Pagina-afbeeldingen
PDF
ePub

DOMATUS (Joannes) Claramontii Arvernorum natus, trigesimâ novembris die, anno 1625, in hujus urbis curiâ præsidiali regiarum causarum actor, juris gallici restaurator et quasi pater haberi potest. Modestià clarus, laboris amans, ambitionis qualiscumque expers, quidquid temporis ab implendo munere vacabat, illud prædilectæ disciplinæ studio assiduns impendebat. Nequicquam igitur hic expectes singulares illas historiunculas quibus virorum illustrium gesta vulgò sparsa sunt. Domatus totus libris dùm viveret, in libris quos elucubravit nunc totus est.

Quo tempore magistratum inivit, jus gailicum lugendà perturbatum erat confusione, vel potiùs jure mixtum multiplici, in quo leges quælibet germanis legibus nexu nullo cohærentes, privatoque judicis uniuscujusque arbitrio ventilatæ, sibi invicem sæpiùs contradicebant. Domatus informe chaos extricandum aggressus est, pio primùm impulsus desiderio auxiliatrix lumen offerendi iis liberorum suorum qui fori curriculum fortè erant ingressuri. Quod verò in limine nihil nisi amoris paterni foetus erat, sensim immortale factum est monumentum quo patria superbit et quo gaudet adhucdùm orbis universus. Immensam decretorum particularium segetem perpaucis admodùm principiis generatoribus assignans, generationem hanc luculentà methodo circumscripsit, sicque juris fontem eruit fecundum, unde pleno alveo omnis decurrit jurisprudentia.

Quo res tanta peracta est, opus perdiù patienterque, ut momentosæ solent lucubrationes, elaboratum, Parisiis tandem prodiit 1689, cum titulo: Les lois civiles dans leur ordre naturel, 6 vol. in-4°. Tribus primis voluminibus agitur de legibus ut ordine naturali efformantur; quartus et quintus de jure publico; sextus delectarum legum silvam continet. Etiamsi à criticorum dente haud immune fuerit illud opus, cùm quidam, eo cursim lecto vel penitùs illecto, audacter asscrerent imparem esse tot rebus ritè, pertractandis molem adeò exiguam, attamen summâ ferè omnium et inprimis clarissimorum virorum laude exceptum est. Cæteros inter admiratores eminet d'Aguesseau, quem, aydito Legum civilium titulo de usurâ, narrant dixisse: Scriptura legibusque vetari usuram mihi compertum quidem erat : juri autem naturali hanc adversari nesciebam. Quotiescumque illustris cancellarius de Domato loquitur, laudes ingeminat, eum vocitans ducem in juris studio securissimum et magistratuum jurisconsultorem. Eumdem audiamus in Instructione filio suo inscriptâ : ‹ Modernum, inquit, extat opus, quod tibi solum propè sufficiet, quodque omni nisu facere tuum debes, sive lectione accu◄ ratâ, sive etiam, ut plurimùm proderit, compendiariâ redactione : videlicet Tractatus legum, auctore Domato, 1 magno operi de legibus civilibus secundùm ordinem naturalem efformatis præfixus.

Nemo verum principium legum altiùs pervasit, aut philosopho, jurisconsulto christianoque digniùs interpretatus est. Quippè qui cùm ad primum usque principium recurrerit, ad extremas delapsus consequentias, 1 cas ordine fermè geometrico evolvit. Hic unumquodque legum genus charactere distinctum proprio expan<ditur. Perfectissima est et omni parte absolutissima quæ unquàm visa fuerit societatis civilis generalis delineatio; illudque opus mihi pretiosum usquè habitum est, quod crescens et quasi in manu meâ enascens mihi videre contigit, favente quâ me auctor complectebatur amicitiâ. Tibimetipsi, nate, felicitati vertendum, quòd priùs tale opus editum fuerit, quàm jurisprudentiæ studium ordireris. Id si meritâ perlegeris attentione, tibi instillabitur non modò jurisconsulti, sed et legislatoris animus; atque ope principiorum quæ inde exhauries, potis eris, quamcumque legeris legem, quidnam naturalis immutabilisque juris sit, quidnam posi ⚫tivà arbitrariâque voluntate oriatur discernere. ›

Satis erit profectò tanti pretii retulisse testimonium, ut æqua percipiatur opinio de brevi tractatu quem Suaresio præmittimus.

Licet Domatus honestas studii illecebras dignitatibus, quibus affici poterat, semper prætulerit, eminentis sim viri ejus amicitiâ gloriabantur. Videtur autem eum, præter jam laudatum d'Aguesseau Paschalio inprimis devinctum fuisse, quo quotidiè, dùm habitaret Lutetiæ, familiariter utebatur, cujusque supremam aurain atque scripta secretissima excepit. Ipsc Parisiis obiit decimâ quartâ martii die, anno 1696; et ut voto vità simplici admodùm digno satisfieret, in cœmeterio S. Benedicti, ipsius parochiæ, cum pauperibus sepul

[blocks in formation]

nous apprenons quels sont ces principes, devraient au moins les reconnaître en cux-mêmes, puisqu'ils sont gravés dans le fond de notre nature. Cependant on voit que les plus habiles de ceux qui ont ignoré ce que nous enseigne la religion, les ont si peu connus, qu'ils ont établi des règles qui les violent et qui les détruisent. Ainsi les Romains, qui, entre toutes les nations, ont le plus cultivé les lois civiles, et qui en ont fait un si grand nombre de très-justes, s'étaient donné, comme les autres peuples, la licence d'ôter la vie et à leurs esclaves et à leurs propres enfants; comme si la puissance que donnent la qualité de père, et celle de maître, pouvait dispenser des lois de l'humanité. Cette opposition si extrême entre l'équité qui luit dans les lois si justes qu'ont faites les Romains, et l'inhumanité de cette licence, fait bien voir qu'ils ignoraient les sources de la justice même qu'ils connaissaient, puisqu'ils blessaient si grossièrement, par ces lois barbares, l'esprit de ces principes qui sont les fondements de tout ce qu'il y a de justice et d'équité dans leurs autres lois. Cet égarement n'est pas le scul d'où l'on peut juger combien ils étaient éloignés de la connaissance de ces principes; on en voit une autre preuve bien remarquable dans l'idée que leurs philosophes leur avaient donnée de l'origine de la société des hommes, dont ces principes sont les foudements. Car, bien loin de les reconnaître, et d'y voir comment ils doivent former l'union des hommes, ils s'étaient imaginé que les hommes avaient premièrement vécu comme des bêtes sauvages dans les champs, sans communication et sans liaison, jusqu'à ce qu'un d'eux s'avisa qu'on pouvait les mettre en société, et commença de les apprivoiser pour en former unc. On ne s'arrêtera pas à considérer les causes de cette contrariété si étrange de lumières et de ténèbres dans les hommes les plus éclairés de tous ceux qui ont vécu dans le paganisme, et comment ils pouvaient connaitre tant de règles de la justice et de F'équité, sans y sentir les principes d'où elles dépendent. Les premiers éléments de la religion chrétienne expliquent cette énigme; et ce qu'elle nous apprend de l'état de l'homme nous fait connaître les causes de cct aveuglement, et nous découvre en même temps quels sont ces premiers principes que Dieu a établis pour les fondements de l'ordre de la société des hommes, et qui sont les sources de toutes les règles de la justice et de l'équité. Mais quoique ces principes ne nous soient connus que par la lumière de la religion, 'elle nous les fait voir dans notre nature même avec tant de clarté, qu'on voit que l'homme ne les ignore que parce qu'il s'ignore lui-même, et qu'ainsi rien n'est plus étonnant que l'aveuglement qui lui en ôte la vue.

Comme il n'y a donc rien de plus nécessaire dans les sciences, que d'en posséder les premiers principes, et qu'en chacune on commence par établir les siens, et par y donner le jour qui met en vue leur vérité et leur certitude, pour servir de fondement à tout le détail qui doit en dépendre, il est important de con

:

sidérer quels sont ceux des lois, pour connaître quelles sont la nature et la fermeté des règles qui en dépendent. Et on jugera du caractère de la certitude de ces principes par la double impression que doivent faire sur notre esprit des vérités que Dieu nous enseigne par la religion, et qu'il nous fait sentir par notre raison de sorte qu'on peut dire que les premiers principes des lois ont un caractère de vérité qui touche et persuade plus que celle des principes des autres sciences humaines; et qu'au lieu que les principes des autres sciences, et le détail des vérités qui en dépendent, ne sont que l'objet de l'esprit et non pas du cueur, et qu'elles n'entrent pas même dans tous les esprits, les premiers principes des lois, et le détail des règles essentielles à ces principes, ont un caractère de vérité dont personne n'est incapable, et qui touche également l'esprit et le cœur. Ainsi l'homme entier en est plus pénétré et plus fortement persuadé que des vérités de toutes les autres sciences humaines. Il n'y a personne, par exemple, qui ne sente, el par l'esprit et par le cœur, qu'il n'est pas permis de se tuer ou de se voler, ni de tuer ou voler les autres, et qui ne soit plus pleinement persuadé de ces vérités qu'on ne saurait l'être d'un théorème de géométrie. Cependant ces vérités mêmes, que l'homicide et le vol sont illicites, tout évidentes qu'elles sont, n'ont pas le caractère d'une certitude égale à celle des premiers principes d'où elles dépendent; puisqu'au licu que ces principes sont des règles dont il n'y a point de dispense ni d'exception, celles-ci sont sujettes à des exceptions et à des dispenses : car, par exemple, Abraliam pouvait tuer justement son fils, lorsque le maître de la vie et de la mort le lui commanda (1); et les Hébreux prirent sans crime les richesses des Egyptiens par l'ordre du maître de l'univers, qui les leur donna (2).

On ne peut prendre une voie plus simple et plus sûre pour découvrir les premiers principes des lois, qu'en supposant deux premières vérités, qui ne sont que de simples définitions: l'une, que les lois de l'homme ne sont autre chose que les règles de sa condaite; et l'autre, que cette conduite n'est autre chose que les démarches de l'homme vers sa fin. Pour dé couvrir donc les premiers fondements des lois de l'homme, il faut connaître quelle est sa fin, parce que sa destination à cette fin sera la première règle de la voie et des démarches qui l'y conduisent, et par conséquent sa première loi et le fondement de toutes les autres. Connaître la fin d'une chose, c'est simplement savoir pourquoi elle est faite; et on connaît pourquoi une chose est faite, si, voyant comme elle est faite, on découvre à quoi sa structure peut se rapporter, parce qu'il est certain que Dieu a proportionné la nature de chaque chose à la fin pour laquelle il l'a destinée. Nous savons et sentons tous que l'homme a une âme qui anime son corps, et que dans cette âme il y a deux

(1) Gen. 22, 2.

(2) Exod. 11, 2; 12, 36.

puissances, un entendement propre pour connaître, et une volonté propre pour aimer. Ainsi, nous voyons que c'est pour connaître et pour aimer que Dicu a fait l'homme, que c'est par conséquent pour s'unir à quelque objet, dont la connaissance et l'amour doivent faire son repos et son bonheur, et que c'est vers cet objet que toutes ses démarches doivent le conduire. D'où il s'ensuit que la première loi de l'homme est sa destination à la recherche et à l'amour de cet objet qui doit être sa fin et où il doit trouver sa félicité, et que c'est cette loi qui, étant la règle de toutes ses démarches, doit être le principe de toutes ses lois. Pour connaître donc quelle est cette première loi, quel en est l'esprit, et comment elle est le fondement de toutes les autres, il faut voir à quel objet elle nous destine. De tous les objets qui s'offrent à l'homme dans, tout l'univers, en y comprenant l'homme lui-même, il ne trouvera rien qui soit digne d'être sa fin. Car en lui-même, loin d'y trouver sa félicité, il n'y verra que les semences des misères et de la mort; et autour de lui, si nous parcourons tout cet univers, nous trouvons que rien ne peut y tenir lieu de fin, ni à notre esprit, ni à notre cœur ; et que, bien loin que les choses que nous y voyons puissent être regardées comme notre fin, nous sommes la leur, et ce n'est que pour nous que Dieu les a faites (1): car, tout ce que renferment la terre et les cieux n'est qu'un appareil pour tous nos besoins, qui périra quand ils cesseront. Aussi voyons-nous que tout y est si peu digne et de notre esprit et de notre cœur, que, pour l'esprit, Dieu lui a caché toute autre connaissance des créatures, que de ce qui regarde les manières d'en bien user; et que les sciences qui s'appliquent à la connaissance de leur nature, n'y découvrent que ce qui peut être de notre usage, et s'obscurcissent à mesure qu'elles veulent pénétrer ce qui n'en est pas (2). Et pour le cœur, personne n'ignore que le monde entier n'est pas capable de le remplir, et que jamais il n'a pu faire le bonheur d'aucun de ceux qui l'ont le plus animé et qui en ont le plus possédé. Cette vérité se fait si bien sentir à chacun, que personne n'a besoin qu'on l'en persuade; et il faut enfin apprendre de celui qui a formé l'homme, que c'est lui seul qui, étant son principe, est aussi sa fin (3), et qu'il n'y a que Dieu seul qui puisse remplir le vide infini de cet esprit et de ce cœur qu'il a faits pour lui (4). C'est donc pour Dieu même que Dieu a fait l'homme (5); c'est pour le connaître qu'il

(1) Ne fortè, elevatis oculis ad cœlum, videas solem et lunam, et omnia astra cœli, et, errore deceptus, adores ea, et colas quæ creavit Deus tuus in ministerium cunctis gentibus quæ sub cœlo sunt. Deut. 4, 19.

(2) Quæ præcepit tibi Deus, illa cogita semper; et in pluribus operibus ejus ne fueris curiosus. Non est enim tibi necessarium, quæ abscondita sunt, videre oculis tuis. Eccl. 3, 22.

(3) Ego sum alpha et omega, primus et novissimus, principium et finis. Apoc. 22, 13. Is. 41, 4.

17.

(4) Satiabor, cùni apparuerit gloria tua. Ps. 16,

(5) Universa propter semetipsum operatus est Dominus. Prov. 16, 4. Et faciet te excelsiorem cunctis gentibus, quas creavit in laudem et nomen, et gloriam

lui a donné un entendement; c'est pour l'aimer qu'il lui a donné une volonté; et c'est par les liens de cette connaissance et de cet amour, qu'il veut que les hommes s'unissent à lui, pour trouver en lui et leur véritable vie et leur unique félicité (1). C'est cette construction de l'homme, formé pour connaître et pour aimer Dieu, qui fait sa ressemblance à Dieu (2). Car, comme Dieu est le seul souverain bien, c'est sa nature qu'il se connaisse et s'aime soi-même; et c'est dans cette connaissance et dans cet amour que consiste sa félicité. Ainsi, c'est lui ressembler que d'être d'une nature capable de le connaître et de l'aimer, et c'est participer à sa béatitude que d'arriver à la perfection de cette connaissance et de cet amour (3).

Ainsi, nous découvrons dans cette ressemblance de l'homme à Dieu en quoi consiste sa religion, en quoi consiste sa première loi car sa nature n'est autre chose que cet être créé à l'image de Dieu, et capable de posséder ce souverain bien qui doit être sa vie et sa béatitude; sa religion, qui est l'assemblage de toutes ses lois, n'est autre chose que la lumière et la voie qui le conduisent à cette vie (4): et sa première loi, qui est l'esprit de sa religion, est celle qui lui commande la recherche et l'amour de ce souverain bien, où il doit s'élever de toutes les forces de son esprit et de son cœur qui sont faits pour le posséder (5).

C'est cette première loi qui est le fondement et le premier principe de toutes les autres car cette loi qui commande à l'homme la recherche et l'amour du souverain bien étant commune à tous les hommes, elle en renferme une seconde qui les oblige à s'unir et s'aimer entre eux; parce qu'étant destinés pour être unis dans la possession d'un bien unique, qui doit faire leur commune félicité, et pour y être unis si étroitement qu'il est dit qu'ils ne feront qu'un (6), ils ne peuvent être dignes de cette unité dans la possession de leur fin commune, s'ils ne commencent leur union, en se liant d'un amour naturel dans la voie qui les y conduit. Et il n'y a pas d'autre loi qui commande à chacun de s'aimer soi-même, parce qu'on ne peut s'aimer mieux qu'en gardant la première loi, et se conduisant au bien où elle nous appelle.

C'est par l'esprit de ces deux premières lois que Dieu, destinant les hommes à l'union dans la possession de leur fin commune, a commencé de lier entre

suami. Deut. 26, 19. Et omnem qui invocat nomen meum, in gloriam meam creavi eum, formavi cum, et feci eum. Is. 43, 7.

(1) Ipse est enim vita tua. Deut. 30, 20. Hæc est vita æterna, ut cognoscant te. Joan. 17, 3.

(2) Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram. Gen. 1, 26. Sap. 2, 23. Eccles. 17, 1. Coloss. 3, 10.

(3) Scimus quoniam, cùm apparuerit, similes ci erimus quoniam videbimus cum sicuti est. Joan. 1 Ep. 3, 2.

(4) Lex, lux, et via vitæ. Prov. 6, 23.

(5) Hoc est maximum et primum mandatum. Matth. 22, 38. Dilectio, custodia legum illius est. Sap. 6, 18.

(6) Ut omnes unum sint, sicut tu, Pater, in me, et ego in te, ut et ipsi in nobis unum sint. Jean. 17, 21,

eux une première union dans l'usage des moyens qui les y conduisent; et il fait dépendre cette dernière union, qui doit faire leur béatitude, du bon usage de cette première, qui doit former leur société. C'est pour les lier dans cette société, qu'il l'a rendue essentielle à leur nature. Et comme on voit dans la nature de l'homme sa destination au souverain bien, on y verra aussi sa destination à la société et les divers lie s qui l'y engagent de toutes parts; et que ces liens, qui sont des suites de la destination de l'homme à l'exercice des deux premières lois, sont en même temps les fondements du détail des règles de tous ses devoirs, et les sources de toutes les lois. Mais, avant que de passer outre, et de faire voir l'enchaînement qui lie tou tes les lois à ces deux premières, il faut prévenir la réflexion qu'il est naturel de faire sur l'état de cette société, qui, devant être fondée sur les deux premières lois, ne laisse pas de subsister sans que l'esprit de ces lois y règne beaucoup, de sorte qu'il semble qu'elle se maintienne par d'autres principes. Cependant, quoique les hommes aient violé ces lois capitales et que la société soit dans un état étrangement différent de ce'ui qui devait être élevé sur ces fondements et cimenté par cette union, il est toujours vrai que ces lois divines et essentielles à la nature de l'homme subsistent immuables, et qu'elles n'ont pas cessé d'obliger les hommes à les observer; il est certain aussi, comme la suite le fera voir, que tout ce qu'il y a de lois qui règlent la société dans l'état même où nous la voyons, ne sont que des suites de ces premières. Ainsi, il a été nécessaire d'établir ces prin cipes; et d'ailleurs il n'est pas possible de bien conprendre la manière dont on voit maintenant subsister la société, sans connaître l'état naturel où elle devrait être, et y considérer l'union que les divisions des hommes ont rompue, et l'ordre qu'elles ont troublé. Pour juger donc de l'esprit et de l'usage des lois qui maintiennent la société dans l'état présent, il est nécessaire de tracer un plan de cette société sur le fondement des deux premières lois, afin d'y découvrir l'ordre de toutes les autres, et leurs liaisons à ces deux premières. Et puis on verra de quelle manière Dieu a pourvu à faire subsister la société dans l'état où nous la voyons, et parmi ceux qui, ne s'y conduisant pas par l'esprit des lois capitales, ruinent les fondements qu'il y avait mis.

CHAPITRE II.

PLAN DE LA SOCIÉTÉ SUR LE FONDEMENT DES DEUX PREMIÈRES LOIS PAR DEUX ESPÈCES D'ENGAGEMENTS. Quoique l'homme soit fait pour connaître et pour aimer le souverain bien, Dieu ne l'a pas mis d'abord dans la possession de cette fin, mais il l'a mis auparavant dans cette vie, comme dans une voie pour y parvenir. Et comme l'hon me ne peut se porter à aucun objet par d'autres démarches que par des vues de son entendement, et par les mouvements de sa volonté, Dieu a fait dépendre la connaissance claire et l'amour immuable du souverain bien qui doit faire la félicité de

l'esprit et du cœur de l'homme, de l'obéissance à la loi qui lui commande de méditer et d'aimer ce bien unique, autant qu'il peut en être capable pendant cette vie; et il ne la lui donne que pour en tourner tout l'usage à la recherche de cet objet, seul digne d'attirer et toutes ses vues et tous ses désirs (1). On n'entre pas ici dans l'explication des vérités que la religion nous apprend sur la manière dont Dieu conduit et élève l'homme à cette recherche. Il suffit, pour donner l'idée du plan de la société, de les supposer, et de remarquer que c'est tellement pour occuper l'homme à l'exercice de cette première loi et de la seconde que Dicu lui donne l'usage de la vie dans cet univers, que tout ce qu'il peut y avoir en soi-même et dans tout le reste des créatures, sont autant d'objets qui lui sont donnés pour l'y engager. Car, pour la première loi,

doit sentir, dans la vue et dans l'usage de tous ces objets, qu'ils sont autant de traits et d'images de ce que Dieu veut qu'on connaisse et qu'on aime en lui; et pour la seconde loi, Dieu a tellement assorti les hommes entre eux, et l'univers à tous les hommes, que les mêmes objets qui doivent les exciter à l'amour du souverain bien, les engagent aussi à la société et à l'amour mutuel entre eux; car on ne voit et on ne connaît rien, ni hors de l'homme, ni dans l'homme, qui ne marque sa destination à la société. Ainsi, hors de l'homme, les cieux, les astres, la lumière, l'air, sont des objets qui s'étalent aux hommes comme un bien commun à tous, et dont chacun a tout son usage. Et toutes les choses que la terre et les eaux portent ou produisent, sont d'un usage commun aussi, mais de telle sorte qu'aucun ne passe à notre usage que par le travail de plusieurs autres personnes; ce qui rend les hommes nécessaires les uns aux autres, et forme entre eux les différentes liaisons pour les usages de l'agriculture, du commerce, des arts, des sciences, et pour toutes les autres communications que les divers besoins de la vie peuvent demander.

Ainsi, dans l'homme, on voit que Dieu l'a formé, par un lien inconcevable, de l'esprit et de la matière, qu'il l'a composé, par l'union d'un âme et d'un corps, pour faire de ce corps uni à l'esprit, et de cette structure divine des sens et des membres, l'instrument de deux usages essentiels à la société. Le premier de ces deux usages est celui de lier les cours des hommes entre eux, ce qui se fait par une suite naturelle de l'union de l'âme et du corps; c'est par l'usage des sens unis à l'esprit, et par les impressions de l'esprit sur les sens, et des sens sur l'esprit, que les hommes se communiquent les uns aux autres leurs

(1) Audi, Israel: Dominus Deus noster, Dominus unus est. Diliges Dominum Deum tuum ex toto corde tuo, et ex totà animà tuà, et ex totâ fortitudine tuà. Eruntque verba haec, quæ ego præcipio tibi hodiè, in corde tuo; et narrabis ea filiis tuis, et meditaberis in eis, sedens in domo tuà, et ambulans in itinere, dormiens atque consurgens: et ligabis ea quasi signum

manu tuà: eruntque, et movebuntur inter oculos tuos. Scribesque ea in limine et ostiis domus tuæ. Deut. cap. 6 v. 4, 5, 6, 7, 8, 9; id. cap. 11, v. 18.

pensées et leurs sentiments. Ainsi, le corps est en même temps et l'instrument et l'image de cet esprit et de ce cœur qui sont l'image de Dieu. Le second usage du corps est celui d'appliquer les hommes à tous les différents travaux que Dieu a rendus nécessaires pour tous leurs besoins; car c'est pour le travail que Dieu nous a donné des sens et des membres; et quoiqu'il soit vrai que les travaux qui exercent maintenant l'homme, lui sont une peine dont Dieu le punit, et que Dieu n'ait pas donné à l'homme un corps propre au travail, pour le punir par le travail même, il est certain que l'homme est si naturellement destiné au travail, qu'il lui était commandé de travailler dans l'état d'innocence (1). Mais l'une des différences des travaux de ce premier état et de ceux du nôtre, consiste en ce que le travail de l'homme innocent était une occupation agréable, sans peine, sans dégoût, sans lassitude, et que le nôtre nous a été imposé comme une peine (2). Ainsi, la loi du travail est également essentielle à la nature de l'homme et à l'état où l'a mis sa chute, et cette loi est aussi une suite naturelle des deux premières, qui, appliquant l'homme à la société, l'engagent au travail qui en est le lien, et ordonnent à chacun le sien pour distinguer, par les différents travaux, les divers emplois et les différentes conditions qui doivent composer la société.

C'est ainsi que Dieu, destinant les hommes à la société, a formé les liens qui les y engagent. Et comme les liaisons générales qu'il fait entre tous les hommes par leur nature et par leur destination à une même fin, sous les mêmes lois, sont communes à tout le genre humain, et qu'elles ne forment en chacun aucune relation singulière qui l'engage aux uns plus qu'aux autres, il ajoute à ces liaisons générales et communes à tous, d'autres liaisons et d'autres engagements particuliers de diverses sortes, par où il lie de plus près les hommes entre eux, et détermine chacun à exercer effectivement envers quelques-uns les devoirs de cet amour qu'aucun ne peut exercer envers tous les autres de sorte que ces engagements sont à chacun comme des lois particulières qui lui marquent ce que la seconde loi demande de lui, et qui par conséquent règlent ses devoirs; car les devoirs des hommes entre eux ne sont autre chose que les effets de l'amour sincère que tout homme doit à tout autre, selon les engagements où il se rencontre. Ces engagements particuliers sont de deux espèces : la première est de ceux qui se forment par les liaisons naturelles du mariage entre le mari et la femme, et de la naissance entre les parents et les enfants; et cette espèce comprend aussi les engagements des parentés et des alliances, qui sont la suite de la naissance et du mariage. La seconde espèce renferme toutes les autres sortes d'engagements qui rapprochent toutes sortes de personnes les unes des autres, et qui se forment différemment, soit dans les diverses communications qui

(1) Posuit eum in paradiso voluptatis ut operaretur, et custodiret illum. Genes. 2, 15.

(2) In sudore vultus tai vesceris pane. Genez. 3, 19.

se font entre les hommes de leur travail, de leur industrie et de toutes sortes d'offices, de services et d'autres secours, ou dans celles qui regardent l'usage des choses; ce qui renferme tous les différents usages des arts, des emplois et des professions de toute nature, et tout ce qui peut lier les personnes, selon les différen's besoins de la vie, soit par des communications gratuites, ou par des commerces. C'est par tous les engagements de ces deux espèces que Dieu forme l'ordre de la société des hommes, pour les lier dans l'exercice de la seconde loi. Et comme il marque en chaque engagement ce qu'il prescrit à ceux qu'il y mel, on reconnaît, dans les caractères des différentes sortes d'engagements, les fondements de diverses règles de ce que la justice et l'équité demandent de chaque personne, selon les conjonctures où la mettent les siens.

CHAPITRE III.

DE LA PREMIÈRE ESPÈCE D'ENGAGEMENTS. L'engagement que fait le mariage entre le mari et la femme, et celui que fait la naissance entre eux et leurs enfants, forment une société particulière dans chaque famille, où Dieu lie ces personnes plus étroitement, pour les engager à un usage continuel des divers devoirs de l'amour mutuel. C'est dans ce dessein qu'il n'a pas créé tous les hommes comme le premier, mais qu'il a voulu les faire naître de l'union qu'il a formée entre les deux sexes dans le mariage, et les mettre au monde dans un état de mille besoins, où le secours de ces deux sexes leur est nécessaire pendant un long temps. Et c'est dans les manières dont Dieu a formé ces deux liaisons du mariage et de la naissance, qu'il faut découvrir les fondements des lo ́s qui les regardent.

Pour former l'union entre l'homme et la femme, et instituer le mariage qui devait être la source de la multiplication, et en même temps de la liaison du genre humain, et pour donner à cette union des tondements proportionnés aux caractères de l'amour qui devait en être le lien, Dieu ne forma premièrement que l'homme seul (1); puis il tira de lui un second sexe, et forma la femme d'une des côtes de l'homme (2), pour marquer, par l'unité de leur origine, qu'ils font un seul tout, où la femme est tirée de l'homme, et lui est donnée de la main de Dieu (3) comme une conipagne et un secours semblable à lui (4) et formé de lui (5); c'est ainsi qu'il les lia par cette union si étroite et si sainte, dont il est dit que c'est Dieu lui-même qui les a conjoints (6) et qui les a mis deux en une

(1) Formavit igitur Dominus Deus hominem de liuo terræ. Gen. 2, 7.

(2) Tulit unam de costis ejus, et replevit carnem pr eâ. Ét ædificavit Dominus Deus costam, quam tulerat de Adam, in mulierem. Gen. 2, 21, 22.

(3) Adduxit eam ad Adam. Gen. 2, 22.

(4) Non est bonum esse hominem solum. Faciam ei adjutorium simile sibi. Gen. 2, 18. Eccles. 17, 5. (5) Hoc nunc os ex ossibus meis, et caro de car n mea; hæc vocabitur virago, quoniam de viro sum p est. Gen. 2, 23.

(6) Quod ergo Deus conjunxit, homo non separet.Matth. 19, 6.

« VorigeDoorgaan »