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Vous ne saurez jamais ce que votre silence m'a fait souffrir; mais votre lettre m'a rendu la vie, et l'assurance que vous me donnez me tranquillise pour le reste de mes jours. Ainsi écrivez désormais à votre aise; votre silence ne m'alarmera plus. Mais, cher ami, pardonnez les inquiétudes d'un pauvre solitaire qui ne sait rien de ce qui se passe, dont tant de cruels souvenirs attristent l'imagination, qui ne connoît dans la vie d'autre bonheur que l'amitié, et qui n'aima jamais personne autant que vous. Felix se nescit amari, dit le poëte; mais moi je dis: Felix nescit amare. Des deux côtés, les circonstances qui ont serré notre attachement l'ont mis à l'épreuve, et lui ont donné la solidité d'une amitié de vingt ans.

Je ne dirai pas un mot à M. de Montmollin pour la communication de la lettre dont vous me parlez; il fera ce qu'il jugera convenable pour son avantage: pour moi, je ne veux pas faire un pas ni dire un mot de plus dans toute cette affaire, et je lais

serai vos gens se démener comme ils voudront, sans m'en mêler, ni répondre à leurs chicanes. Ils prétendent me traiter comme un enfant, à qui l'on commence par donner le fouet, et puis on lui fait demander pardon. Ce n'est pas tout-à-fait mon avis. Ce n'est pas moi qui veux donner des éclaircissements; c'est le bon homme Deluc qui veut que j'en donne, et je suis très fâché de ne pouvoir en cela lui complaire; car il m'a tout-à-fait gagné le cœur ce voyage, et j'ai été bien plus content de lui que je n'espérois. Puisqu'on n'a pas été content de ma lettre, on ne le seroit pas non plus de mes éclaircissements. Quoi qu'on fasse, je n'en veux pas dire plus qu'il n'y en a ; et quand on me presseroit sur le reste, je craindrois que M. de Montmollin ne fût compromis : ainsi je ne dirai plus rien; c'est un parti pris.

Je trouve, en revenant sur tout ceci, que nous avons donné trop d'importance à cette affaire: c'est un jeu de sots enfants dont on se fâche pour un moment, mais dont on ne fait que rire sitôt qu'on est de sang-froid. Je veux, pour m'égayer, battre ces gens-là par leurs propres armes; puisqu'ils aiment tant à chicaner, nous chicanerons, et je ferai en sorte que, voulant toujours attaquer, ils seront forcés de se tenir sur la défensive. Il est impossible de cette manière, que je me compromette, parceque je ne défendrai point mon ou

vrage, je ne ferai qu'éplucher les leurs; et il est impossible qu'ils ne me donnent point toutes les prises imaginables pour me moquer d'eux : car mes objections étant insolubles, ils ne les résoudront jamais sans dire force bêtises, dont je me réjouis d'avance de tirer parti. Gardez-vous bien d'empêcher l'ouvrage de M. Vernes de paroître. Si je le prends en gaieté, comme je l'espère, il me fera de bon sang, dont j'ai grand besoin.

faire un peu

Vous voyez que ce projet ne rend point votre travail inutile; tant s'en faut. La besogne entre nous sera très-bien partagée; vous aurez défendu l'honneur de votre ami, et moi j'aurai désarmé mes censeurs. Vous ferez mon apologie, et moi la critique de ceux qui m'auront attaqué. Vous aurez paré les coups qu'on me porte, et moi j'en aurai porté quelques uns. Il faut que je sois devenu tout d'un coup fort malin, car je vous jure que les mains me démangent; le genre polémique n'est que trop de mon goût: j'y avois renoncé pourtant. Que n'ai-je seulement un peu de santé! Ceux qui me forcent à le reprendre ne s'en trouveroient pas long-temps aussi bien qu'ils l'ont espéré.

Je ne me remets point l'écriture des deux lignes qui terminent votre lettre : mais si l'on croit que la lettre de M. de Montmollin à M Sarazin nous soit bonne à quelque chose, il faut la lui deman

CORRESPONDANCE. T. III.

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der à lui-même ; car je ne veux pas faire cette démarche-là. Adieu, cher Moultou.

Je vous prie de rembourser à M. Mouchon le prix d'un atlas qu'il m'a envoyé, le port dudit atlas qu'il a affranchi, et les frais de mon extrait baptistaire, qu'il a pris la peine de m'envoyer aussi. Je vous dois déja quelques ports de lettres; ayez la bonté de tenir une note de tout cela jusqu'au printemps.

J'oubliois de vous marquer que le roi de Prusse m'a fait faire, par Milord Maréchal, des offres très obligeantes, et d'une manière dont je suis pénétré.

LETTRE CCCLXI.

AU MÊME.

Motiers-Travers, le 15 novembre 1762.

Je reçois à l'instant, cher ami, une lettre de M. Deluc, que je viens d'envoyer à M. de Montmollin, sans le solliciter de rien, mais le priant seulement de me faire dire ce qu'il a résolu de faire quant à la copie qu'on lui demande, afin que je m'arrange aussi de mon côté en conséquence de ce qu'il aura fait. S'il prend le parti d'envoyer

cette copie, moi, de mon côté, je lui écrirai en peu de lignes la lettre d'éclaircissement que M. Deluc souhaite, laquelle pourtant ne dira rien de plus que la précédente, parce qu'il n'est pas possible de dire plus. S'il ne veut pas envoyer cette copie, moi, de mon côté, je ne dirai plus rien ; j'en resterai là, et continuerai de vivre en bon chrétien réformé, comme j'ai fait jusqu'ici de tout mon pouvoir.

Le moment critique approche où je saurai si Genève m'est encore quelque chose. Si les Génevois se conduisent comme ils le doivent, je me reconnoîtrai toujours leur concitoyen, et les aimerai comme ci-devant. S'ils me manquent dans cette occasion, s'ils oublient quels affronts et quelles insultes ils ont à réparer envers moi, je ne cesserai point de les aimer; mais, du reste, mon parti est pris.

Je ne puis répondre à M. Deluc cet ordinaire, parceque ma réponse dépend de celle de M. de Montmollin, qui m'a fait dire simplement qu'il viendroit me voir; car, depuis plusieurs semaines, l'état où je suis ne me permet pas de sortir. Or, comme la poste part dans peu d'heures, il n'est pas vraisemblable que j'aie le temps d'écrire: ainsi je n'écrirai à M. Deluc que jeudi au soir. Je vous prie de le lui dire, afin qu'il ne soit pas inquiet de mon silence.

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