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sa vie. Les repas étaient publics. Le pauvre s'asseyait auprès du riche et prenait la même nourriture. Jamais le Spartiate n'échappait à l'œil, à l'inspection de la communauté et de la patrie qui revendiquaient même ces moments que la délicatesse des modernes s'est gardés comme un délassement nécessaire. Le roi Agis revenant d'une expédition ne put souper seul avec sa femme. L'intimité de la famille était inconnue, et l'on estimait que l'amitié entre les citoyens ne pouvait être mieux cimentée que par les repas publics qui, pour cette raison, s'appelaient diria'. Dans cette vie commune l'égalité triomphait: il n'y avait ni tables somptueuses, ni bains chauds, ni longs sommeils. A ces repas publics il fallait payer d'appétit: autrement on eût été taxé d'une sensualité injurieuse, se réservant pour des raffinements

secrets.

Les tables étaient composées de quinze personnes, et chaque citoyen apportait des provisions dont la mesure était réglée par les magistrats. On faisait venir les enfants à ces repas : on les y me

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Au lieu de piírta, par le changement du à en .

nait comme à une école de tempérance, de bonnes mœurs et de sages propos. A mesure qu'ils entraient, le plus âgé de l'assemblée leur disait en leur montrant la porte: « Il ne sort rien par là de ce qui se dit ici. » La conversation était familière et piquante: elle se passait entre gens qui s'étaient choisis afin de s'attabler ensemble. Pour s'asseoir à une des tables, il fallait être agréé par tous les convives. Le souper fini, chacun retournait dans sa maison, sans flambeaux, gardant au milieu des ténèbres un œil sûr, un pas ferme. C'était le moment où les époux allaient à la dérobée trouver leurs femmes et goûter furtivement de courtes et légitimes jouissances. Ils ne tardaient pas à reparaître au milieu de leurs amis. Pas plus la nuit que le jour, la vie commune n'était interrompue. C'était une perpétuelle obéissance à une règle uniforme, et il n'était loisible à personne de vivre à son gré. Sparte était comme un camp. Tout s'y faisait dans l'ordre prescrit. Les affaires publiques, les exercices du corps, la surveillance de la jeunesse étaient les occupations des Spartiates, auxquels toute espèce de métier paraissait vile. Ils méprisaient jusqu'à l'agriculture qu'ils laissaient à

leurs serfs. On ne songeait pas à amasser des richesses dans une ville où il fallait un chariot attelé de deux bœufs pour traîner une somme de dix mines. Plus tard l'or des Perses remplacera la monnaie de fer.

Dans cette vie d'une monotonie si pénible, il y avait un plaisir autorisé par l'État. Une musique réglée sur le mode dorien accompagnait les exercices militaires. D'une mâle gravité, le mode dorien affermissait l'âme et la soutenait dans un courage égal, sans l'emporter jusqu'à l'enthousiasme comme le mode phrygien'. Il était interdit de rien changer à une musique aussi nécessaire au maintien de la vertu spartiate. Terpandre de Lesbos qui sur un oracle de Delphes avait été appelé à Sparte, fut puni par les éphores pour avoir ajouté une corde à sa lyre. Timothée en avait ajouté deux, et il chantait aux jeux carnéens institués à Lacédémone en l'honneur d'Apollon, quand un des éphores, s'avançant vers le musicien, lui demanda de quel côté il voulait que fussent coupées les cordes qui dépassaient le nombre de

1 Arist. Polit., lib. VIII, cap. v.

sept'. Il s'échappait trop d'harmonie de cette lyre factieuse qui pervertissant le mode dorien pouvait éveiller des pensées étrangères, susciter des impressions douces et molles, et peut-être changer le cœur des Spartiates.

La poésie n'était pas indigne d'une telle musique, car elle ne célébrait qu'une vertu, la valeur. Dans les fêtes' on voyait s'avancer le chœur des vieillards qui, récitant des vers composés par Tyrtée commençaient ainsi : « Nous fûmes jadis des jeunes hommes pleins de vaillance. » Les jeunes gens reprenaient à leur tour: « Ce que vous avez été nous le sommes aujourd'hui; qui voudra, peut l'éprouver. » Enfin venait le chœur des enfants qui disait : « Et nous, un jour, nous serons plus vaillants que vous tous. » Ainsi les trois époques de la vie humaine étaient représentées, et Sparte se glorifiait à la fois dans son passé, son présent et son avenir. Avec de telles institutions, rien n'est impossible; avec un culte si ardent de la patrie, on est vainqueur aux Thermopyles, alors même qu'on y meurt, car on glace

1 Plutarch. Lacon. Instit., t. VI, p. 885, 886. Ed. Reiske. • Ibid.

d'effroi les innombrables envahisseurs qui croyaient la Grèce une proie facile. Après la rencontre du défilé de la Locride, Xerxès consterné demanda à Démarate si les Lacédémoniens étaient nombreux, et s'ils ressemblaient tous à ceux qui venaient si fort de l'épouvanter. «< Sur le territoire des Lacédémoniens, répondit Démarate, est la ville de Sparte qui contient environ huit mille hommes, et ceux-là sont tout à fait semblables à ceux qui viennent de combattre. Les autres Lacédémoniens ne les valent pas, et cependant ils sont braves'. »

C'était faire en deux mots l'histoire de Sparte, que constituait en effet une élite invincible de huit à dix mille hommes qui n'avaient pas leurs pareils dans la Grèce. Quand des Spartiates paraissaient sur le champ de bataille avec leurs tuniques rouges et leurs boucliers d'airain, avec leur longue barbe et leur chevelure flottante sur les épaules, leur aspect et leur réputation répandaient autour d'eux la terreur. Leurs chefs passaient pour supérieurs dans le commandement. Divers peuples demandé

'Herodot. Polymnia, lib. VII, cap. ccxxxiv.

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