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se partageaient sans scrupule, les domaines du dans l'Inde ; et à l'insouciance des gouverneurs de prince dont ils recevaient l'investigation.

Plus à plaindre encore, l'empereur du Mogol distribuait des couronnes sans pouvoir en garder une; car, à proprement parler, c'était un souverain sans sujets despote incapable de se faire obéir, il vendait à des aventuriers le droit d'exercer une autorité absolue dans ses provinces: pauvre, alors même que toutes les monnaies de l'Indostan se frappaient à son effigie, il se glorifiait d'avoir pour tributaires de grands rois, dont il était trop heureux d'implorer la générosité pour subvenir à son entretien.

La finesse de Clive, le profond machiavélisme d'Hastings, la sagesse de lord Cornwallis, avaient successivement pris à tâche d'immiscer la compagnie dans les intérêts compliqués de ces États, et à intervenir dans leurs différends avec une apparence de loyauté. Elle paraissait toujours sur la scène en arbitre : et, fondée sur les traités, elle aidait le plus faible, afin de partager ensuite avec lui les dépouilles de celui qui aurait pu lui devenir redoutable. C'est ainsi qu'à l'aide des Marattes et du Nizam, elle était parvenue, en 1792, à vaincre Tippo-Saheb, à qui elle ne pardonnait pas d'avoir envoyé des ambassadeurs à Louis XVI, pour lui proposer de la chasser de l'Inde.

Deux ans après, les Marattes attaquèrent à leur tour le Nizam, inondèrent son pays avec 200,000 hommes, et le dépouillèrent au moment où la compagnie, endormie sur ses succès, ne songeait pas à secourir ce prince qu'elle tenait sous sa tutelle. Soit qu'il fût mécontent du peu d'empressement que l'on mit à lui porter secours, soit qu'il aspirât à l'indépendance, il avait confié à un officier, nommé Raymond, le soin de lui organiser à l'européenne une armée de 15,000 hommes, pour la solde de laquelle on lui abandonna le revenu d'une riche province.

Tippo-Saheb, depuis le malheureux traité de Seringapatnam qui lui avait arraché la moitié de son empire, ne respirait que vengeance. La France, livrée à l'anarchie, et découragée par la perte de Pondichéri, semblait avoir oublié tout le parti qu'elle pouvait tirer de la disposition des peuples de l'Indostan contre la compagnie anglaise. Pas un vaisseau, pas un homme, n'avait été envoyé

l'ile de France, on eût dit qu'ils ignoraient l'existence des deux presqu'îles du Gange. Truguet seul imagina, à la fin de 1796, de porter des secours au sultan de Mysore: mais le projet de ce ministre, basé sur la possibilité d'organiser des bataillons de nègres qui ne sortirent jamais des plantations de l'île de France n'eut pas même un commencement d'exécution. Pour réussir, il eût fallu un noyau de vieilles troupes; or, le gouvernement républicain ne fit aucune tentative pour en porter le moindre détachement ; et nous avons vu, au chapitre LXVII, par quelle fatalité il perdit l'occasion, en 1797, d'y envoyer une partie des troupes entassées à Brest pour l'expédition d'Irlande.

Quelques aventuriers furent à la veille d'exécuter ce que la faiblesse de Louis XVI, et l'inexpérience du comité de salut public en intérêts coloniaux, avaient fait négliger. Un corsaire, nommé Rippaud, jeté sur la côte de Mangalore et amené à Tippo-Saheb, lui ayant appris les victoires des armées républicaines en Europe, réveilla en lui l'espoir d'être secouru par les anciens alliés de son père. Il envoya une ambassade à l'île de France, avec un projet d'alliance à soumettre au Directoire; projet si bien combiné qu'aucun diplomate européen ne le désavouerait. La réponse du gouverneur Malartic prouve qu'il n'apprécia nullement la démarche de ce prince : cependant il lui envoya une trentaine de sous-officiers, d'artilleurs et d'ouvriers, qu'il mit à très-haut prix, mais quí discréditèrent l'uniforme français par leurs extravagances, et autorisèrent la compagnie anglaise à se servir de ce prétexte pour assaillir le sultan de Mysore. Tout porte même à croire que le Directoire ne fut jamais bien instruit de ce qui se passa à cette occasion.

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poutes, et l'ambition effrénée de tous ces chefs, | huit à dix vaisseaux, dans les parages de l'île de avaient voulu se ployer à une règle commune, et France, afin de dominer, à la faveur du port de agir de concert pour la délivrance de l'Inde, nul Mangalore, tout le golfe d'Oman, le détroit de doute qu'une coalition aussi formidable n'eût fina- Babel-Mandel; et de protéger l'arrivée des secours lement triomphe de l'Angleterre; surtout, si une qu'on eût été dans le cas de faire filer aux Maratdivision française, commandée par un homme du tes, ou à Tippo-Saheb. Mais, pour suivre l'ordre caractère de Hoche, eût servi de régulateur aux naturel des faits, il importe de revenir aux rives opérations des forces combinées. du Nil.

La compagnie n'avait alors pour alliés que deux ou trois nababs subalternes et le Nizam: encore ce dernier, en renvoyant les bataillons de sa garde pour se jeter entre les bras de Raymond, laissait croire qu'il reviendrait tôt ou tard à la politique de son prédécesseur qui avait combattu sous les drapeaux d'Hyder-Ali.

L'Égypte, cet antique berceau de la civilisation, après mille vicissitudes, avait été conquise sur les mameluks, au commencement du xvio siècle, par Sélim Ier, empereur des Turcs. Ses successeurs en conservaient depuis deux siècles la paisible possession, quand la faiblesse du gouvernement enhardit les chefs de mameluks; Ibrahim, leva l'éMais la compagnie était déjà redoutable par elle- tendard de la révolte en 1746; et ses successeurs, même; car les trois présidences dont elle se com- Aly et Mohamed, vécurent dans une sorte d'indéposait, formaient de véritables empires. La prin- pendance. A la mort de ce dernier, en 1776, les cipale, maîtresse de Calcutta, du Bengale, de la beys se disputèrent son héritage. Ibrahim et Moucôte d'Orixa et de la riche vallée du Gange jusqu'à rad vainquirent leurs rivaux, et se partagèrent Oude, était le centre du gouvernement général; et l'autorité. La Porte envoya, plus tard, une armée ne le cédait guère à la mère-patrie, en puissance et considérable pour les ramener à l'obéissance: trop en richesse. La seconde, composée des possessions faibles pour résister, les deux beys se retirèrent du Décan autour de Madras, siégeait dans cette dans le Saïd, et laissèrent le capitan-pacha lever dernière ville. Enfin, la troisième, établie à Bom- des contributions dans la basse Égypte. Mais ausbai, réunissait les établissements de la côte de Ma-sitôt qu'il fut parti, ils recouvrèrent la puissance, labar et Surate aux comptoirs du golfe persique. Les forces dont les différentes présidences disposaient, pouvaient s'élever à 20,000 Européens et 60,000 Cipayes bien organisés.

sans renoncer au système de violence et d'extorsion, dont les indigènes et les commerçants étrangers avaient également à se plaindre. La richesse du pays, son heureuse position entre la mer Rouge et la Méditerranée, en faisaient convoiter la possession par toutes les puissances européennes. Les Français, surtout, jaloux de la prééminence maritime de l'Angleterre, entrevoyaient la possibilité d'aller aux Indes orientales par l'Égypte, et de combattre enfin corps à corps cette puissance rivale. Déjà, sous le règne de Louis XVI, plusieurs mémoires avaient discuté les moyens d'atteindre ce résultat.

Tel était à peu près l'état de l'Inde, quand le Directoire, sans avoir la moindre notion de ce qui s'y passait, mais séduit par les rapports de différents agents sur l'Égypte, et plus encore par les sollicitations de Bonaparte, forma le projet de conquérir cette province, soit pour s'ouvrir une voie directe au commerce de l'Inde par Suez et Surate, soit pour porter avec le temps son armée jusque dans l'Indostan. On ne peut disconvenir que cette entreprise gigantesque ne fût susceptible de pro- Vivement affecté de la conduite des beys envers curer d'immenses résultats à la France et au conles négociants français, le consul Magallon, en rêtinent européen : mais l'assentiment de la Porte, vant à les soustraire aux avanies ruineuses, avait sans laquelle elle n'était qu'une chimère, fut ce donné l'idée d'expulser les mameluks. Ce projet dont on s'occupa d'abord le moins. Si, par suite fut accueilli par le Directoire, en 1795; mais, de la conquête de ce pays, l'on avait la moindre comme sa position politique ne lui permettait pas vue sur l'Inde, il était également indispensable de se livrer alors à une entreprise si hasardeuse, il d'envoyer quelques mois à l'avance une escadre de | en ajourna l'exécution, tout en engageant le con

sul à lui fournir de nouveaux renseignements. Les | gleterre souriait à l'espoir de lui porter le dernier rapports de Magallon présentèrent l'expédition coup. Sentant dès lors combien l'occupation de comme très-facile : l'Égypte ne pouvait être dis- Malte serait nécessaire aux projets ultérieures du putée, selon lui, que par les mameluks, dont le Directoire, il avait demandé qu'on chargeât l'anombre n'excédait pas 9,000. Cette milice in-miral Brueys de s'en emparer en ramenant, en trépide, excellente pour combattre des Turcs ou pour châtier des Fellahs révoltés, devait se briser contre la discipline et la tactique européenne, puisqu'elle manquait d'infanterie et d'artillerie. On n'avait point à craindre de levée en masse de la population; car les Égyptiens, esclaves des mameluks, devaient voir avec plaisir l'arrivée d'une armée qui viendrait les délivrer de leurs insolents oppresseurs. Les côtes, d'un facile accès, présentaient d'ailleurs plusieurs points favorables au débarquement; et l'intérieur, sans défense, n'avait pas une seule forteresse capable d'arrêter l'invasion.

D'un autre côté, le chef de bataillon du génie, Lazowsky, chargé par le Directoire de reconnaître l'empire ottoman, assurait que la Porte était hors d'état d'opposer le moindre obstacle à une entreprise contre l'Égypte. Depuis longtemps sa domination y était illlusoire: elle n'y entretenait que quelques centaines de janissaires, épars dans les places maritimes, et son pacha, relégué au Caire, sans autorité, paraissait plutôt le prisonnier des beys, que le dépositaire de la puissance du Grand Seigneur. Une rupture avec la Turquie ne devait entraîner aucun malheur. Sourde aux conseils d'une sage politique, elle avait, disait-il, laissé consommer le démembrement de la Pologne : la Russie, autrefois séparée d'elle par de vastes contrées, était établie sur la mer Noire, et lui avait enlevé les provinces dont la population belliqueuse formait naguère l'élite de ses armées. La faiblesse de ses ressources militaires, l'épuisement de ses finances, les vices de son gouvernement, tout enfin présageait la chute prochaine de cet empire. Lazowsky n'hésitait point à conseiller au Directoire de renoncer à l'alliance de la Porte, et de s'approprier les provinces qui s'échappaient de sa domination. Bonaparte lui-même, instruit des rapports parvenus au Directoire, ne contribua pas peu à le décider, en proposant cette expédition comme une conception vaste et hardie. Le gigantesque plaisait à son imagination, et sa haine contre l'An

TOME 111.

1797, l'escadre vénitienne de Corfou. Suivant lui, la possession de cette station, jointe à celle des îles de l'Adriatique, assurait l'empire de la Méditerranée ses ports offraient des relâches sûres et commodes aux vaisseaux français, et devaient procurer au gouvernement la facilité d'entretenir, sur ce point rapproché de l'Égypte, des forces de terre et de mer toujours prêtes à rejoindre celles qui seraient destinées à la conquête de ce pays. Mais diverses circonstances ayant empêché l'exécution de ce coup de main, Bonaparte eut recours à la ruse pour se faire ouvrir les portes de Malte. L'agent diplomatique Poussielgue, revêtu du titre d'inspecteur des Échelles du Levant, alla s'y installer, soit pour insurger le pays contre l'ordre, soit pour ga gner les chevaliers français, et les engager à seconder les vues de la république.

Sans doute la conquête de l'Égypte eût été utile et avantageuse à la France; mais il eût fallu l'entreprendre en temps plus opportun. Ce n'était pas lorsque les choses étaient encore incertaines au congrès de Rastadt; que l'Europe, indignée de l'invasion de la Suisse et de Rome, aspirait à s'en venger, et que tout annonçait un rapprochement entre l'Autriche et la Russie, qu'il fallait préparer cette entreprise sans le consentement de la Porte. Cette faute est d'autant plus criante, qu'il eût été possible de l'éviter : l'affaire, habilement négociée, n'eût peut-être pas souffert plus de difficultés que l'emprunt ouvert l'année précédente à Constantinople par Aubert-Dubayet, pour subvenir aux besoins de la garnison de Corfou. Il ne s'agissait, pour le premier moment, que de ménager l'orgueil du Divan, en écartant toute idée de s'établir à perpétuité dans l'Égypte, et ne lui demandant que le passage pour une armée destinée à ruiner les comptoirs anglais dans l'Inde : le temps eût fait le reste. La crainte d'ébruiter le projet ne devait pas arrêter; car, si l'on obtenait l'assentiment de la Porte, on ne devait point en redouter une indiscrétion; et si elle le refusait, l'entreprise devenant absurde, il fallait y renoncer.

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D'ailleurs, tout bien considéré et à part les | prirent avec complaisance la discussion du projet dangers qui résultaient de la situation du conti- d'expédition en Égypte, ne doutant pas qu'il ne nent, l'expédition d'Égypte n'offrait peut-être pas fût accueilli par ce général qui en avait toujours autant de chances de succès qu'on imaginait. Ce parlé avec enthousiasme dans sa correspondance, n'était tout d'ouvrir une communication avec pas et dont ils avaient déjà pénétré l'inquiète ambil'Inde par Suez, il fallait encore soutenir Tippo- tion. Ils ne se trompèrent pas. Bonaparte, impaSaheb, et accabler les Anglais, ou souffrir malgré tient d'accroître sa renommée, envisageait avee soi leur victoire sur le sultan de Mysore. Et pour chagrin la nullité où la paix allait le réduire : il soutenir celui-ci, il fallait ou marcher sur l'Eu- aimait les dangers, la gloire, la puissance; la phrate à travers les déserts, ou descendre la mer guerre seule pouvait lui procurer tout cela. QuelRouge, et venir débarquer sur la côte de Surate. ques inquiétudes pour sa sûreté personnelle conUne armée enfoncée dans ces contrées, n'en serait tribuèrent aussi à le déterminer ; il avait sous les jamais sortie; car il s'agissait à la fois de conser- yeux l'exemple du 18 fructidor; et, ne voulant ver un établissement sur le Nil, et d'avoir encore pas fournir une seconde victime à la jalousie des des forces suffisantes pour voler sur le Gange. directeurs, il témoigna le désir d'être chargé de cette expédition, dans l'espoir sans doute qu'elle lui procurerait un établissement durable. Le Directoire, au comble de ses vœux, ne crut pas acheter trop cher son consentement, en lui fournissant toutes les troupes, les moyens et les agents qu'il désirerait; et, pour hâter le départ de l'expédition, il dégarnit l'Italie, aussi bien que les frontières de France.

Un voile impénétrable couvrit les premiers préparatifs. La formation de l'armée d'Angleterre,

Se contenter du commerce indirect avec l'Inde et la Perse, était un résultat qui ne méritait pas de hasarder l'élite des forces de la France. L'histoire des croisades prouvait qu'il eût été fort difficile de conserver une colonie dans l'Égypte, en guerre avec toute la population musulmane. Aux obstacles qui existaient alors, il convenait d'ajouter la difficulté de communiquer par la Méditerranée, mer trop étroite pour que les bâtiments français pussent se flatter d'échapper aux croisières ennemies. Si l'on voulait à tout prix attaquer les An-jointe à divers simulacres faits sur les côtes de la glais dans l'Inde, on eût couru peut-être moins de danger à reprendre le projet de Truguet, en suivant la route directe par le cap de Bonne-Espérance, qui eût permis de dérober la marche de la flotte aux escadres britanniques, et d'obtenir des succès décisifs, avant que le cabinet de Londres eût été à même de porter des secours aux points menacés.

La prospérité est souvent l'écueil des gouvernements; elle perdit le Directoire. Tant qu'il eut des ennemis à combattre, sa conduite fut justifiable par la plus puissante de toutes les considérations, celle de défendre le sol français et de conquérir une paix honorable; mais, dès que ses adversaires furent terrassés, il ne mit plus ni bornes ni mesure à ses projets; et sembla avoir moins en vue la gloire de la république, que l'éloignement des hommes dont la réputation Jui portait ombrage. Après la conclusion de la paix de CampoFormio, les dépositaires du pouvoir craignirent l'influence de Bonaparte sur la multitude, et re

Manche, donnèrent le change au cabinet de Londres, et lui persuadèrent qu'un armement considérable allait être dirigé contre la Grande-Bretagne. Bonaparte, fondé sur son titre de général en chef des forces destinées à dicter la loi dans Londres, demandait au gouvernement batave 15 vaisseaux pour son expédition. D'un autre côté, on sollicitait l'Espagne d'en préparer autant. Des constructions et des équipements annonçaient dans tous les ports que l'emprunt forcé dont nous avons parlé avait eu son effet; l'insurrection de l'Irlande, souvent pronostiquée, venait enfin d'éclater, et réclamait des secours. Tels étaient les motifs qui justifiaient du reste les appréhensions du ministère anglais. En effet, il rappela les forces éparses dans l'Océan, pour être prêt à repousser toute tentative de descente sur les côtes d'Angleterre ou d'Irlande; et ne laissa devant Brest et Cadix, que le nombre de vaisseaux strictement nécessaire pour les bloquer. La Méditerranée, dégagée des croisières anglaises, offrit à la flotte

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