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Bien plus, j'ai cru la voir s'avancer jusqu'à moi,
Mais dans un appareil qui me glaçait d'effroi :
« Quoi! tu peux t'arrêter dans ce séjour funeste !
Suis-moi, m'a-t-elle dit, infortuné Thyeste. »><
Le spectre, à la lueur d'un triste et noir flambeau,
A ces mots, m'a traîné jusque sur le tombeau.
J'ai frémi d'y trouver le redoutable Atrée,
Le geste menaçant et la vue égarée,

Plus terrible pour moi, dans ces cruels moments,
Que le tombeau, le spectre et ses gémissements.
J'ai cru voir le barbare entouré de furies;

Un glaive encor fumant armait ses mains impies;
Et, sans être attendri de ses cris douloureux,
Il semblait dans son sang plonger un malheureux.
Érope, à cet aspect, plaintive, désolée,

De ses lambeaux sanglants à mes yeux s'est voilée.
Alors j'ai fait pour fuir des efforts impuissants;
L'horreur a suspendu l'usage de mes sens.
A mille affreux objets l'âme entière livréc,
La frayeur m'a jeté sans force aux pieds d'Atrée.
Le cruel d'une main semblait m'ouvrir le flanc,
Et de l'autre, à longs traits, s'abreuver de mon sang;
Le flambeau s'est éteint, l'ombre a percé la terre,
Et le songe a fini par un coup de tonnerre.

(ATRÉE.)

DESTOUCHES.

(1680-1754.)

Philippe Néricault Destouches naquit à Tours. Il eut de bonne heure du goût pour le théâtre, et donna plusieurs comédies qui furent accueillies avec faveur. Ces succès l'arrachèrent aux lettres: il fut envoyé à Londres, et nommé ministre de France auprès de George Ier. A la mort du régent, son protecteur, il renonça à la diplomatie, et partagea son temps entre les lettres et l'agriculture.

Parmi les comédies de Destouches, on distingue la Fausse Agnès, le Philosophe marié, le Dissipateur, et surtout le Glorieur, qui lui assurent un rang éminent parmi les auteurs comiques du second ordre. Il a des portraits satiriques bien tracés, des situations intéressantes, et une versification pure et élégante.

Portrait du comte de Tufière.

Sa politique

Est d'être toujours grave envers un domestique.
S'il lui disait un mot, il croirait s'abaisser;
Et qu'un valet lui parle, il le fera chasser.
Enfin, pour ébaucher en deux mots sa peinture,
C'est l'homme le plus vain qu'ait produit la nature.
Pour ses inférieurs plein d'un mépris choquant,
Avec ses égaux même il prend l'air important:
Si fier de ses aïeux, si fier de sa noblesse,
Qu'il croit être ici-bas le seul de son espèce;
Persuadé d'ailleurs de son habileté,

Et décidant sur tout avec autorité;

Se croyant en tout genre un mérite suprême,

Dédaignant tout le monde, et s'admirant lui-même;
En un mot, des mortels le plus impérieux,
Et le plus suffisant, et le plus glorieux.

(LE GLORIEUX, acte I, scène iv.)

Avantages de la modestie.

Le comte de Tufière prétend que sa gloire vient d'un sentiment d'honneur, qui esi el fut toujours la source des vertus. Isabelle lui répond :

Des effets de l'honneur je suis persuadée;
Mais a-t-il de soi-même une si haute idée,
Qu'il la laisse éclater en propos fastueux ?
Le véritable honneur est moins présomptueux;
Il ne se vante point; il attend qu'on le vante;
Et c'est la vanité qui, lasse de l'attente,
Et qui, fière des droits qu'elle sait s'arroger,
Croit obtenir l'estime en osant l'exiger.
Mais, loin de réussir, elle offense, elle irrite,
Et ternit tout l'éclat du plus parfait mérite...
De la modestie embrassant la défense,
Je soutiens que par elle on voit la différence
Du mérite apparent au mépris parfait.
L'un veut toujours briller, l'autre brille en effet,
Sans y prétendre, et sans même le croire.

L'un est superbe et vain, l'autre n'a point de gloire ;
Le faux aime le bruit, le vrai vient d'éclater ;
L'un aspire aux égards, l'autre à les mériter.
Je dirai plus. Les gens nés d'un sang respectable
Doivent se distinguer par un esprit affable,

Liant, doux, prévenant; au lieu que la fierté
Est l'ordinaire effet d'un éclat emprunté.
La hauteur est partout odieuse, importune.
Avec la politesse, un homme de fortune

Est mille fois plus grand, qu'un grand toujours gourmé, D'un limon précieux se présumant formé,

Traitant avec dédain et même avec rudesse

Tout ce qui lui paraît d'une moins noble espèce, Croyaut que l'on est tout, quand on est de son sang, Et croyant qu'on n'est rien au-dessous de son rang. (LE GLORIEUX, acte III, scène iv.)

PIRON.

(1689-1773.)

Alexis Piron était fils d'un pharmacien de Dijon. Il végéta quelques années dans sa ville natale, puis il se rendit à Paris, et travailla pour le théâtre. Son Arlequin Deucalion, petit opéra-comique, est un chefd'œuvre d'esprit, de gaieté et de satire; on y trouve des scènes dignes du Bourgeois gentilhomme. La Mélromanic est une des meilleures comédies du XVIe siècle : cette pièce est bien écrite et remplie de verve et de gaieté; elle rappelle Regnard et quelquefois même Molière. Les tragédies de Piron ne sont pas restées au théâtre.

Nous avons encore de Piron des épîtres, des odes, des fables, des contes, des épigrammes, etc., dont la licence coupable l'empêcha d'être admis à l'Académie. Il s'en vengea par des épigrammes. On connaît son épitaphe:

Ci-git Piron, qui ne fut rien,

Pas même académicien,

M. Francaleu.

C'est un fort galant homme, excellent caractère :
Bon ami, bon mari, bon citoyen, bon père;
Mais à l'humanité, si parfait que l'on fût,
Toujours par quelque faible on paya le tribut.
Le sien est de vouloir rimer malgré Minerve;
De s'être, en cheveux gris, avisé de sa verve,
Si l'on peut nommer verve une démangeaison
Qui fait honte à la rime autant qu'à la raison.
Et malheureusement ce qui vicie abonde;
Du torrent de ses vers sans cesse il nous inonde.
Tout le premier lui-même il en raille, il en rit;
Grimace! l'auteur perce; il les lit, les relit;
Prétend qu'ils fassent rire; et pour peu qu'on en rie,
Le poignard sur la gorge, en fait prendre copie,
Rentre en fougue, s'acharne impitoyablement,
Et charmé du flatteur le paie en l'assommant.
(LA METROMANIE, acte I, scène 11.)

Le Métromane.

On engage Damis à se faire avocat, et on lui promet la gloire et la fortune. Il répond :

Ce mélange de gloire et de gain m'importune;
On doit tout à l'honneur et rien à la fortune.
Le nourrisson du Pinde, ainsi que le guerrier,
A tout l'or du Pérou préfère un beau laurier.
L'avocat se peut-il égaler au poëte?

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