Hélas! non sans tourner un œil involontaire Du sein de l'Archipel, tout à coup frappé d'ombre, La lampe est allumée auprès de la boussole, 1 Les vaisseaux de l'Archipel ont leur Madone, appelée Panagie, c'est-à-dire Toute-Sainte, devant l'image de laquelle une lampe brûle toute la nuit. Le soir, à l'heure de l'Ave Maria, on allume une coupe d'encens, dont on parfume l'intérieur du bâtiment; puis on la présente au capitaine et à chacun des matelots, Quel silence descend des tranquilles étoiles! J'ai senti dans mon cœur ce silence descendre, (POEME DE LA GRECE.) 1 Le poëte parle d'un Albanais qui lui avait annoncé l'insurrection de la Grèce VIENNET. (1777.) M. Jean-Guillaume Viennet, né à Béziers, est fils d'un conventionnel surnommé l'honnête homme. Après des études brillantes, il entra dans l'artillerie et servit pendant trente ans. Doué d'une grande facilité pour écrire en vers, M. Viennet dédiait ses loisirs aux muses, et il avait publié quarante-deux épîtres, des tragédies, des comédies, des poëmes, sans compter un roman historique, et un grand nombre d'articles de journaux. Malheureusement pour son repos, il voulut se mêler aux querelles politiques et littéraires, et il exprima ses opinions avec une vivacité de langage qui ameuta contre lui toute la presse. Les romantiques surtout, qu'il avait attaqués sans ménagement en prose et en vers, firent tomber sur lui une avalanche de quolibets, d'injures et de sarcasmes, sous laquelle ils crurent l'avoir enseveli. M. Viennet sembla se tenir pour mort pendant quinze ans Grâce aux muses, il ressuscita en 1843, et il annonça sa résurrection par un excellent volume de fables, qui méritent une place à côté des chefs-d'œuvre des romantiques, ses anciens adversaires. On y remarque un talent plein de jeunesse et de nouveauté, un esprit naïf et malin, et une versification aisée, flexible et quelquefois poétique. Sa poésie, un peu sobre d'images, se distingue par la noblesse et la justesse des pensées, et par la précision et la pureté du style. En 1851, M. Viennet a publié un nouveau volume de fables, dignes des premières, et il y a inséré deux excellentes épîtres qu'il met bien au-dessus de ses apologues. Le Renard et l'Ours. Un fin renard, disciple ou descendant En courant les monts de Pyrène, Dans les pattes d'un ours tomba par accident. C'était bien l'ours le plus vorace, Le plus dur, le plus loup-garou, Que de Bayonne au Canigou, De Callisto jamais eût enfanté la race. En attendant l'heure de son dîner, Il avait mis le renard en fourrière; Sur le devant de sa tanière, Il s'était en travers étendu tout entier. Mon renard cependant fait bonne contenance; Et ce répit lui rendant l'espérance, Il se met à flatter son terrible geôlier. Vain espoir! ce geôlier d'une nature étrange A peu Rien ne fléchit ni ne dérange Le cerbère au long poil qu'il veut amadouer. Vante-t-il son courage en un jour de bataille? La majesté de sa royale taille ? De sa large poitrine il en sort un second. Monseigneur grogne encor plus fort. Lorsqu'en examinant d'un regard effaré Le voilà qui se met à conter des histoires. D'où leur venait, dit-il, cette faveur des dieux ? C'est qu'ils étaient borgnes tous deux. Le grognement s'apaise; et, la tête penchée, L'ours en avait un de semblable; Il relève à ces mots ses pattes de devant, Non, poursuit le renard, notre commune mère « N'a jamais enfanté d'aussi beaux demi-dieux, « Non, la beauté, pour séduire et pour plaire, << N'eut jamais besoin de deux yeux. « Je le crois bien », dit l'ours tout fier et tout joyeux. « Je mangerais qui dira le contraire. «Mais toi, mon bon ami, j'en aurais du chagrin. |