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Aboukir. Je lui écrivis sur-le-champ pour lui faire sentir qu'il ne devait pas perdre une heure à entrer à Alexandrie, ou à se rendre à Corfou.

L'amiral m'instruisit, par une lettre du 2 thermidor, que plusieurs vaisseaux anglais était venus le reconnaître, et qu'il se fortifiait pour attendre l'ennemi, embossé à Aboukir. Cette étrange résolution me remplit des plus vives alarmes; mais déja il n'était plus temps, car la lettre que l'amiral écrivait le 2 thermidor ne m'arriva que le 12. Je lui expédiai le citoyen Jullien, mon aide-de-camp, avec ordre de ne pas partir d'Aboukir qu'il n'eût vu l'escadre à la voile. Parti le 12, il n'aurait jamais pu arriver à temps; cet aide- : de-camp a été tué en chemin par un parti arabe qui a arrêté sa barque sur le Nil, et l'a égorgé avec son es

corte.

Le 8 thermidor, l'amiral m'écrivit que les Anglais s'étaient éloignés, ce qu'il attribuait au défaut de vivres. Je reçus cette lettre par le même courrier, le 12.

Le II, il m'écrivait qu'il venait enfin d'apprendre la victoire des Pyramides et la prise du Caire, et que l'on avait trouvé une passe pour entrer dans le port d'Alexandrie; je reçus cette lettre le 18.

Le 14, au soir, les Anglais l'attaquèrent; il m'expédia, au moment où il aperçut l'escadre anglaise, un officier pour me faire part de ses dispositions et de ses projets cet officier a péri en route.

Il me paraît que l'amiral Brueys n'a pas voulu se rendre à Corfou, avant qu'il eût été certain de ne pouvoir entrer dans le port d'Alexandrie, et que l'armée

Mémoires.--Gourgaud.-Tome II. 23

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dont il n'avait pas de nouvelles depuis long-temps, fût dans une position à ne pas avoir besoin de retraite. Si dans ce funeste évènement il a fait des fautes, il les a expiées par une mort glorieuse.

Les destins ont voulu dans cette circonstance, comme dans tant d'autres, prouver que, s'ils nous accordent une grande prépondérance sur le continent, ils ont donné l'empire des mers à nos rivaux. Mais ce revers ne peut être attribué à l'inconstance de notre fortune; elle ne nous abandonne pas encore : loin de là, elle nous a servis dans toute cette opération audelà de tout ce qu'elle a jamais fait. Quand j'arrivai devant Alexandrie avec l'escadre, et que j'appris que les Anglais y étaient passés en force supérieure quelques jours avant, malgré la tempête affreuse qui régnait, au risque de me naufrager, je me jetai à terre. Je me souvins qu'à l'instant où les préparatifs du débarquement se faisaient, on signala dans l'éloignement, au vent, une voile de guerre : c'était la Justice. Je m'écriai: « Fortune, m'abandonneras -tu? quoi, seulement cinq jours! » Je débarquai dans la journée, je marchai toute la nuit ; j'attaquai Alexandrie à la pointe du jour avec 3,000 hommes harassés, sans canons et presque pas de cartouches; et dans les cinq jours, j'étais maître de Rosette, de Damanhour, c'est-à-dire déja établi en Égypte. Dans ces cinq jours, l'escadre devait se trouver à l'abri des forces des Anglais, quel que fût leur nombre. Bien loin de là elle reste exposée pendant tout le reste de messidor. Elle reçoit de Rosette, dans les premiers jours de thermidor, un ap

provisionnement de riz pour deux mois. Les Anglais se laissent voir en nombre supérieur pendant dix jours dans ces parages. Le 11 thermidor, elle apprend la nouvelle de l'entière possession de l'Égypte et de notre entrée au Caire; et ce n'est que lorsque la fortune voit que toutes ses faveurs sont inutiles, qu'elle abandonne notre flotte à son destin.

Signé, BONAPARTE.

Lettre du général Bonaparte,

A la citoyenne Brueys.

Au Caire, le 2 fructidor an VI (19 août 1798.)

Votre mari a été tué d'un coup de canon, en combattant à son bord. Il est mort sans souffrir, et de la mort la plus douce, la plus enviée par les militaires. Je sens vivement votre douleur. Le moment qui nous sépare de l'objet que nous aimons est terrible e; il nous isole de la terre; il fait éprouver au corps les convulsions de l'agonie. Les facultés de l'ame sont anéanties, elle ne conserve de relations avec l'univers, qu'au travers d'un cauchemar qui altère tout. Les hommes paraissent plus froids, plus égoïstes qu'ils ne le sont réellement. L'on sent dans cette situation que rien ne nous obligeait à la vie, il vaudrait beaucoup mieux mourir; mais lorsque après cette première pen

si

sée, l'on presse ses enfants sur son cœur, des larmes, des sentiments tendres raniment la nature, et l'on vit pour ses enfants; oui, madame, voyez dès ce premier moment qu'ils ouvrent votre cœur à la mélancolie : vous pleurerez avec eux, vous éleverez leur enfance, cultiverez leur jeunesse; vous leur parlerez de leur père, de votre douleur, de la perte qu'eux et la république ont faite. Après avoir rattaché votre ame au monde par l'amour filial et l'amour maternel, appréciez pour quelque chose l'amitié et le vif interêt que je prendrai toujours à la femme de mon ami. Persuadezvous qu'il est des hommes, en petit nombre, qui méritent d'être l'espoir de la douleur, parce qu'ils sentent avec chaleur les peines de l'ame.

Signé, BONAPARTE.

Instructions remises au citoyen Beauvoisin, chef de bataillon d'état-major, commissaire près le divan du Caire.

Au Caire, le 5 fructidor an VI ( 22 août 1798.)

Le citoyen Beauvoisin se rendra à Damiette; de là il s'embarquera sur un vaisseau turc ou grec; il se rendra à Jaffa; il portera la lettre que je vous envoie à Achmet-Pacha; il demandera à se présenter devant lui, et il réitérera de vive voix que les musulmans

n'ont pas de plus vrais amis en Europe, que nous; que j'ai entendu avec peine que l'on croyait en Syrie que j'avais dessein de prendre Jérusalem et de détruire la religion mahométane; que ce projet est aussi loin de notre cœur que de notre esprit; qu'il peut vivre en toute sûreté, que je le connais de répuputation comme un homme de mérite; qu'il peut être assuré que, s'il veut se comporter comme il le doit envers les hommes qui ne lui font rien, je serai ́son ami, et bien loin que notre arrivée en Égypte soit contraire à sa puissance, elle ne fera que l'augmenter; que je sais que les Mameloucks que j'ai détruits étaient ses ennemis, et qu'il ne doit pas nous confondre avec le reste des Européens, puisque, au lieu de rendre les musulmans esclaves, nous les délivrons; et enfin, il lui raconterà ce qui s'est passé en Égypte, et ce qui peut être propre à lui ôter l'envie d'armer et de se mêler de cette querelle. Si Achmet-Pacha n'est pas à Jaffa, le citoyen Beauvoisin se rendra à Saint-Jean d'Acre; mais il aura soin, auparavant, de voir les familles européennes, et principalement le vice-consul français, pour se procurer des renseignements sur ce qui se passe à Constantinople et sur ce qui se fait en Syrie.

Signé, BONAPARTE.

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