie, ni cicatrice, et qu'à l'intérieur on ne peut trouver aucune excavation qui y fasse soupçonner un dépôt d'œufs d'insectes. M. Nollet ajoute que, d'ailleurs, l'ergot sain, détaché de l'épi de céréale, alors que celui-ci est encore sur pied, étant conservé dans un vase clos, ne donne pas lieu à la naissance de la tinea granella, que les faits et les arguments posés dans son rapport, n'ont perdu aucune valeur par suite de la discussion qui vient d'avoir lieu, qu'aucune objection sérieuse ne leur a été opposée, et que rien surtout, n'a été dit en faveur de l'hypothèse évidemment erronée de M. Gripekoven. En conséquence il maintient son opinion et ses conclusions.

M. DIEUDONNÉ. Notre collègue, M. Dugniolle, paraît avoit sérieusement étudié le travail de M. Fée : nous nous attendions à être vivement combattu par lui; mais il s'est borné dans sa savante argumentation, qui est bien plus défavorable qu'avantageuse à l'opinion de M. Gripekoven, il s'est borné, disons-nous, à transporter la question sur un autre terrain et à en élargir démesurément le champ. Il fallait ne pas sortir de la question qui est tout bounement celle-ci l'ergot est-il produit par une teigne, comme l'assure M. Gripekoven? Eh bien! nous renfermant dans les véritables limites de la discussion, nous ne rencontrons qu'une seule objection faite par M. Dugniolle à notre argumentation, c'est « qu'il est aussi rationnel d'admettre, comme possible, une modification morbide de l'ovaire par le contact des œufs de certains insectes, que par celui des graines ou sporidies de certaines plantes parasites. Cette objection a été suffisamment refutée par notre honorable collègue, M. Nollet; nous corroborerons donc

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seulement sa réfutation par deux observations bien simples; la première, c'est que si le simple dépôt d'œufs d'insectes pouvait opérer les modifications dont on vient de parler, nous aurions à trembler tous les ans en présence de la quantité innombrable d'insectes qui peuplent nos campagnes; la seconde, c'est que ce dépôt d'œufs est impossible, physiquement impossible, au moment précis où il devrait s'opérer pour pouvoir revendiquer quelque part à la formation de l'ergot, à moins encore une fois qu'on ne suppose la tinea granella arméc d'un dard ou d'une tarière assez robuste pour percer les valves de la glume!

M. MARTIN. Des trois opinions émises sur la production du seigle ergoté, celle de Leveillé neveu, qui le considère comme une dégénérescence particulière du grain, me paraît la seule vraie; l'existence des larves ou de champignons sont pour moi des phenomènes secondaires et purement accidentels qui ne peuvent être considérés comme une des causes de la production de l'ergot. Cette manière de voir est basée sur des faits pratiques: c'est que la propriété qu'a le seigle ergoté sur l'utérus lui vient du végétal lui-même, en ce que d'autres parties de cette plante, les étamines, par exemple, ont une vertu analogue. L'an dernier je recueillis des étamines de seigle dans le dessein de les expérimenter dans les cas d'amenorrhée, et je pus me convaincre par quelques observations recueillies avec soin, qu'elles agissent à la manière du safran, c'est-à-dire comme puissance emménagogue. Alors la nature du seigle ergoté me fut expliquée; pour moi c'est bien une production dégénérée du seigle et non une végétation parasite quelconque.

M. BIVER pense que l'ergot est une maladie du seigle, qui peut être occasionnée par la maigreur du sol, par le mauvais temps, par la piqûre d'un insecte (la tinea granella), par une rosée mielleuse, ou peutêtre par la partie fécondante d'un champignon.

La discussion est close.

Avant de passer aux voix sur les conclusions, M. Joly fait une proposition tendant à faire imprimer le mémoire et le rapport. La Société, dit-il, aux termes de son règlement, n'adopte aucune opinion déterminée sur les ouvrages de ses membres; peu importe alors que M. Gripekoven livre ses opinions au public, si à la suite de son travail on trouve celles de la Commission.

M. Dugniolle appuie cette proposition et dépose un amendement conçu en ces termes: « Je propose que le mémoire de M. Gripekoven, suivi du rapport de la Commission chargée de l'examiner, soit publié

dans le Journal de la Société. » Cet amendement est mis aux voix et adopté.

La suite de la séance est consacrée à des questions d'administration intérieure.

Séance du 2 juin 1845.
Président, M. Daumerie.
Secrétaire, M. MARINUS.

Sont présents: MM. Gripekoven, Mouremans, Pigcolet, Rieken, Langlet, Puttaert, Bougard, Dugniolle, Dieudonné, Van Swygenhoven, Biver, Marinns, Martin, Joly, Daumerie, Nollet, Leroy et Delstanche.

M. Van Hoeter prévient qu'ayant dù s'absenter de la ville, il ne pourra assister à la séance.

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.

La Société reçoit les ouvrages suivants : 1° Notice physico-médicale sur la saison des bains de mer d'Ostende, en 1844; par le docteur Verhaeghe,

2o Mémoire sur les plaies pénétrantes de l'abdomen, compliquées de l'issue de l'épiploon; par M. Hipp. LARREY.

3o Mémoires couronnés et Mémoires des savants étrangers, publiés par l'Académie royale des sciences et belles-lettres de Bruxelles. Tome XVII, 1845-1844.

4. Mémoire pratique sur les accouchements artificiels, par le Dr KosCIAKIEWICZ, Lyon, 1845.

5o État réel de la question sur le traitement dit abortif de la blennorrhagie par les injections caustiques d'azotate d'argent, etc., par le Dr VENOT, vice-président de la Société royale de médecine de Bordeaux.

Une commission composée de MM. Marinus, Dieudonné et Dugniolle est chargée de faire un rapport sur ce dernier ouvrage.

M. le docteur MUSSCHE, de Hal, adresse une observation intitulée: Neuvième grossesse, chez une jeune femme de 26 ans, menée heureusement à terme après sept avortements successifs, par l'emploi des toniques et des saignées. (Commissaires : MM. Daumeric, Marinus, et Pigeolet, rapporteur ;)

M. le Président donne la parole à M. LANGLET pour lire un rapport sur le travail de M. Daumerie, concernant la thérapeutique.

Après cette lecture, la Société décide, sur Ja motion faite par M. Biver, que le rapport et le mémoire sera communiqué aux membres de la Compagnie avant d'entamer la discussion, qui est ajournée à la séance prochaine.

Le second objet à l'ordre du jour est la délibération sur les questions à mettre au concours pour 1846.

MM. Biver, Joly, Marinus, Van Swygen

hoven, Dieudonné, Pigeolet, Leroy et Nollet sont successivement entendus.

Après la clôture de la discussion, la Société adopte définitivement deux questions qui seront publiées dans les formes accoutumées. (Voir ci-après, page 411, le programme.)

M. VAN SWYGENHOVEN demande et obtient la parole pour faire une communication qui intéresse particulièrement les médecins de la capitale. L'honorable membre donne lecture de la note suivante :

ZIEKE-BUSSEN, SOCIETEITEN VAN
VOORZORG, ETC.

« Messieurs,

Il se passe en ce moment dans deux des principales villes du royaume, des faits sur lesquels je prends la liberté d'appeler toute votre attention: je veux parler des Sociétés de Fraternité, des Zieke-bussen, etc.

» Permettez-moi d'entrer dans quelques développemen(s.

» Un de mes amis, homme honorable sous tous les rapports, parcourait, il y a quelques années, la Hollande. Arrivé dans une des principales villes de la province d'Utrecht, il y entendit beaucoup parler de certaine institution connue sous la dénomination de Zieke-bus. La première partie de ce mot le frappa; il alla aux informations, et apprit bientôt que ce n'était rien autre qu'une association ayant pour but de secourir les malades. - Voilà, se dit-il, une œuvre recommandable; moyennant une légère rétribution, hebdomadaire ou mensuelle, tout homme, qu'il soit pauvre ou riche, obtient les soins d'un médecin et des médicaments par-dessus le marché. De cette manière, chaque infortune a droit à des secours, toute douleur à des remèdes. »

» Mon ami s'extasiait devant cette noble œuvre philanthropique.

» Chose étrange, il découvrit-parce que maintenant il y faisait attention-que presque toutes les villes de la Hollande possédaient des Zieke-bussen; plus, il vit que quelques localités en avaient même plusieurs. « Tant mieux, disait-il, ce grand nombre de Sociétés fera naître une émulation qui, en définitive, tournera au profit de l'indigent. »>

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Cependant, il consulta quelques hommes de l'art. Ceux-ci lui parlèrent en termes fort défavorables des Zieke - bussen, et n'hésitèrent pas de les traiter de spéculations honteuses. « Jalousie, fit mon ami, jalousie de métier, la pire de toutes. »

Cependant il vit que, si en principe les Zieke-bussen étaient des créations philanthropiques assez séduisantes, en fait, elles répugnaient un peu à la dignité médicale. Car enfin mettre l'honneur et le zèle du mé

decin en commandite, est une spéculation neuve et qui ne laisse pas d'exciter quelque étonnement!

» Les choses marchèrent ainsi pendant de longues années. Les Zieke-bussen avaient envahi toute la Hollande. Et, chose triste à dire, il n'était plus donné à un jeune praticien de se créer une clientèle, sans se mettre au service de ces institutions. En effet, comment espérer d'avoir des malades, si ces malades sont tous membres d'associations qui, à la première plainte, au premier gémissement, mettent deux ou trois médecins et autant de pharmaciens à votre disposition, sans qu'il vous en coûte une obole!... » Mais l'excès du mal appela bientôt le remède. On s'aperçut que les Zieke-bussen cachaient cette soif avide du lucre, que la véritable charité réprouve. On s'aperçut que, forcés dans leur zèle par un ordre de choses impérieux, les médecins des associations offraient leurs soins au rabais, que le découragement et le dégoût s'étaient emparés de leur âme, et qu'ils ne consentaient à entrer et à rester dans ces Sociétés, que parce qu'ils y étaient forcés ! Comme tout autre, le médecin doit avant tout tâcher de vivre.

D

Aujourd'hui le voile est déchiré. Écoutez plutôt; ce sont des hommes dignes de tout notre respect et de toute notre sympathie qui parlent : « A l'exemple de ce qui existait dans les anciens serments, on a établi dans notre pays des associations d'assurance mutuelle en cas de maladie, associations dont font partie des personnes qui sont loin d'appartenir à la classe ouvrière. »> Des médecins, des chirurgiens et des pharmaciens s'associent entre eux, pour créer eux-mêmes de nouvelles associations à côté de celles qui existent déjà. « Déjà le nombre des pharmaciens pourrait être diminué de moitié, et si les Zieke-bussen doivent continuer à exister, s'il doit être libre à chacun d'en créer de nouvelles, alors le nombre des pharmaciens pourra bientôt être réduit jusqu'au tiers.» (Consultez : VAN CATZ SMALLENBURG, Bedenkingen omtrent de geneeskundige staatsregeling.)

» Voilà une plainte bien formulée; une plainte précise et à laquelle il ne reste aucune réponse à faire!

» Les pharmaciens de la Haye ont qualifié ces associations de: « Cancer qui ronge d'une manière effrayante le bien-être des classes pauvres.» (Voir : Bedenkingen van eenige apothekers te s'Gravenhage, etc.)

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Mulder, lui, dans ses Bydragen tot geneeskundige staatsregeling, s'écrie: Oh! si ceux qui me lisent connaissaient les horreurs que j'ai vu commettre pendant quatorze ans dans les pharmacies de ces as

sociations!... Ce que, dans quelques-unes de ces officines, j'ai vu donner aux malades, ne serait pas donné aux chevaux dans les écoles vétérinaires! » Et lorsque Mulder dit cela, Mulder peut être cru, car il n'a jamais menti.

» Le public médical avait enfin appris à connaître ces Zieke-bussen; de la sympathie, il en était venu au mépris!.... Aussi eut-il recours au gouvernement pour stigmatiser une spéculation ignoble, pour abolir un monopole infâme.

» Mais le gouvernement resta sourd à sa voix. Le ministre présenta un nouveau projet de loi aux Chambres pour régler l'art de guérir. Et, le croirait-on, dans ce projet on ne trouve pas un mot concernant les Zieke-bussen! Triste aveuglement d'une autorité qui attend, pour réprimer un abus, que la voix de la réprobation vienne résonner jusque dans ses antichambres !

» Mais une vengeance était préparée aux médecins hollandais. Découragés, déçus dans leur juste espérance, ils s'adressèrent individuellement et d'une manière officieuse aux membres des Chambres, et les membres des Chambres rejetèrent le projet de loi du ministre à une grande majorité, parce qu'il n'y était point fait mention des Zieke-bussen, parce qu'il ne s'y trouvait pas un article qui frappât ces spéculations de mort.

» Aujourd'hui, les Zieke-bussen ont fait irruption en Belgique.

» Anvers a vu s'établir la première. D'honorables collègues ont été trompés, séduits par des promesses fallacieuses. Micux éclairés, ils ont rendu à la Zieke-bus le soufflet que celle-ci avait donné à leur réputation.

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Que dis-je d'Anvers? Bruxelles a déjà sa Société de Fraternité: Zieke-bus francisée !...

» Le commerce, le monopole, la dégradation est aux portes du temple. Y laisserons-nous entrer des intrus? Laisseronsnous souiller les dalles du lieu sacré par l'épave de l'industrialisme?.... Oh! non, messieurs, non, vous ne le voudrez pas.

>> Mais que faut-il pour porter un coup funeste à tout ce tripotage? Peu de chose : décider qu'aucun membre de la Société ne fera partie de ces associations, attendu que la Société les considère comme contraires à l'honneur et à la dignité médicales.

» C'est à vous, Messieurs, à donner l'exemple. Une décision de votre part sera un stigmate. Quel est celui d'entre les médecins de la capitale, qui voudrait se l'imprimer au front! »

M. MOUREMANS, tout en approuvant la proposition de M. Van Swygenhoven, pense qu'avant de prendre à cet égard une déci

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