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chair (1). Il rendit l'homme le chef de ce tout (2), et il affermit leur union, défendant aux hommes de séparer ce qu'il avait lui-même conjoint (3). Ce sont ces manières mystérieuses dont Dieu a formé l'engagement du mariage qui sont les fondements, non-seulement des lois qui règlent tous les devoirs du mari et de la femme, mais aussi des lois de l'Église et des lois civiles qui regardent le mariage et les matières qui en dépendent ou qui s'y rapportent. Ainsi, le mariage étant un lien formé de la main de Dieu, il doit être célébré d'une manière digne de la sainteté de l'institution divine qui l'a établi. Et c'est une suite naturelle de cet ordre divin, que le mariage soit précédé et accompagné de l'honnêteté du choix réciproque des personnes qui s'y engagent; du consentement des parents qui tiennent, en plusieurs manières, la place de Dieu; et qu'il soit célébré par le ministère de l'Église, où cette union doit recevoir les effets du sacrement qui en est le lien. Ainsi, le mari et la femme étant donnés l'un à l'autre de la main de Dieu qui les unit en un seul tout, que rien ne peut séparer, on ne peut jamais dissoudre un mariage qui a été une fois contracté légitimement. Ainsi, cette union des personnes, dans le mariage, est le fondement de la société civile qui les unit dans l'usage de leurs biens et de toutes choses. Ainsi, le mari étant, par l'ordre divin, le chef de la femme, il a sur elle une puissance proportionnée à ce qu'il est dans leur union; et cette puissance est le fondement de l'autorité que les lois civiles donnent au mari, et des effets de cette autorité dans les matières où elle a son usage. Ainsi, le mariage étant institué pour la multiplication du genre humain par l'union de l'homme et de la femme, liés de la manière dont Dieu les unit, toute conjonction hors du mariage est illicite, et ne pent donner qu'une naissance illégitime. Et cette vérité est le fondement des lois de la religion et de la police contre les conjonctions illicites, et de celles qui règlent l'état des enfants qui en naissent. Le lien du mariage, qui unit les deux sexes, est suivi de celui de la naissance, qui lie au mari et à la femme les enfants qui naissent de leur mariage.

C'est pour former ce lien que Dieu veut que l'homme reçoive la vie de ses parents dans le sein d'une mère; que sa naissance soit le fruit des peines et des travaux de cette mère; qu'il naisse incapable de conserver cette vie où il est entré; qu'il y soit longtemps dans un état de faiblesse et de besoin du secours de ses prents, pour y subsister et y être élevé. Et comme c'est par cette naissance que Dieu forme l'amour mutuel, qui unit si étroitement celui qui, en engendrant son

(1) Et erunt duo in carne unâ. Gen. 2, 24. Itaque non sunt duo, sed una caro. Matth. 19, 6. Ephes. 5, 1. Marc. 10, 8.

(2) Caput autem mulieris, vir. 1 Cor. 11, 3. Muliercs viris suis subditae sint, sicut Domino: quoniam vir caput est mulieris, sicut Christus caput est Ecclesia. Ephes. 5, 22, 23. Sub viri potestate eris. Gen. 3, 16. 1 Cor. 14, 34.

(3) Quod ergo Deus conjunxit, homo non separet. Matth. 19, 6.

semblable, lui donne la vie, et celui qui la reçoit, i! donne à l'amour des parents un caractère proportionné à l'état des enfants dans leur naissance, et à tous les besoins qui sont les suites de cette vie qu'ils leur ont donnée, pour les lier, par cet amour, aux devoirs de l'éducation, de l'instruction, et à tous les autres. Et il donne à l'amour des enfants un caractère proportionné aux devoirs de dépendance, d'obéissance, de reconnaissance, et à tous les autres où les engage le bienfait de la vie, qu'ils tiennent tellement des parents dont Dicu les a fait naître, qu'il nous apprend que sans eux ils ne l'auraient point (1); ce qui les oblige à rendre aux parents tous les secours et tous les services dans leurs besoins, et surtout en ceux du déclin de l'âge, et des autres faiblesses, infirmités et nécessités où les enfants peuvent rendre à leurs parents des devoirs qui répondent aux premiers bienfaits qu'ils en ont reçus. C'est cet ordre de naissance qui, formant les engagements entre les parents et les enfants, est le fondement de tous leurs devoirs, dont il est facile de voir l'étendue par les caractères de ces différents engagements. Et c'est de ces mêmes principes que dépend tout ce que les lois civiles ont réglé des effets de la puissance paternelle, et des devoirs réciproques des parents envers les enfants, et des enfants envers les parents, selon que ce sont des matières de la police; comme le sont les droits que les lois et les coutumes donnent aux pères pour la conduite de leurs enfants, pour la célébration de leurs mariages, pour l'administration et la jouissance de leurs biens, les rébellions des enfants contre l'obéissance aux parents, l'injustice des parents ou des enfants qui se refusent les aliments, et les autres semblables. C'est encore sur ce même ordre dont Dieu s'est servi pour donner la vie aux enfants par leurs parents que sont fondées les lois qui font passer aux enfants les biens des parents après leur mort; parce que les biens étant donnés aux hommes pour tous les différents besoins de la vie, et n'étant qu'une suite de ce bienfait, il est de l'ordre naturel qu'après la mort des parents les enfants recueillent leur bien, comme un accessoire de la vie qu'ils ont reçue d'eux. Le lien de la naissance qui unit les pères et les mères à leurs enfants, les lie encore à ceux qui naissent et descendent de leurs enfants. Et cette liaison fait considérer tous les descendants comme les enfants, et tous les ascendants comme étant dans le rang des pères ou des mères. On peut remarquer, sur la différence des caractères de l'amour qui unit le mari et la femme, et de celui qui lie les parents et les enfants, que c'est l'opposition de ces différents caractères, qui est le fondement des lois qui rendent illicite le mariage entre les ascendants et les descendants en tous degrés, et entre les collatéraux en quelques degrés; il est facile d'en voir les raisons par de simples

(1) In toto corde tuo honora patrem tuum, et gemitus matris tuæ ne obliviscaris: memento quoniam, nisi per illos, natus non fuisses et retribue illis, quomodò et illi tibi. Eccles. 7, 28, 29, 30.

réflexions sur ce qu'on vient de remarquer dans ces caractères, sur quoi il n'est pas nécessaire de s'étendre ici.

Le mariage et la naissance quí unissent si étroitement le mari et la femme, et les parents avec les enfants, forment aussi deux autres sortes de liaisons naturelles qui en sont les suites. La première est celle des collatéraux, qu'on appelle parenté; et la seconde est celle des alliés, qu'on appelle alliance ou affinité. La parenté lie les collatéraux, qui sont ceux dont la naissance a son origine d'un même ascendant commun. On les appelle ainsi, parce qu'au lieu que les ascendants et descendants sont dans une même ligne de père en fils, les collatéraux ont chacun la leur, qui va se joindre à l'ascendant commun. Ainsi ils sont l'un à côté de l'autre ; et le fondement de leur liaison et de leur parenté est leur union commune aux mêmes parents dont ils ont leur naissance. Il n'est pas de ce lieu d'expliquer les degrés des parentés; c'est une matière qui fait partie de celle des successions. Et il suffit de remarquer ici que cette liaison des parentés est le fondement de diverses lois, comme de celles qui défendent le mariage entre les proches, de celles qui les appellent aux successions et aux tutelles, de celles des récusations de juges et des reproches des témoins parents des parties, et des autres semblables. Les alliances sont les liaisons et les relations qui se font entre le mari et tous les parents de la femme, et entre la femme et tous les parents du mari. Le fondement de cette liaison est l'union si étroite entre le mari et la femme, qui fait que ceux qui sont liés par la parenté à l'un des deux, sont par conséquent liés à l'autre : et cette alliance fait que le mari considère le père et la mère de sa femme comme lui tenant lieu de père et de mère et ses frères et sœurs, et ses autres proches, comme lui tenant licu de frères, de sœurs et de proches; et que la femme regarde de même le père et la mère, et tous les proches de son mari. Cette reIntion des alliances est le fondement des lois qui défendent le mariage entre les alliés en ligne directe, de descendants et d'ascendants en tous degrés, et entre les collatéraux, jusqu'à l'étendue de certains degrés ; et aussi des lois qui appellent les alliés aux tutelles, de celles qui rejettent les juges et les témoins alliés des parties, et des autres semblables.

CHAPITRE IV.

DE LA SECONDE ESPÈCE D'ENGAGEMENTS.

Comme les engagements du mariage et de la naissance dans les parentés et dans les alliances, sont bornés entre certaines personnes, et que Dieu a mis les hommes en société pour les lier par l'amour mutuel, de telle manière que tout homme soit disposé à produire envers tout autre les effets de cet amour, selon que l'occasion peut y obliger; il a rendu nécessaire dans la société une seconde espèce d'engagements qui approchent et lient différemment toutes sortes de personnes, et souvent même ceux qui sont

les plus étrangers l'un à l'autre (1). C'est pour former cette seconde sorte d'engagements, que Dieu multiplic les besoins des hommes, et qu'il les rend nécessaires les uns aux autres pour tous ces besoins. Et il se scrt de deux voies pour mettre chacun dans l'ordre des engagements où il le destine. La première de ces deux voies est l'arrangement qu'il fait des personnes dans la société, où il donne à chacun sa place, pour lui marquer par sa situation les relations qui le lient aux autres, et quels sont les devoirs propres au rang qu'il occupe; et il place chacun dans le sien, par la naissance, par l'éducation, par les inclinations et par les autres effets de sa conduite, qui rangent les hommes. C'est cette première voie qui fait à tous les hommes les engagements généraux des conditions, des professions, des emplois, et qui met chaque personne dans un certain état de la vie, dont ses engagements particuliers doivent être les suites. La seconde voie est la disposition des événements et des conjonctures, qui déterminent chacun aux engage.. ments particuliers, selon les occasions et les circonstances où il se rencontre.

Toutes ces sortes d'engagements de cette seconde espèce sont ou volontaires ou involontaires. Car, comme l'homme est libre, il y a des engagements où il entre par sa volonté; et comme il est dépendant de l'ordre divin, il y en a où Dieu le met sans son propre choix mais soit que les engagements dépendent de la volonté, ou qu'ils en soient indépendants dans leur origine, c'est par sa liberté que l'homme agit dans les uns et dans les autres; et toute sa conduite renferme toujours ces deux caractères, l'un de la dépendance de Dieu, dont il doit suivre l'ordre, et l'autre, de sa liberté, qui doit l'y porter. Ainsi toutes ces sortes d'engagements sont proportionnées, et à la nature de l'homme, et à son état pendant cette vie.

Les engagements volontaires sont de deux sortes : quelques-uns se forment mutuellement entre deux ou. plusieurs personnes, qui se lient et s'engagent réciproquement l'une à l'autre parleur volonté; et d'autres se forment par la volonté d'un seul, qui s'engage envers d'autres personnes, sans que ces personnes traitent avec lui. On distinguera facilement ces deux sortes d'engagements par quelques exemples: ainsi, pour les engagements volontaires et mutuels, on voit que pour les divers besoins qu'ont les hommes de se communiquer les uns aux autres leur industrie et leur travail, et pour les différents commerces de toutes choses, ils s'associent, loucnt, vendent, achètent et changent, et font entre eux toutes les autres sortes de conventions. Ainsi, pour les engagements qui se forment par la volonté d'un seul, on voit que celui qui se rend héritier, s'oblige envers les créanciers de la succession; que celui qui entreprend la conduite de l'affaire d'un absent, à son insu, s'oblige aux suites de l'affaire qu'il a commencée; et qu'en général tous

(1) Luc. 10, 35.

ceux qui entrent volontairement dans quelques em plois, s'obligent aux engagements qui en sont les suites.

Les engagements involontaires sont ceux où Dicu met les hommes sans leur propre choix. Ainsi, ceux qui sont nommés à ces charges qu'on appelle municipales, comme d'échevins, consuls et autres, et ceux que la justice engage dans quelques commissions, sont obligés de les exercer, et ne peuvent s'en dispenser, s'ils n'ont des excuses. Ainsi, celui qui est appelé à une tutelle est obligé indépendamment de sa volonté, à tcnir lieu de père à l'orphelin qu'on met sous sa charge. Ainsi, celut dont l'affaire a été conduite en son ab sence et à son insu par un ami, qui en a pris le soin, est obligé, envers cet ami, de lui rendre ce qu'il a raisonnablement dépensé, et de ratifier ce qu'il a bien géré. Ainsi, celui dont la marchandise a été sauvée d'un naufrage par la décharge du vaisseau, d'où l'on a jeté d'autres marchandises, est obligé de porter sa part de la perte des autres, à proportion de ce qui a été garanti pour lui. Ainsi, l'état de ceux qui se trouvent dans la société, et sans biens et dans l'impuissance de travailler pour y subsister, fait un engagement à tous les autres d'exercer envers eux l'amour mutuel, en leur faisant part d'un bien où ils ont droit. Car tout homme étant de la société, a droit d'y vivre; et ce qui est nécessaire à ceux qui n'ont rien, et qui ne peuvent gagner leur vie, est par conséquent entre les mains des autres ; d'où il s'ensuit qu'ils ne peuvent sans injustice le leur retenir. Et c'est à cause de cet engagement que, dans les nécessités publiques, on oblige les particuliers, même par des contraintes, à secourir les pauvres selon les besoins. Ainsi, l'état de ceux qui souffrent quelque injustice, et qui sont dans l'oppression, est un engagement à ceux qui ont le ministère et l'autorité de la justice, de la mettre en usage pour les protéger.

ne

On voit dans toutes ces sortes d'engagements, et dans tous les autres qu'on saurait penser, que Dieu ne les forme et n'y met les hommes que pour les lier à l'exercice de l'amour mutuel, et que tous les différents devoirs que prescrivent les engagements, sont autre chose que les divers effets que doit produire cet amour, selon les conjonctures et les circonstances. Ainsi, en général, les règles qui commandent de rendre à chacun ec qui lui appartient, de ne faire tort à personne, de garder toujours la fidélité et la sincérité, et les autres semblables, ne commandent que des effets de l'amour mutuel. Car aimer, c'est vouloir faire du bien; et on n'aime point ceux à qui on fait quelque tort, ni ceux à qui on n'est pas fidèle et sincère. Ainsi, en particulier, les règles qui ordonnent au tuteur de prendre le soin de la personne et des biens du mineur qui est sous sa charge, ne lui commandent que les effets de l'amour qu'il doit aveir pour cet orphelin. Ainsi, les règles des devoirs de ceux qui sont dans les charges et dans toute autre sorte d'engagements généraux ou particuliers, ne leur prescrivent que ce que demande la seconde loi, comme

il est facile de le reconnaître dans le détail des engagements. Et il est si vrai que c'est le commandement d'aimer qui est le principe de toutes les règles des engagements, et que l'esprit de ces règles n'est autre chose que l'ordre de l'amour qu'on se doit réciproquement, que s'il arrive qu'on ne puisse, par exemple, rendre à un autre ce qu'on a de lui, sans blesser cet ordre, ce devoir est suspendu jusqu'à ce qu'on puisse l'accomplir selon cet esprit. Ainsi, celui qui a l'épée d'une personne insensée, ou d'une autre qui la demande dans l'emportement d'une passion, ne doit pas la lui rendre, jusqu'à ce que cette personne soit en état de n'en pas faire un mauvais usage; car ce ne serait pas l'aimer que la lui donner dans ces circonstances. C'est ainsi que la seconde loi commande aux hommes de s'entr'aimer. Car l'esprit de cette loi n'est pas d'obliger chacun d'avoir pour tous les autres cette inclination qu'attirent les qualités qui rendent aimable; mais l'amour qu'elle ordonne consiste à désirer aux autres leur vrai bien, et à le leur procurer autant qu'on le peut. Et c'est par cette raison que, comme ce commandement est indépendant du mérite de ceux que l'on doit aimer, et qu'il n'excepte qui que ce soit, il oblige d'aimer ceux qui sont le moins aimables, et et ceux mêmes qui nous haïssent. Car la loi qu'ils violent subsiste pour nous, et nous devons souhaiter leur vrai bien, et le procurer (1) autant par l'espérance de les ramener à leur devoir, que pour ne pas violer le nôtre. On a fait ici ces réflexions, pour faire voir que, comme c'est la seconde loi qui est le principe et l'esprit de toutes celles qui regardent les engagements, ce n'est pas assez de savoir, comme savent les plus barbares, qu'il faut rendre à chacun ce qui lui appartient, qu'il ne faut faire tort à personne, qu'il faut être sincère et fidèle, et les autres règles semblables; mais qu'il faut, de plus, considérer l'esprit de ces règles et la source de leur vérité dans la seconde loi, pour leur donner toute l'étendue qu'elles doivent avoir. Car on voit souvent que, faute de ce principe, plusieurs juges, qui ne regardent ces règles que comme des lois politiques, sans en pénétrer l'esprit qui l'oblige à une justice plus abondante, ne leur donnent pas leur juste étendue, et tolèrent des infidélités et des injustices qu'ils réprimeraient, si l'esprit de la seconde loi était leur principe.

Il faut ajouter à ces remarques sur ce qui regarde les engagements, qu'ils demandent l'usage d'un gouvernement qui contienne chacun dans l'ordre des siens. C'est pour ce gouvernement que Dieu a établi l'autorité des puissances nécessaires pour maintenir la société, comme on le verra dans le chapitre dixiè

(1) Non oderis fratrem tuum in corde tuo. Levit. 19, 17. Non quæres ultionem, nec memor eris injuriæ civium tuorum. Ibid. 18. Si occurreris bovi inimici tui, aut asino erranti, reduc ad eum. Si videris asinum odientis te jacere sub onere, non pertransibis, sed sublevabis cum eo. Exod. 23, 45. Si reddidi retribuen. tibus mihi mala, etc. Ps. 7, 5. Si esurierit inimicus tuus, ciba illum si sitierit, da ei aquam bibere. Prov. 25, 21. Rom. 12, 20. Matth. 5, 42.

me. Et il faut seulement remarquer ici, sur le sujet du gouvernement et à l'occasion des engagements, qu'il y en a plusieurs qui se forment par cet ordre du gouvernement, comme entre les princes et les sujets, entre ceux qui sont dans les dignités et charges publiques et les particuliers, et d'autres encore qui sont de cet ordre.

Il a été nécessaire de donner cette idée générale de toutes ces diverses sortes d'engagements dont il a été parlé jusqu'à cette heure; car, comme c'est par ces liens que Dieu applique les hommes à tous leurs différents devoirs, et qu'il a mis dans chaque engagement les fondements des devoirs qui en dépendent; c'est dans ces sources qu'on doit reconnaître les principes et l'esprit des lois, selon les engagements où elles se rapportent. On a vu, dans les engagements du mariage et de la naissance, les principes des lois qui les regardent; et il faut découvrir, dans les autres engagements qu'on vient d'expliquer, les principes des lois qui leur sont propres. On se réduira à ceux qui se rapportent aux lois civiles; et comme la plus grande partie des matières du droit civil sont des suites des engagements dont on a parlé dans ce chapitre, on exbliquera, dans le chapitre suivant, quelques règles gé nérales qui résultent de la nature de ces engagements, et qui sont en même temps les principes des règles particulières des matières qui naissent de ces mêmes engagements.

CHAPITRE V.

DE QUELQUES RÈGLES GÉNÉRALES QUI SUIVENT DES ENGAGEMENTS DONT ON A PARLÉ DANS LE CHAPITRE PRÉCÉDENT, ET QUI SONT AUTANT DE PRINCIPES DES LOIS CIVILES.

Ces règles générales dont on vient de parler, et qui se tirent de tout ce qui a été dit dans le chapitre précedent, et aussi dans les autres, sont celles qui suivent; et on les expliquera en autant d'articles, comme ues conséquences des principes qu'on a établis. Il s'ensuit donc de ces principes :

Que tout homme étant un membre du corps de la société, chacun doit y remplir ses devoirs et ses fonctions, selon qu'il y est déterminé par le rang qu'il occupe, et par ses autres engagements. D'où il s'ensuit que les engagements de chacun lui sont comme ses lois propres.

Que chaque particulier étant lié à ce corps de la société dont il est un membre, il ne doit rien entreprendre qui en blesse l'ordre; ce qui renferme l'engagement de la soumission et de l'obéissance aux puissances que Dieu a établies pour maintenir cet ordre (1). Que engagement de chaque particulier, à ce qui regarde 'ordre de la société dont il a fait partie, ne l'oblige as seulement à ne rien faire, à l'égard des autres, qui blesse cet ordre, mais l'oblige aussi de se contenir lans son rang, de telle manière qu'il ne fasse aucun

(1) Omnis anima potestatibus sublimioribus subdita sit: non est enim potestas nisi à Deo. Rom. 13, 1. Tit. 3, 1. 1 Petr. 2, 13. Sap. 6, 4.

mauvais usage ni de soi-même, ni de ce qui est à lui, car il est dans la société ce qu'est un membre dans le corps. Ainsi ceux qui, sans faire tort à d'autres, tombent dans quelque déréglement qui offense le public, soit en leurs personnes ou sur leurs biens, comme font ceux qui se désespèrent, ceux qui blasphement ou qui jurent, ceux qui prodiguent leurs biens, et tous ceux enfin qui violent les bonnes mœurs, la pudeur ou l'honnêteté d'une manière qui blesse l'ordre extérieur, sont justement punis par les lois civiles, selon la qualité du déréglement (1).

Que dans tous les engagements de personne à personne, soit volontaires ou involontaires, qui peuvent être des matières de droit civil, on se doit réciproquement ce que demandent les deux préceptes que renferme la seconde loi : l'un de faire aux autres ce que nous voudrions qu'ils fissent pour nous (2), et l'autre de ne faire à personne ce que nous ne voudrions pas que d'autres nous fissent (3); ce qui comprend la règle de ne faire tort à personne, et celle de rendre à chacun ce qui lui appartient (4).

Que dans les engagements volontaires et mutuels, ceux qui traitent ensemble se doivent la sincérité, pour se faire entendre réciproquement à quoi ils s'engagent, la fidélité pour l'exécuter (5), et tout ce que peuvent demander les suites des engagements où ils sont entrés (6). Ainsi le vendeur doit déclarer sincerement les qualités de la chose qu'il vend; il doit la conserver jusqu'à ce qu'il la délivre, et il doit la ga rantir après qu'il l'a délivrée.

Que dans les engagements involontaires, l'obligation est proportionnée à la nature et aux suites de l'engagement, soit qu'il consiste à faire ou donner, ou en autre sorte d'obligation (7). Ainsi, le tuteur est obligé à la conduite de la personne, et à l'administration des biens de l'orphelin qui est sous sa charge et à tout ce que cette conduite et cette administration rendent nécessaire. Ainsi, celui qui est appelé à une charge publique, quoique contre son gré, doit s'en acquitter.

(1) Mane in loco tuo. Eccles. 11, 22. Omnia autem honesté et secundum ordinem fiant in vobis. 1 Cor. 14, 40. Juris præcepta sunt, honestè vivere, etc., l. 10, § 1, ff. de Just. et jur. § 3. inst. eod. Expedit enim reipublicæ ne suà re quis malè utatur. § 2, inst. de his qui sui vel al. jur. sunt.

(2) Omnia ergo quæcumque vultis ut faciant vobis homines, et vos facite illis. Matth. 7, 12. Et prout vultis ut faciant vobis homines, et vos facite illis similiter. Luc. 6, 31.

quandò alteri facias. Tob. 4, 16. (3) Quod ab alio oderis fieri tibi, vide ne tu ali

(4) Alterum non ledere, suum cuique tribuere, 1. 10, § 1, ff. de Just. et jure; § 3, inst. eod.

(5) Ut sitis sinceri. Philip. 1, 10. Abominatio est Domino labia mendacia; qui autem fideliter agunt, placent ei, Prov. 12, 22. Confirma verbum, et fideliter age cum illo (proximo tuo). Eccles. 29, 3.

(6) Alter alteri obligatur de eo quod alterum alteri ex bono et æquo præstare oportet, l. 2, § ult. ff. de obl. et act.

(7) Obligationum substantia non in co consisti; ut aliquod corpus nostrum, aut servitutem nostram fa ciat, sed ut alium nobis obstringat ad dandum aliquid, vel faciendum, vel præstandum, 1. 3, ff. de obl. et act.

Ainsi, ceux qui, sans conventions, se trouvent avoir quelque chose de commun ensemble, comme des cohéritiers et autres, se doivent réciproquement ce que leurs engagements peuvent demander.

Qu'en toute sorte d'engagements, soit volontaires ou involontaires, il est défendu d'user d'infidélité, de duplicité, de dol, de mauvaise foi et de toute autre manière de nuire et de faire tort (1).

Que tous les particuliers composant ensemble la société, tout ce qui en regarde l'ordre, fait à chacun un engagement de ce que cet ordre demande de lui : et il peut y être obligé par l'autorité de la justice, s'il n'y satisfait volontairement. Ainsi, on contraint aux charges publiques dans les villes et les autres lieux, ceux qui sont appelés aux fonctions d'échevins, consuls et autres semblables charges ou commissions (2). Ainsi, on oblige ceux qui sont appelés à une tutelle à l'accepter et s'en acquitter (3). Ainsi, on contraint les particuliers à vendre ce qu'ils se trouvent avoir de nécessaire pour quelque usage où le public est intéressé (4). Ainsi, on exige justement des particuliers es tributs et les impositions pour les charges publiques (5).

Que les engagements volontaires entre les particuliers devant être proportionnés aux différents besoins qui leur en rendent l'usage nécessaire, il est libre à toutes personnes capables, des engagements, de se lier par toute sorte de conventions, selon les différences des affaires de toute nature et selon la diversité infinie des combinaisons que font dans les af faires les conjonctures et les circonstances (6), pourvu seulement que la convention n'ait rien de contraire à la règle qui suit.

Que tout engagement n'est licite qu'à proportion qu'il est conforme à l'ordre de la société, et que ceux qui le blessent sont illicites et punissables, selon qu'il y sont opposés. Ainsi, les emplois contraires à cet ordre sont des engagements criminels. Ainsi, les promesses et les conventions qui violent les lois ou les bonnes mœurs, n'obligent à rien, qu'aux peines que

(1) Ne quis supergrediatur, neque circumveniat in negotio fratrem suum. 1 Thessal. 4, 6.

Que dolo malo facta esse dicentur, si de his rebus alia actio non erit, et justa causa esse videbitur, judicium dabo, l. 1, § 1, ff. de dolo.

(2) Paulus respondit eum qui injunctum munus à magistratibus suscipere supersedit, posse conveniri eo nomine, propter damnum reipublicæ, l. 21, ff. ad municip.

(3) Gercre atque administrare tutelam extra ordinem tutor cogi solet, l. 1, ff. de admin. et peric. tul. (4) V. l. 11, ff. de evict. in verb. Possessiones ex præcepto principali distractas, V. l. 12 ff. de Relig. Possessiones quas pro ecclesiis, aut domibus ecclesiarum parochialium, etc. Voyez l'ordonnance de Pnilippe-le-Bel de 1303.

(5) Reddite quae sunt Cæsaris, Cæsari. Matth. 22, 21. Cui tributum, tributum. Rom. 13, 7.

(6) Quid tam congruum fidei humanæ, quàm ea quæ inter eos placuerunt servare? l. 1, ff. de pact. Ait prætor: Pacta conventa, quæ neque dolo malo, neque adversùs leges, plebiscita, senatusconsulta, edicta principum neque quo fraus cui corum fiat, facta erunt, servabo, 1.7, § 7, ff. de pact.

peuvent mériter ceux qui les ont faites (1). On verra, dans le détail des matières des lois civiles, quel est l'usage de tous ces principes; et c'est assez de les marquer ici comme des règles générales d'où dépendent une infinité de règles particulières dans tout ce détail.

On n'a pas voulu mêler, parmi les engagements dont on a parlé jusqu'à cette heure, une autre espèce de liaison qui unit les hommes plus étroitement qu'aucun de tous les engagements, à la réserve de ceux du mariage et de la naissance. C'est la liaison des amitiés qui produisent dans la société une infinité de bons effets, et par les offices et les services que les amis se rendent l'un à l'autre, et par le secours que chacun tire des personnes qui se trouvent liées à ses amis. Mais, quoique les amitiés fassent un enchaînement de liaisons et de relations d'une grande étendue et d'un grand usage dans la société, on n'a pas dû mêler les amitiés avec les engagements, parce qu'elles sont d'une nature qui en est distinguée par deux caractères : l'un, qu'il n'y a point d'amitié où l'amour ne soit recipro · que; au lieu que dans les engagements, l'amour qui devrait y être mutuel, ne l'est pas toujours : et l'autre, que les amitiés ne sont pas une espèce particulière d'engagement, mais sont des suites qui naissent des engagements. Ainsi, les liaisons de parenté, d'alliance, de charges, de commerce, d'affaires et autres, sont les occasions et les causes des amitiés, et elles supposent toujours quelque autre engagement, qui approche ceux qui deviennent amis. C'est cet usage des amitiés si naturel et si nécessaire dans la société, qui ne permet pas de n'en point parler : et c'est cette différence de leur nature et de celle des engagements, qui a obligé de les distinguer. Ainsi on en a fait la matière du chapitre suivant.

CHAPITRE VI.

DE LA NATURE DES AMITIÉS, ET DE LEUR USAGE DANS LA SOCIÉTÉ.

L'amitié est une union qui se forme entre deux personnes par l'amour réciproque de l'une envers l'autre ; et comme il y a deux principes qui font aimer, les amitiés sont de deux espèces : l'une, de celles qui ont pour principe l'esprit des premières lois; et l'autre, de toutes celles qui, n'étant pas fondées sur ce principe, ne sauraient en avoir d'autre que l'amour-propre. Car si l'amitié manque de l'attrait qui tourne l'union des amis à la recherche du souverain bien, elle aura d'autres vues qui ramperont sur des biens qu'on ne saurait aimer que par l'amour-propre. Ainsi ceux qui, sans amour du souverain bien, paraissent n'aimer leurs amis que par l'estime de leur mérite ou par le désir de leur faire du bien, et ceux même qui donnent pour leurs amis leur bien et leur vic, trouvent, dans ces effets de leur amitié, ou quelque gloire, ou quelque plaisir, ou quelque autre attrait qui est leur bien pro

(1) Pacta quæ contra leges constitutionesque, vel contra bonos mores fiunt, nullam vim habere indubitati juris est, l. 6, c. de pact. Tel était l'engagement de ce prince qui, pour tenir sa parole, fit mouri" S. Jean. Matth. 14.

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