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LETTRE

A M. L'ABBÉ DE PRAMONT.

N. B.-L'abbé de Pramont avoit confié à Rousseau une collection de planches gravées représentant des plantes, et accompagnées d'un texte explicatif pour chaque plante. Rousseau les a rangées suivant la méthode de Linnée, et a joint au texte des notes en assez grand nombre. Ce recueil en deux volumes grand in-folio, contenant 398 planches, et ayant pour titre la Botanique mise à la portée de tout le monde par les sieur et dame Regnault, Paris, 1774', est actuellement déposé à la bibliothèque de la Chambre des Députés. En tête est, avec l'original de la lettre qu'on va lire, une table raisonnée et méthodique faite par Rousseau avec beaucoup de soin.

A Paris, le 13 avril 1778.

Vos planches gravées, monsieur, sont revues et arrangées comme vous l'avez desiré. Vous êtes prié de vouloir bien les faire retirer. Elles pourroient se gâter dans ma chambre, et n'y feroient plus qu'un embarras, parceque la peine que j'ai eue à les arranger me fait craindre d'y toucher derechef. Je dois vous prévenir, monsieur, qu'il

** Il forme maintenant trois volumes; mais à l'époque où Rousseau l'eut entre les mains, on n'avoit encore publié que les deux premiers.

y a quelques feuilles du discours extrêmement barbouillées et presque inlisibles; difficiles même à relier sans rogner de l'écriture que j'ai quelquefois prolongée étourdiment sur la marge. Quoique j'aie assez rarement succombé à la tentation de faire des remarques, l'amour de la botanique et le desir de vous complaire m'ont quelquefois emporté. Je ne puis écrire lisiblement que quand je copie, et j'avoue que je n'ai pas eu le courage de doubler mon travail en faisant des brouillons. Si ce griffonnage vous dégoûtoit de votre exemplaire, après l'avoir parcouru, je vous offre, monsieur, le remboursement, avec l'assurance qu'il ne restera pas à ma charge. Agréez, monsieur, mes très humbles salutations.

La table méthodique dont il vient d'être parlé est précédée d'un court préliminaire et terminée par cette observation.

"

« La méthode de Linnæus n'est pas, à la vérité, parfaitement naturelle. Il est impossible de ré<< duire en un ordre méthodique et en même temps « vrai et exact les productions de la nature, qui « sont si variées et qui ne se rapprochent que par « des gradations insensibles. Mais un système de <«< botanique n'est point une histoire naturelle: «< c'est une table, une méthode qui, à l'aide de « quelques caractères remarquables et à-peu-près

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<< constants, apprend à rassembler les végétaux « connus et à y ramener les nouveaux individus qu'on découvre. Ce moyen est nécessaire pour « en faciliter l'étude et fixer la mémoire. Ainsi « aucun système botanique n'est véritablement << naturel. Le meilleur est celui qui se trouve fondé << sur les caractères les plus fixes et les plus aisés

« à connoître. »

Quant aux notes qu'on trouve presque sur chaque feuille du recueil en question, elles prouvent une profonde connoissance de la matière, et sont quelquefois rédigées d'une manière piquante. En voici deux prises au hasard.

SUR LA GRANDE CAPUCINE, N° 128.

<< Madame de Linnée a remarqué que ses fleurs rayonnent et jettent une sorte de lueur avant le « crépuscule. Ce que je vois de plus sûr dans cette observation, c'est que les dames dans ce pays-là « se lévent plus matin que dans celui-ci. »

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SUR LA MÉLISSE ou citronnelLE, No 214.

Chaque auteur la gratifie d'une vertu. C'est

« comme les fées marraines, dont chacune douoit « la filleule de quelque beauté ou qualité particu« lière. »

INTRODUCTION.

Le premier malheur de la botanique est d'avoir été regardée dès sa naissance comme une partie de la médecine. Cela fit qu'on ne s'attacha qu'à trouver ou supposer des vertus aux plantes, et qu'on négligea la connoissance des plantes mêmes; car comment se livrer aux courses immenses et continuelles qu'exige cette recherche, et en même temps aux travaux sédentaires du laboratoire, et aux traitements des malades, par lesquels on parvient à s'assurer de la nature des substances végétales, et de leurs effets dans le corps humain? Cette fausse manière d'envisager la botanique en a long-temps rétréci l'étude, au point de la borner presque aux plantes usuelles, et de réduire la chaîne végétale à un petit nombre de chaînons interrompus; encore ces chaînons mêmes ont-ils été très mal étudiés, parcequ'on y regardoit seulement la matière, et non pas l'organisation. Comment se seroit-on beaucoup occupé de la structure organique d'une substance, ou plutôt d'une masse ramifiée, qu'on ne songeoit qu'à piler dans un mortier? On ne cherchoit des plantes que pour trouver des remèdes ; on ne cherchoit pas des plantes, mais des simples. C'étoit fort bien fait, dira-t-on ; soit : mais il n'en a pas moins résulté que, si l'on connoissoit fort bien les remèdes, on ne laissoit pas de connoître fort mal les plantes, et c'est tout ce que j'avance ici.

La botanique n'étoit rien : il n'y avoit point d'étude de la botanique, et ceux qui se piquoient le plus de connoître les plantes n'avoient aucune idée ni de leur structure, ni de l'économie végétale. Chacun connoissoit de vue cinq ou six plantes de son canton, auxquelles il donnoit des noms au

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