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Hélas! non sans tourner un œil involontaire
Vers le bord décroissant sous le soleil du soir.
J'ai regardé longtemps, troublé par ma mémoire,
Derrière Sunium baisser le globe d'or;
Et quand fut obscurci l'antique promontoire,
Le temple au ciel luisait encor.

Du sein de l'Archipel, tout à coup frappé d'ombre,
Comme un vaste miroir qu'un souffle aurait terni,
Mes yeux encore au ciel pouvaient compter le nombre
Des colonnes debout, sur l'azur embruni.
Dernier reflet du jour, enfin leur blanche image
Par degré s'est éteinte, et sous l'ombre a passé.
La Grèce à l'horizon n'est plus qu'un beau nuage;
Je regarde: il est effacé.

La lampe est allumée auprès de la boussole,
Jaune sous l'éclat pur de la lune qui luit;
L'autre lampe, éclairant l'image qui console',
Commence à balancer sa veille de la nuit;
La coupe de parfum au matelot qui prie
A présenté du soir l'encens habituel ;
C'est l'heure sainte où l'ange a salué Marie :
Vénus se lève dans le ciel.

1 Les vaisseaux de l'Archipel ont leur Madone, appelée Panagie, c'est-à-dire Toute-Sainte, devant l'image de laquelle une lampe brûle toute la nuit. Le soir, à l'heure de l'Ave Maria, on allume une coupe d'encens, dont on parfume l'intérieur du bâtiment; puis on la présente au capitaine et à chacun des matelots,

Quel silence descend des tranquilles étoiles!
Lui-même le malheur n'oserait pas gémir.
Mouvantes lentement, sur les muettes voiles
Je les vois se bercer : le ciel semble dormir.
Beau soir! calme de l'air! à peine sous la proue
La mer roule le bruit d'un paisible ruisseau :
L'air pur et velouté vient caresser ma joue,
Doux comme l'aile d'un oiseau.

J'ai senti dans mon cœur ce silence descendre,
Comme sur le vaisseau tout bruit s'évanouit.
L'Albanais seul en moi se fait encore entendre 1.
Grèce, de tes beaux soirs quand pourras-tu jouir?
A cette heure elle dort, tandis qu'avec tristesse
Je poursuis sur la mer mon nocturne chemin :
Sommeille en paix ! et moi, belles îles de Grèce,
Où m'éveillerai-je demain?

(POEME DE LA GRECE.)

1 Le poëte parle d'un Albanais qui lui avait annoncé l'insurrection

de la Grèce

VIENNET.

(1777.)

M. Jean-Guillaume Viennet, né à Béziers, est fils d'un conventionnel surnommé l'honnête homme. Après des études brillantes, il entra dans l'artillerie et servit pendant trente ans. Doué d'une grande facilité pour écrire en vers, M. Viennet dédiait ses loisirs aux muses, et il avait publié quarante-deux épîtres, des tragédies, des comédies, des poëmes, sans compter un roman historique, et un grand nombre d'articles de journaux. Malheureusement pour son repos, il voulut se mêler aux querelles politiques et littéraires, et il exprima ses opinions avec une vivacité de langage qui ameuta contre lui toute la presse. Les romantiques surtout, qu'il avait attaqués sans ménagement en prose et en vers, firent tomber sur lui une avalanche de quolibets, d'injures et de sarcasmes, sous laquelle ils crurent l'avoir enseveli. M. Viennet sembla se tenir pour mort pendant quinze ans Grâce aux muses, il ressuscita en 1843, et il annonça sa résurrection par un excellent volume de fables, qui méritent une place à côté des chefs-d'œuvre des romantiques, ses anciens adversaires. On y remarque un talent plein de jeunesse et de nouveauté, un esprit naïf et malin, et une versification aisée, flexible et quelquefois poétique. Sa poésie, un peu sobre d'images, se distingue par la noblesse et la justesse des pensées, et par la précision et la pureté du style.

En 1851, M. Viennet a publié un nouveau volume de fables, dignes des premières, et il y a inséré deux excellentes épîtres qu'il met bien au-dessus de ses apologues.

Le Renard et l'Ours.

Un fin renard, disciple ou descendant
Du célèbre flatteur qu'a chanté la Fontaine,

En courant les monts de Pyrène,

Dans les pattes d'un ours tomba par accident. C'était bien l'ours le plus vorace,

Le plus dur, le plus loup-garou,

Que de Bayonne au Canigou,

De Callisto jamais eût enfanté la race.
Mais comme il digérait son second déjeuner,

En attendant l'heure de son dîner,

Il avait mis le renard en fourrière;
Et pour veiller son prisonnier,

Sur le devant de sa tanière,

Il s'était en travers étendu tout entier.

Mon renard cependant fait bonne contenance; Et ce répit lui rendant l'espérance,

Il se met à flatter son terrible geôlier.

Vain espoir! ce geôlier d'une nature étrange
de goût pour la louange.

A peu
Le flatteur a beau s'enrouer,

Rien ne fléchit ni ne dérange

Le cerbère au long poil qu'il veut amadouer.

Vante-t-il son courage en un jour de bataille?
Un sourd grognement lui répond.

La majesté de sa royale taille ?

De sa large poitrine il en sort un second.
La beauté de son poil? On grogne de plus belle.
La noble fierté de son port?

Monseigneur grogne encor plus fort.
Le pauvre diable en perdait la cervelle,

Lorsqu'en examinant d'un regard effaré
Ce vieux groin si dur et si revèche,
Sous la paupière gauche il remarque une brèche,
Et que d'un œil l'ours était déferré.

Le voilà qui se met à conter des histoires.
Il parle d'Annibal, la terreur des Romains,
Du sultan Bajazet, l'effroi des Byzantins :
Et ces deux héros, ces deux gloires,

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D'où leur venait, dit-il, cette faveur des dieux ? C'est qu'ils étaient borgnes tous deux.

Le grognement s'apaise; et, la tête penchée,
Mon ours tourne vers lui sa paupière ébréchée.
Mais l'habile flatteur n'a garde de le voir.
Du sultan Bajazet sa verve intarissable
Vient aux Cyclopes de la Fable.
Borgnes, s'écria-t-il, mais quel ceil vif et noir?

L'ours en avait un de semblable;

Il relève à ces mots ses pattes de devant,
Et se remet sur son séant.

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Non, poursuit le renard, notre commune mère « N'a jamais enfanté d'aussi beaux demi-dieux, « Non, la beauté, pour séduire et pour plaire, << N'eut jamais besoin de deux yeux.

« Je le crois bien », dit l'ours tout fier et tout joyeux. « Je mangerais qui dira le contraire.

«Mais toi, mon bon ami, j'en aurais du chagrin.

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