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Notre hôte cependant s'adressant à la troupe :

« Que vous semble, a-t-il dit, du goût de cette soupe? Sentez-vous le citron dont on a mis le jus

Avec des jaunes d'œufs mêlés dans du verjus?
Ma foi, vive Mignot et tout ce qu'il apprête ! »>
Les cheveux cependant me dressoient à la tête;
Car Mignot, c'est tout dire, et dans le monde entier
Jamais empoisonneur ne sut mieux son métier.
J'approuvois tout pourtant de la mine et du geste,
Pensant qu'au moins le vin dût réparer le reste.
Pour m'en éclaircir donc, j'en demande; et d'abord
Un laquais effronté m'apporte un rouge bord 2
D'un auvernat fumeux qui, mêlé de lignage 3,
Se vendoit chez Crenet pour vin de l'Ermitage,
Et qui, rouge et vermeil, mais fade et doucereux,
N'avoit rien qu'un goût plat et qu'un déboire affreux.
A peine ai-je senti cette liqueur traîtresse,

Que de ces vins mêlés j'ai reconnu l'adresse.
Toutefois, avec l'eau que j'y mets à foison,
J'espérois adoucir la force du poison.

Mais, qui l'auroit pensé? pour comble de disgrâce,
Par le chaud qu'il faisoit, nous n'avions point de glace.
Point de glace, bon Dieu! dans le fort de l'été!

1 Mignol, pâtissier-traiteur. Pour se venger de Boileau, il envelop. pait ses biscuits dans la satire de Cotin, afin de la répandre dans le public.

2 Rouge bord, verre plein jusqu'aux bords, mot vieilli.

3 Auvernat, vin des environs d'Orléans. Lignage, vin fait avec toutes sortes de raisins. Ermitage, excellent vin, récolté près de Tain, sur le Rhône, en face de Tournon.

Au mois de juin! Pour moi, j'étois si transporté,
Que, donnant de fureur tout le festin au diable,
Je me suis vu vingt fois prêt à quitter la table;
Et, dût-on m'appeler et fantasque et bourru,
J'allois sortir enfin, quand le rôt a paru.

Sur un lièvre, flanqué de six poulets étiques,
S'élevoient trois lapins, animaux domestiques,
Qui, dès leur tendre enfance élevés dans Paris,
Sentoient encor le chou dont ils furent nourris.
Autour de cet amas de viandes entassées
Régnoit un long cordon d'alouettes pressées,
Et sur les bords du plat six pigeons étalés
Présentoient pour renfort leurs squelettes brûlés.
A côté de ce plat paroissoient deux salades,
L'une de pourpier jaune, et l'autre d'herbes fades,
Dont l'huile de fort loin saisissoit l'odorat,

Et nageoit dans des flots de vinaigre rosat.
Tous mes sots, à l'instant, changeant de contenance,
Ont loué du festin la superbe ordonnance;
Tandis que mon faquin, qui se voyoit priser,
Avec un ris moqueur, les prioit d'excuser.
Surtout certain hâbleur, à la gueule affamée,
Qui vint à ce festin, conduit par la fumée,
Et qui s'est dit profès dans l'ordre des Coteaux 1,
A fait, en bien mangeant, l'éloge des morceaux.
Je riois de le voir, avec sa mine étique,

1 Ordre des Coleaux, société de gourmets, qui ne buvaicu! que le vin de certains coteaux, et qu'on appelait l'ordre des Coteaux.

Son rabat jadis blanc et sa perruque antique,
En lapins de garenne ériger nos clapiers,
Et nos pigeons cauchois en superbes ramiers 1;
Et, pour flatter notre hôte, observant son visage,
Composer sur ses yeux son geste et son langage;
Quand notre hôte charmé, m'avisant sur ce point:
« Qu'avez-vous donc, dit-il, que vous ne mangez point?
Je vous trouve aujourd'hui l'âme tout inquiète,
Et les morceaux entiers restent sur votre assiette.
Aimez-vous la muscade? on en a mis partout.
Ah! monsieur, ces poulets sont d'un merveilleux goût.
Ces pigeons sont dodus; mangez, sur ma parole.
J'aime à voir aux lapins cette chair blanche et molle.
Ma foi, tout est passable, il le faut confesser,
Et Mignot aujourd'hui s'est voulu surpasser.
Quand on parle de sauce, il faut qu'on y raffine;
Pour moi, j'aime surtout que le poivre y domine :
J'en suis fourni, Dieu sait! et j'ai tout Pelletier
Roulé, dans mon office, en cornets de papier. »
A tous ces beaux discours, j'étois comme une pierre,
Ou comme la statue est au Festin de Pierre 3;
Et, sans dire un seul mot, j'avalois au hasard
Quelque aile de poulet, dont j'arrachois le lard.

2

Cependant mon hâbleur, avec une voix haute,
Porte à mes campagnards la santé de notre hôte,

1 Clapiers, lapins domestiques. Cauchois, du pays de Caux, en Normandie, où les pigeons sont fort gros.

2 Pelletier, misérable rimeur de sonnets.

· Ramier, pigcon sauvage.

3 Pièce de théâtre, par Molière, où une statue est invitée à un festin.

Qui tous deux pleins de joie, en jetant un grand cri,

Avec un rouge bord acceptent son défi.

Un si galant exploit réveillant tout le monde,
On a porté partout des verres à la ronde,

Où les doigts des laquais, dans la crasse tracés,
Témoignoient par écrit qu'on les avoit rincés:
Quand un des conviés, d'un ton mélancolique,
Lamentant tristement une chanson bachique,
Tous mes sots à la fois, ravis de l'écouter,
Détonnant de concert, se mettent à chanter.
La musique, sans doute, étoit rare et charmante!
L'un traîne en longs fredons une voix glapissante,
Et l'autre, l'appuyant de son aigre fausset,

Semble un violon faux qui jure sous l'archet.

Sur ce point, un jambon d'assez maigre apparence
Arrive sous le nom de jambon de Mayence.
Un valet le portoit, marchant à pas comptés,
Comme un recteur suivi des quatre facultés 1.
Deux marmitons crasseux, revêtus de serviettes,
Lui servoient de massiers, et portoient deux assiettes,
L'une de champignons avec des ris de veau,
Et l'autre de pois verts qui se noyoient dans l'eau.
Un spectacle si beau surprenant l'assemblée,
Chez tous les conviés la joie est redoublée;

Et la troupe à l'instant, cessant de fredonner,
D'un ton gravement fou s'est mise à raisonner.

1 Les quatre facultés de l'universi té étaient les Arts, la Médecine, le Droit et la Théologie.· ses, bâtons à tête.

Massiers, bedeaux qui portaient des mas

Le vin au plus muet fournissant des paroles,
Chacun a débité ses maximes frivoles,
Réglé les intérêts de chaque potentat,
Corrigé la police et réformé l'État ;

Puis de là, s'embarquant dans la nouvelle guerre,
A vaincu la Hollande ou battu l'Angleterre 1.
Enfin, laissant en paix tous ces peuples divers,
De propos en propos, on a parlé de vers.
Là tous mes sots, enflés d'une nouvelle audace,
Ont jugé des auteurs en maîtres du Parnasse.
Mais notre hôte surtout, pour la justesse et l'art,
Élevoit jusqu'au ciel Théophile' et Ronsard;
Quand un des campagnards, relevant sa moustache
Et son feutre à grands poils ombragé d'un panache,
Impose à tous silence, et, d'un ton de docteur :
« Morbleu! dit-il, la Serre est un charmant auteur 3!
Ses vers sont d'un beau style, et sa prose est coulante.
La Pucelle est encore une œuvre bien galante",
Et je ne sais pourquoi je bâille en la lisant.
Le Pays, sans mentir, est un bouffon plaisant 5;
Mais je ne trouve rien de beau dans ce Voiture.
Ma foi, le jugement sert bien dans la lecture!

1 Ces deux pays étaient alors en guerre (1665).

2 Théophile de Viaud, poële doué d'une brillante imagination, mais sans goût et sans correction, Ronsard, voy. sa notice au XVIe siècle. 3 La Serre, misérable écrivain.

La Pucelle, ou la France délivrée par Jeanne d'Arc, mauvais poëme épique, par Chapelain.

5 René le Pays, surnommé le singe de Voiture, parce qu'il s'effor çait d'imiter la délicatesse et l'enjouement de cet écrivain.

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