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ai-je pu conserver quelques débris à demi pourris. Comme j'ai trouvé en route quelques autres plantes assez jolies, j'en ai ajouté séparément la note, pour ne pas la confondre avec ce que j'ai trouvé sur la montagne. Quant à la désignation particulière des lieux, il m'est impossible de vous la donner; car, outre la difficulté de la faire intelligiblement, je ne m'en ressouviens pas moimême; ma mauvaise vue et mon étourderie font que je ne sais presque jamais où je suis; je ne puis venir à bout de m'orienter, et je me perds à chaque instant quand je suis seul, sitôt que je perds mon renseignement de vue.

Vous souvenez-vous, monsieur, d'un petit souchet que nous trouvâmes en assez grande abondance auprès de la grande Chartreuse, et que je crus d'abord être le cyperus fuscus, Lin.? Ce n'est point lui, et il n'en est fait aucune mention, que je sache, ni dans le Species, ni dans aucun auteur de botanique, hors le seul Michelius, dont voici la phrase: Cyperus radice repente, odorâ, locustis unciam longis et lineam latis. Tab. 31, f. 1. Si vous avez, monsieur, quelque renseignement plus précis ou plus sûr dudit souchet, je vous serois très obligé de vouloir bien m'en faire part.

La botanique devient un tracas si embarrassant et si dispendieux quand on s'en occupe avec autant de passion, que, pour y mettre de la ré

forme, je suis tenté de me défaire de mes livres de plantes. La nomenclature et la synonymie forment une étude immense et pénible: quand on ne veut qu'observer, s'instruire, et s'amuser entre la nature et soi, l'on n'a pas besoin de tant de livres. Il en faut peut-être pour prendre quelque idée du système végétal, et apprendre à observer; mais, quand une fois on a les yeux ouverts, quelque ignorant d'ailleurs qu'on puisse être, on n'a plus besoin de livres pour voir et admirer sans cesse. Pour moi, du moins, en qui l'opiniâtreté a mal suppléé à la mémoire, et qui n'ai fait que bien peu de progrès, je sens néanmoins qu'avec les gramens d'une cour ou d'un pré j'aurois de quoi m'occuper tout le reste de ma vie, sans jamais m'ennuyer un moment. Pardon, monsieur, de tout ce long bavardage. Le sujet fera mon excuse auprès de vous. Agréez, je vous supplie, mes très humbles salutations.

LETTRE II.

Monquin, le 172570.

Pauvres aveugles que nous sommes !
Ciel, démasque les imposteurs,

Et force leurs barbares cœurs

A s'ouvrir aux regards des hommes.

C'en est fait, monsieur, pour moi de la botanique; il n'en est plus question quant à présent, et il y a peu d'apparence que je sois dans le cas d'y revenir. D'ailleurs je vieillis, je ne suis plus ingambe pour herboriser; et des incommodités qui m'avoient laissé d'assez longs relâches menacent de me faire payer cette trève. C'est bien assez désormais pour mes forces des courses de nécessité; je dois renoncer à celles d'agrément, ou les borner à des promenades qui ne satisfont pas l'avidité d'un botanophile. Mais, en renonçant à une étude charmante, qui pour moi s'étoit transformée en passion, je ne renonce pas aux avantages qu'elle m'a procurés, et sur-tout, monsieur, à cultiver votre connoissance et vos bontés, dont j'espère aller dans peu vous remercier en personne. C'est à vous qu'il faut renvoyer toutes les exhortations que vous me faites sur l'entreprise d'un diction

naire de botanique, dont il est étonnant que ceux qui cultivent cette science sentent si peu la nécessité. Votre âge, monsieur, vos talents, vos connoissances, vous donnent les moyens de former, diriger, et exécuter supérieurement cette entreprise; et les applaudissements avec lesquels vos premiers essais ont été reçus du public vous sont garants de ceux avec lesquels il accueilleroit un travail plus considérable. Pour moi, qui ne suis dans cette étude, ainsi que dans beaucoup d'autres, qu'un écolier radoteur, j'ai songé plutôt, en herborisant, à me distraire et m'amuser qu'à m'instruire, et n'ai point eu, dans mes observations tardives, la sotte idée d'enseigner au public ce que je ne savois pas moi-même. Monsieur, j'ai vécu quarante ans heureux sans faire des livres;

me suis laissé entraîner dans cette carrière tard et malgré moi : j'en suis sorti de bonne heure. Si je ne retrouve pas, après l'avoir quittée, le bonheur dont je jouissois avant d'y entrer, je retrouve au moins assez de bon sens pour sentir que je n'y étois pas propre, et pour perdre à jamais la tentation d'y rentrer.

J'avoue pourtant que les difficultés que j'ai trouvées dans l'étude des plantes m'ont donné quelques idées sur le moyen de la faciliter et de la rendre utile aux autres, en suivant le fil du système végétal par une méthode plus graduelle et

moins abstraite que celle de Tournefort et de tous ses successeurs, sans en excepter Linnæus luimême. Peut-être mon idée est-elle impraticable. Nous en causerons, si vous voulez, quand j'aurai l'honneur de vous voir. Si vous la trouviez digne d'être adoptée, et qu'elle vous tentât d'entreprendre sur ce plan des institutions botaniques, je croirois avoir beaucoup plus fait en vous excitant à ce travail, que si je l'avois entrepris moi

même.

Je vous dois des remerciements, monsieur, pour les plantes que vous avez eu la bonté de m'envoyer dans votre lettre, et bien plus encore pour les éclaircissements dont vous les avez accompagnées. Le papyrus m'a fait grand plaisir, et je l'ai mis bien précieusement dans mon herbier. Votre antirrhinum purpureum m'a bien prouvé que le mien n'étoit pas le vrai, quoiqu'il y ressemble beaucoup; je penche à croire avec vous que c'est une variété de l'arvense; et je vous avoue que j'en trouve plusieurs dans le Species, dont les phrases ne suffisent point pour me donner des différences spécifiques bien claires. Voilà, ce me semble, un défaut que n'auroit jamais la méthode que j'imagine, parcequ'on auroit toujours un objet fixe et réel de comparaison, sur lequel on pourroit aisément assigner les différences.

Parmi les plantes dont je vous ai précédemment

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