Lequel choisir? lequel doit le conduire au jour ? De sinistres pensers viennent glacer son cœur. Il marche, il erre encor sous cette voûte sombre, Le flambeau ranimé se rallume à l'instant. Vain espoir! par le feu la cire consumée, De son bras défaillant enfin la torche tombe, 1 Il faudrait n'en use. L'infortuné déjà voit cent spectres hideux; Le délire brûlant, le désespoir affreux, La mort... Non cette mort qui plaît à la victoire, Son sang, à ces pensers, s'arrête dans ses veines. Fut son plus doux éloge et son plus digne prix ! Il regarde, il écoute... Hélas! dans l'ombre immense Alors, de son destin sentant toute l'horreur, 1 Un ami de Delille critiquait cette expression il n'entend que le silence pour dire: il n'entend rien. « Comment! s'écria le poëte, c'est un de mes vers les plus heureux. Eh bien, reprit l'Aristarque, ajoutez à votre vers celui-ci : 1 Ne touche que le vide, et ne sent que l'absence. Vous avez raison, dit Delille, mon vers est mauvais; mais j'y tiens. » Il se lève, il retombe, et soudain se relève, Il sent, il reconnaît le fil qu'il a perdu, Il s'en assure, il craint qu'il ne s'échappe encore, (L'IMAGINATION, chant VI.) 1 Aventure arrivée à un jeune peintre français, nommé Robert. JOSEPH CHÉNIER. (1764-1811.) Marie-Joseph Chénier était frère d'André Chénier. Comme lui, il naquit à Constantinople, fut élevé en France, suivit d'abord la carrière militaire, et y renonça pour se vouer aux lettres. Il embrassa avec ardeur la cause de la révolution, et se fit en quelque sorte le poëte officiel de la république. Il écrivit Charles IX, Henri VIH, Philippe II, Tibère, pour inspirer la haine des rois; Calas et Fénelon, pour combattre l'intolérance et la persécution religieuse; Timoléon, Caius Gracchus, Brutus et Cassius, pour exalter les vertus républicaines. Ces tragédies, qui eurent un immense succès d'à-propos, ont bien perdu aujourd'hui de leur valeur. Ainsi que Voltaire, son maître et son modèle, Chénier considérait le théâtre comme une tribune, et s'occupait moins de développer une action dramatique, que d'exposer ses opinions philosophiques et républicaines; chez lui, la forme est froide et souvent déclamatoire. Il sut se préserver de ces défauts dans Tibère, son chef-d'œuvre, où il déroba quelques traits au pinceau de Tacite, et qui est une de nos meilleures tragédies du second ordre. Chénier n'est pas plus heureux dans les odes et les hymnes qu'il composa à la gloire de la république. Il troùve quelquefois de vigoureux accents; mais il est trop dépourvu de sensibilité, de chaleur et de coloris dans le style. Versificateur médiocre sous la république, Chénier devint un bon poëte vers la fin de sa carrière. Il écrivit des discours en vers, des épîtres et des satires, où il rappelle quelquefois la raison de Boileau et le bon sens de Voltaire. Comme ces deux grands poëtes, << Il pare la raison du charme des beaux vers. » Ses chefs-d'œuvre sont, outre sa tragédie de Tibère, la charmante élégie de la Promenade, la belle Épître à Voltaire, les éloquents discours sur la Calomnie, sur l'Erreur et sur l'Intérêt personnel, et quelques salires pleines de sel et d'esprit. On regrette de trouver dans ces ouvrages tous les préjugés antiréligieux de l'école voltairienne. Joseph Chénier fut membre des assemblées politiques de 1792 à 1802, et vota la mort de Louis XVI. Ses ennemis lui reprochèrent de n'avoir rien fait pour sauver son frère. Il a repoussé cette accusation avec éloquence dans son Discours sur la Calomnie. La Promenade. (ÉLÉGIE, 1805.) Roule avec majesté tes ondes fugitives, Sans ranimer mon front pâle et décoloré; Le soleil affaibli vient dorer ces vallons; |