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Lequel choisir? lequel doit le conduire au jour ?
Il les consulte tous : il les prend, il les quitte;
L'effroi suspend ses pas, l'effroi les précipite;
Il appelle : l'écho redouble sa frayeur;

De sinistres pensers viennent glacer son cœur.
L'astre heureux qu'il regrette a mesuré dix heures
Depuis qu'il est errant dans ces noires demeures.
Ce lieu d'effroi, ce lieu d'un silence éternel,
En trois lustres entiers voit à peine un mortel;
Et, pour comble d'effroi, dans cette nuit funeste,
Du flambeau qui le guide il voit périr le reste.
Craignant que chaque pas, que chaque mouvement,
En agitant la flamme, en use l'aliment1,
Quelquefois il s'arrête et demeure immobile.
Vaines précautions! tout soin est inutile e;
L'heure approche, et déjà son cœur épouvanté
Croit de l'affreuse nuit sentir l'obscurité.

Il marche, il erre encor sous cette voûte sombre,
Et le flambeau mourant fume et s'éteint dans l'ombre.
Il gémit; toutefois d'un souffle haletant,

Le flambeau ranimé se rallume à l'instant.

Vain espoir! par le feu la cire consumée,
Par degrés s'abaissant sur la mèche enflammée,
Atteint sa main souffrante, et de ses doigts vaincus
Les nerfs découragés ne la soutiennent plus.

De son bras défaillant enfin la torche tombe,
Et ses derniers rayons ont éclairé sa tombe...

1 Il faudrait n'en use.

L'infortuné déjà voit cent spectres hideux;

Le délire brûlant, le désespoir affreux,

La mort... Non cette mort qui plaît à la victoire,
Qui vole avec la foudre et que pare la gloire ;
Mais lente, mais horrible, et traînant par la main
La faim qui se déchire et se ronge le sein.

Son sang, à ces pensers, s'arrête dans ses veines.
Et quels regrets touchants viennent aigrir ses peines !
Ses parents, ses amis, qu'il ne reverra plus,
Et ses nobles travaux qu'il laissa suspendus ;
Ces travaux qui devaient illustrer sa mémoire,
Qui donnaient le bonheur et promettaient la gloire !
Et celle dont l'amour, celle dont le souris

Fut son plus doux éloge et son plus digne prix !
Quelques pleurs de ses yeux coulent à cette image,
Versés par le regret, et séchés par la rage.
Cependant il espère; il pense quelquefois
Entrevoir des clartés, distinguer une voix.

Il regarde, il écoute... Hélas! dans l'ombre immense
Il ne voit que la nuit, n'entend que le silence 1,
Et le silence ajoute encore à sa terreur.

Alors, de son destin sentant toute l'horreur,
Son cœur tumultueux roule de rêve en rêve:

1 Un ami de Delille critiquait cette expression il n'entend que le silence pour dire: il n'entend rien. « Comment! s'écria le poëte, c'est un de mes vers les plus heureux. Eh bien, reprit l'Aristarque, ajoutez à votre vers celui-ci :

1

Ne touche que le vide, et ne sent que l'absence.

Vous avez raison, dit Delille, mon vers est mauvais; mais j'y tiens. »

Il se lève, il retombe, et soudain se relève,
Se traîne quelquefois sur de vieux ossements,
De la mort qu'il veut fuir horribles monuments;
Quand tout à coup son pied trouve un léger obstacle;
Il y porte la main. O surprise! ô miracle!

Il sent, il reconnaît le fil qu'il a perdu,
Et de joie et d'espoir il tressaille éperdu.
Ce fil libérateur, il le baise, il l'adore,

Il s'en assure, il craint qu'il ne s'échappe encore,
Il veut le suivre, il veut revoir l'éclat du jour.
Je ne sais quel instinct l'arrête en ce séjour.
A l'abri du danger, son âme encor tremblante
Veut jouir de ces lieux et de son épouvante.
A leur aspect lugubre, il éprouve en son cœur
Un plaisir agité d'un reste de terreur.
Enfin, tenant en main son conducteur fidèle,
Il part, il vole aux lieux où la clarté l'appelle.
Dieu ! quel ravissement, quand il revoit les cieux,
Qu'il croyait pour jamais éclipsés à ses yeux !
Avec quel doux transport il promène sa vue
Sur leur majestueuse et brillante étendue!
La cité, le hameau, la verdure, les bois,
Semblent s'offrir à lui pour la première fois ;
Et, rempli d'une joie inconnue et profonde,
Son cœur croit assister au premier jour du monde 1.

(L'IMAGINATION, chant VI.)

1 Aventure arrivée à un jeune peintre français, nommé Robert.

JOSEPH CHÉNIER.

(1764-1811.)

Marie-Joseph Chénier était frère d'André Chénier. Comme lui, il naquit à Constantinople, fut élevé en France, suivit d'abord la carrière militaire, et y renonça pour se vouer aux lettres. Il embrassa avec ardeur la cause de la révolution, et se fit en quelque sorte le poëte officiel de la république. Il écrivit Charles IX, Henri VIH, Philippe II, Tibère, pour inspirer la haine des rois; Calas et Fénelon, pour combattre l'intolérance et la persécution religieuse; Timoléon, Caius Gracchus, Brutus et Cassius, pour exalter les vertus républicaines. Ces tragédies, qui eurent un immense succès d'à-propos, ont bien perdu aujourd'hui de leur valeur. Ainsi que Voltaire, son maître et son modèle, Chénier considérait le théâtre comme une tribune, et s'occupait moins de développer une action dramatique, que d'exposer ses opinions philosophiques et républicaines; chez lui, la forme est froide et souvent déclamatoire. Il sut se préserver de ces défauts dans Tibère, son chef-d'œuvre, où il déroba quelques traits au pinceau de Tacite, et qui est une de nos meilleures tragédies du second ordre.

Chénier n'est pas plus heureux dans les odes et les hymnes qu'il composa à la gloire de la république. Il troùve quelquefois de vigoureux accents; mais il est trop dépourvu de sensibilité, de chaleur et de coloris dans le style.

Versificateur médiocre sous la république, Chénier devint un bon poëte vers la fin de sa carrière. Il écrivit des discours en vers, des épîtres et des satires, où il rappelle quelquefois la raison de Boileau et le bon sens de Voltaire. Comme ces deux grands poëtes,

<< Il pare la raison du charme des beaux vers. »

Ses chefs-d'œuvre sont, outre sa tragédie de Tibère, la charmante élégie de la Promenade, la belle Épître à Voltaire, les éloquents discours sur la Calomnie, sur l'Erreur et sur l'Intérêt personnel, et quelques salires pleines de sel et d'esprit. On regrette de trouver dans

ces ouvrages tous les préjugés antiréligieux de l'école voltairienne. Joseph Chénier fut membre des assemblées politiques de 1792 à 1802, et vota la mort de Louis XVI. Ses ennemis lui reprochèrent de n'avoir rien fait pour sauver son frère. Il a repoussé cette accusation avec éloquence dans son Discours sur la Calomnie.

La Promenade.

(ÉLÉGIE, 1805.)

Roule avec majesté tes ondes fugitives,
Seine; j'aime à rêver sur tes paisibles rives,
En laissant, comme toi, la reine des cités.
Ah! lorsque la nature à mes yeux attristés,
Le front orné de fleurs brille en vain renaissante;
Lorsque du renouveau l'haleine caressante
Rafraîchit l'univers de jeunesse paré,

Sans ranimer mon front pâle et décoloré;
Du moins auprès de toi que je retrouve encore
Ce calme inspirateur que le poëte implore,
Et la mélancolie errante au bord des eaux.
Jadis, il m'en souvient, du fond de leurs roseaux,
Tes nymphes répétaient le chant plaintif et tendre
Qu'aux échos de Passy ma voix faisait entendre.
Jours heureux! temps lointain, mais jamais oublié,
Où les arts consolants, où la douce amitié,
Et tout ce dont le charme intéresse à la vie,
Égayaient mes destins ignorés de l'envie.

Le soleil affaibli vient dorer ces vallons;
Je vois Auteuil sourire à ses derniers rayons.

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