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Adieu, cher cousin, je vous embrasse et vous aime

de tout mon cœur.

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Je dois une lettre au bon et aimable Beauchâteau, mais je ne sais comment lui écrire, n'ayant pas son adresse2.

LETTRE CCCLV.

A MADAME LA COMTESSE DE BOUFFLERS.

Le 30 octobre 1762.

En m'annonçant, madame, dans votre lettre du 22 septembre (c'est, je crois, le 22 octobre), un changement avantageux dans mon sort, vous m'avez d'abord fait croire que les hommes qui me persécutent s'étoient lassés de leurs méchancetés, que le parlement de Paris avoit levé son inique décret, que le magistrat de Genève avoit reconnu son tort, et que le public me rendoit enfin justice.

** Cette lettre, que Rousseau écrivit le 25 avril 1763, se trouve dans sa Correspondance.

** Cette lettre de J. J. Rousseau fut écrite à la suite d'un voyage que firent, en octobre 1762, à Motiers-Travers, trois jeunes Génevois, pour y visiter leur célébre compatriote, après s'être assurés de sa disposition à les recevoir. Ces Génevois étoient MM. les ministres Mouchon et Roustan, et M. Beauchâteau, horloger. (Note de M. Musset Pathay.)

Mais loin de là, je vois, par votre lettre même, qu'on m'intente encore de nouvelles accusations: le changement de sort que vous m'annoncez se réduit à des offres de subsistances dont je n'ai pas besoin quant à présent; et comme j'ai toujours compté pour rien, même en santé, un avenir aussi incertain que la vie humaine, c'est pour moi, je vous jure, la chose la plus indifférente que d'avoir à dîner dans trois ans d'ici.

Il s'en faut beaucoup, cependant, que je sois insensible aux bontés du roi de Prusse; au contraire, elles augmentent un sentiment très doux, savoir l'attachement que j'ai conçu pour ce grand prince. Quant à l'usage que j'en dois faire, rien ne presse pour me résoudre, et j'ai du temps pour y penser.

A l'égard des offres de M. Stanlay, comme elles sont toutes pour votre compte, madame, c'est à vous de lui en avoir obligation. Je n'ai point ouï parler de la lettre qu'il vous a dit m'avoir écrite.

Je viens maintenant au dernier article de votre lettre, auquel j'ai peine à comprendre quelque chose, et qui me surprend à tel point, sur-tout après les entretiens que nous avons eus sur cette matière, que j'ai regardé plus d'une fois à l'écriture pour voir si elle étoit bien de votre main. Je ne sais ce que vous pouvez désapprouver dans la lettre que j'ai écrite à mon pasteur dans une occa

sion nécessaire. A vous entendre avec votre ange, on diroit qu'il s'agissoit d'embrasser une religion nouvelle, tandis qu'il ne s'agissoit que de rester comme auparavant dans la communion de mes pères et de mon pays, dont on cherchoit à m'exclure: il ne falloit point pour cela d'autre ange que le vicaire savoyard. S'il consacroit en simplicité de conscience dans un culte plein de mystères inconcevables, je ne vois pas pourquoi J. J. Rousseau ne communieroit pas de même dans un culte où rien ne choque la raison ; et je vois encore moins pourquoi, après avoir jusqu'ici professé ma religion chez les catholiques sans que personne m'en fìt un crime, on s'avise tout d'un coup de m'en faire un fort étrange de ce que je ne la quitte pas en pays protestant.

Mais pourquoi cet appareil d'écrire une lettre? Ah! pourquoi? Le voici. M. de Voltaire me voyant opprimé par le parlement de Paris, avec la générosité naturelle à lui et à son parti, saisit ce moment de me faire opprimer de même à Genève, et d'opposer une barrière insurmontable à mon retour dans ma patrie. Un des plus sûrs moyens qu'il employa pour cela fut de me faire regarder comme déserteur de ma religion : car là-dessus nos lois sont formelles, et tout citoyen ou bourgeois qui ne professe pas la religion qu'elles autorisent perd par-là même son droit de cité. Il travailla

donc de toutes ses forces à soulever les ministres: il ne réussit pas avec ceux de Genève, qui le connoissent; mais il ameuta tellement ceux du pays de Vaud, que, malgré la protection et l'amitié de M. le bailli d'Yverdun et de plusieurs magistrats, il fallut sortir du canton de Berne. On tenta de faire la même chose en ce pays; le magistrat municipal de Neuchâtel défendit mon livre; la classe des ministres le déféra; le conseil d'état alloit le défendre dans tout l'état, et peut-être procéder contre ma personne mais les ordres de milord Maréchal et la protection déclarée du roi l'arrêtèrent tout court; il fallut me laisser tranquille. Cependant le temps de la communion approchoit, et cette époque alloit décider si j'étois séparé de l'Église protestante ou si je ne l'étois pas. Dans cette circonstance, ne voulant pas m'exposer à un affront public, ni non plus constater tacitement, en ne me présentant pas, la désertion qu'on me reprochoit, je pris le parti d'écrire à M. de Montmollin, pasteur de la paroisse, une lettre qu'il a fait courir, mais dont les voltairiens ont pris soin de falsifier beaucoup de copies. J'étois bien éloigné d'attendre de cette lettre l'effet qu'elle produisit : je la regardois comme une protestation nécessaire, et qui auroit son usage en temps et lieu. Quelle fut ma surprise et ma joie de voir dès le lendemain chez moi M. de Montmollin

me déclarer que non seulement il approuvoit que j'approchasse de la sainte table, mais qu'il m'en prioit, et qu'il m'en prioit de l'aveu unanime de tout le consistoire, pour l'édification de sa paroisse, dont j'avois l'approbation et l'estime! nous eûmes ensuite quelques conférences, dans lesquelles je lui développai franchement mes sentiments tels à-peu-près `qu'ils sont exposés dans la Profession de foi du vicaire, appuyant avec vérité sur mon attachement constant à l'Évangile et au christianisme, et ne lui déguisant pas non plus mes difficultés et mes doutes. Lui, de son côté, connoissant assez mes sentiments par mes livres, évita prudemment les points de doctrine qui auroient pu m'arrêter ou le compromettre; il ne prononça pas même le mot de rétractation, n'insista sur aucune explication, et nous nous séparâmes contents l'un de l'autre. Depuis lors j'ai la consolation d'être reconnu membre de son Église. Il faut être opprimé, malade, et croire en Dieu, pour sentir combien il est doux de vivre parmi ses frères.

M. de Montmollin, ayant à justifier sa conduite devant ses confrères, fit courir ma lettre. Elle a fait à Genève un effet qui a mis les voltairiens au désespoir, et qui a redoublé leur rage. Des foules de Genevois sont accourus à Motiers, m'embrassant avec des larmes de joie, et appelant hautement M. de Montmollin leur bienfaiteur et leur

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