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son ame damnée le jésuite Bertrand : il joue à présent le même jeu en Hollande. Toutes les puissances plient sous l'ami des ministres tant politiques que presbytériens. A cela que puis-je faire? Je ne doute presque pas du sort qui m'attend sur le canton de Berne, si j'y mets les pieds; cependant j'en aurai le cœur net, et je veux voir jusqu'où, dans ce siècle aussi doux qu'éclairé, la philosophie et l'humanité seront poussées. Quand l'inquisiteur Voltaire m'aura fait brûler, cela ne sera pas plaisant pour moi, je l'avoue; mais avouez aussi que, pour la chose, cela ne sauroit l'être plus.

Je ne sais pas encore ce que je deviendrai cet été. Je me sens ici trop près de Genève et de Berne pour y goûter un moment de tranquillité. Mon corps y est en sûreté, mais mon ame y est incessamment bouleversée. Je voudrois trouver quelque asile où je pusse au moins achever de vivre en paix. J'ai quelque envie d'aller chercher en Italie une inquisition plus douce, et un climat moins rude. J'y suis desiré, et je suis sûr d'y être accueilli. Je ne me propose pourtant pas de me transplanter brusquement, mais d'aller seulement reconnoître les lieux, si mon état me le permet, et qu'on me laisse les passages libres, de quoi je doute. Le projet de ce voyage trop éloigné ne me permet pas de songer à le faire avec vous,

et je crains que l'objet qui me le faisoit sur-tout desirer ne s'éloigne. Ce que j'avois besoin de connoître mieux n'étoit assurément pas la conformité de nos sentiments et de nos principes, mais celle de nos humeurs, dans la supposition d'avoir à vivre ensemble comme vous aviez eu l'honnêteté de me le proposer. Quelque parti que je prenne, vous connoîtrez, monsieur, je m'en flatte, que vous n'avez pas mon estime et ma confiance à demi; et, si vous pouvez me prouver que certains arrangements ne vous porteront pas un notable préjudice, je vous remettrai, puisque vous le voulez bien, l'embarras de tout ce qui regarde tant la collection de mes écrits que l'honneur de ma mémoire; et, perdant toute autre idée que de me préparer au dernier passage, je vous devrai avec joie le repos du reste de mes jours.

J'ai l'esprit trop agité maintenant pour prendre un parti; mais, après y avoir mieux pensé, quelque parti que je prenne, ce ne sera point sans en causer avec vous, et sans vous faire entrer pour beaucoup dans mes résolutions dernières. Je vous embrasse de tout mon cœur.

LETTRE DL.

A M. SAINT-BOURGEOIS.

Motiers, le 2 février 1765.

J'ai reçu, monsieur, avec la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 29 janvier, l'écrit que vous avez pris la peine d'y joindre. Je vous remercie de l'une et de l'autre.

Vous m'assurez qu'un grand nombre de lecteurs me traitent d'homme plein d'orgueil, de présomption, d'arrogance; vous avez soin d'ajouter que ce sont là leurs propres expressions. Voilà, monsieur, de forts vilains vices dont je dois tâcher de me corriger. Mais sans doute ces messieurs, qui usent si libéralement de ces termes, sont eux-mêmes si remplis d'humilité, de douceur, et de modestie, qu'il n'est pas aisé d'en avoir autant qu'eux.

Je vois, monsieur, que vous avez de la santé, du loisir, et du goût pour la dispute: je vous en fais mon compliment ; et, pour moi, qui n'ai rien de tout cela, je vous salue, monsieur, de tout

mon cœur.

LETTRE DLI.

A M. PAUL CHAPPUIS.

Motiers, le 2 février 1765.

J'ai lu, monsieur, avec grand plaisir la lettre dont vous m'avez honoré le 18 janvier. J'y trouve tant de justesse, de sens, et une si honnête franchise, que j'ai regret de ne pouvoir vous suivre dans les détails où vous y êtes entré. Mais, de grace, mettez-vous à ma place; supposez-vous malade, accablé de chagrins, d'affaires, de lettres, de visites, excédé d'importuns de toute espèce qui, ne sachant que faire de leur temps, absorberoient impitoyablement le vôtre, et dont chacun voudroit vous occuper de lui seul et de ses idées. Dans cette position, monsieur, car c'est la mienne, il me faudroit dix têtes, vingt mains, quatre secrétaires, et des jours de quarante-huit heures pour répondre à tout; encore ne pourrois-je contenter personne, parceque souvent deux lignes d'objections demandent vingt pages de solutions.

Monsieur, j'ai dit ce que je savois, et peut-être ce que je ne savois pas ; ce qu'il y a de sûr c'est

que je n'en sais pas davantage : ainsi je ne ferois plus que bavarder ; il vaut mieux me taire. Je vois que la plupart de ceux qui m'écrivent pensent comme moi sur quelques points, et différemment sur d'autres : tous les hommes en sont à-peu-près là; il ne faut point se tourmenter de ces différences inévitables, sur-tout quand on est d'accord sur l'essentiel, comme il me paroît que nous le sommes vous et moi.

soit

Je trouve les chefs auxquels vous réduisez les éclaircissements à demander au conseil assez raisonnables. Il n'y a que le premier qu'il faut retrancher comme inutile, puisque, ne voulant jamais rentrer dans Genève, il m'est parfaitement égal que le jugement rendu contre moi soit ou ne pas redressé. Ceux qui pensent que l'intérêt ou la passion m'a fait agir dans cette affaire lisent bien mal le fond de mon cœur. Ma conduite est une, et n'a jamais varié sur ce point: si mes contemporains ne me rendent pas justice en ceci, je m'en console en me la rendant à moi-même, et je l'attends de la postérité.

Bonjour, monsieur. Vous croyez que j'ai fait avec vous en finissant ma lettre; point du tout: ayant oublié votre adresse, il faut maintenant la retourner chercher dans votre première lettre, perdue dans cinq cents autres, où il me faudra peut-être une demi-journée pour la trouver. Ce

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