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quelque diversion à la méchanceté des hommes, et les empêcher d'occuper leur oisiveté à des choses plus dangereuses; car, dans une contrée où il ne seroit plus question d'honnêtes gens ni de bonnes mœurs, il vaudroit encore mieux vivre avec des fripons qu'avec des brigands.

Je demande maintenant où est la contradiction de cultiver moi-même des goûts dont j'approuve le progrès. Il ne s'agit plus de porter les peuples à bien faire, il faut seulement les distraire de faire le mal; il faut les occuper à des niaiseries pour les détourner des mauvaises actions; il faut les amuser au lieu de les prêcher. Si mes écrits ont édifié le petit nombre des bons, je leur ai fait tout le bien qui dépendoit de moi; et c'est peut-être les servir utilement encore que d'offrir aux autres des objets de distraction qui les empêchent de songer à eux. Je m'estimerois trop heureux d'avoir tous les jours une pièce à faire siffler, si je pouvois à ce prix contenir pendant deux heures les mauvais desseins d'un seul des spectateurs, et sauver l'honneur de la fille ou de la femme de son ami, le secret de son confident, ou la fortune de son créancier. Lorsqu'il n'y a plus de mœurs, il ne faut songer qu'à la police; et l'on sait assez que la musique et les spectacles en sont un des plus importants objets.

S'il reste quelque difficulté à ma justification, j'ose le dire hardiment, ce n'est vis-à-vis ni du public ni de mes adversaires; c'est vis-à-vis de moi seul; car ce n'est qu'en m'observant moi-même que je puis juger si je dois me compter dans le petit nombre, et si mon ame est en état de soutenir le faix des exercices littéraires. J'en ai senti plus d'une fois le danger; plus d'une fois je les ai abandonnés, dans le dessein de ne les plus reprendre; et, renonçant à leur charme séducteur, j'ai sacrifié à la paix de mon cœur les seuls plaisirs qui pouvoient encore le flatter. Si, dans les langueurs qui m'accablent, si, sur la fin d'une carrière pénible et douloureuse, j'ai osé les reprendre encore quelques moments pour charmer mes maux, je crois au moins

n'y avoir mis ni assez d'intérêt ni assez de prétention pour mériter à cet égard les justes reproches que j'ai faits aux gens de lettres.

Il me falloit une épreuve pour achever la connoissance de moi-même, et je l'ai faite sans balancer. Après avoir reconnu la situation de mon ame dans les succès littéraires, il me restoit à l'examiner dans les revers. Je sais maintenant qu'en penser, et je puis mettre le public au pire. Ma pièce a eu le sort qu'elle méritoit, et que j'avois prévu; mais, à l'ennui près qu'elle m'a causé, je suis sorti de la représentation bien plus content de moi et à plus juste titre que si elle eût réussi.

Je conseille donc à ceux qui sont si ardents à chercher des reproches à me faire de vouloir mieux étudier mes principes, et mieux observer ma conduite, avant que de m'y taxer de contradiction et d'inconséquence. S'ils s'aperçoivent jamais que je commence à briguer les suffrages du public, ou que je tire vanité d'avoir fait de jolies chansons, ou que je rougisse d'avoir écrit de mauvaises comédies, ou que je cherche à nuìre à la gloire de mes concurrents, ou que j'affecte de mal parler des grands hommes de mon siècle pour tâcher de m'élever à leur niveau en les rabaissant au mien, ou que j'aspire à des places d'académie, ou que j'aille faire ma cour aux femmes qui donnent le ton, ou que j'encense la sottise des grands, ou que, cessant de vouloir vivre du travail de mes mains, je tienne à ignominie le métier que je me suis choisi, et fasse des pas vers la fortune; s'ils remarquent, en un mot, que l'amour de la réputation me fasse oublier celui de la vertu, je les prie de m'en avertir, et même publiquement; et je leur promets de jeter à l'instant au feu mes écrits et mes livres, et de convenir de toutes les erreurs qu'il leur plaira de me reprocher.

En attendant, j'écrirai des livres, je ferai des vers et de la musique, si j'en ai le talent, le temps, la force, et la volonté; je continuerai à dire très franchement tout le mal

que je pense des lettres et de ceux qui les cultivent', et croirai n'en valoir pas moins pour cela. Il est vrai qu'on pourra dire quelque jour : « Cet ennemi si déclaré des ❝ sciences et des arts fit pourtant et publia des pièces de « théâtre; » et ce discours sera, je l'avoue, une satire très amère, non de moi, mais de mon siècle.

'J'admire combien la plupart des gens de lettres ont pris le change dans cette affaire-ci. Quand ils ont vu les sciences et les arts attaqués, ils ont cru qu'on en vouloit personnellement à eux, tandis que, sans se contredire eux-mêmes, ils pourroient tous penser, comme moi, que, quoique ces choses aient fait beaucoup de mal à la société, il est très essentiel de s'en servir aujourd'hui comme d'une médecine au mal qu'elles ont causé, ou comme de ces animaux malfaisants qu'il faut écraser sur la morsure. En un mot, il n'y a pas un homme de lettres qui, s'il peut soutenir dans sa conduite l'examen de l'article précédent, ne puisse dire en sa faveur ce que je dis en la mienne; et cette manière de raisonner me paroît leur convenir d'autant mieux, qu'entre nous ils se soucient fort peu des sciences, pourvu qu'elles continuent de mettre les savants en honneur. C'est comme les prêtres du paganisme, qui ne tenoient à la religion qu'autant qu'elle les faisoit respecter.

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OU

L'AMANT DE LUI-MÊME.

SCÈNE I.

LUCINDE, MARTON.

LUCINDE.

Je viens de voir mon frère se promener dans le jardin; hâtons-nous, avant son retour, de placer son portrait sur sa toilette.

MARTON.

Le voilà, mademoiselle, changé dans ses ajustements de manière à le rendre méconnoissable. Quoiqu'il soit le plus joli homme du monde, il brille ici en femme encore avec de nouvelles graces.

LUCINDE.

Valère est, par sa délicatesse et par l'affectation de sa parure, une espèce de femme cachée sous des habits d'homme; et ce portrait, ainsi travesti, semble moins le déguiser que le rendre à son état naturel.

MARTON.

.

Eh bien, où est le mal? Puisque les femmes aujourd'hui cherchent à se rapprocher des hommes

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