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et même du respect 'pour lui, mais je redouterai toujours de le voir. Cependant je ne l'ai pas trouvé tout-à-fait si assommant qu'à Genève : en revanche, il m'a laissé ses deux livres'; j'ai même eu la foiblesse de promettre de les lire, et, de plus, j'ai commencé. Bon Dieu! quelle tâche! Moi qui ne dors point, j'ai de l'opium au moins pour deux ans. Il voudroit bien me rapprocher de vos messieurs, et moi aussi je le voudrois de tout mon cœur: mais je vois clairement que ces gens-là, malintentionnés comme ils sont, voudront me remettre sous la férule, et s'ils n'ont pas tout-à-fait le front de demander des rétractations, de peur que je ne les envoie promener, ils voudront des éclaircissements qui cassent les vitres, et qu'assurément je ne donnerai qu'autant que je le pourrai dans mes principes; car très certainement ils ne me feront point dire ce que je ne pense pas. D'ailleurs n'est-il pas plaisant que ce soit à moi de faire les frais de la réparation des affronts que j'ai reçus? On commence par brûler le livre, et l'on demande des éclaircissements après. En un mot, ces messieurs, que je croyois raisonnables, sont cafards comme les autres, et, comme eux, soutiennent par la force une

François Deluc, mort en 1780, est père des deux célèbres géologues de ce nom. Les deux seuls ouvrages qu'on connoisse de lui sont: Lettre contre la Fable des Abeilles, in-12, et Observations sur les écrits de quelques savants incrédules. Genève, 1762, in-8°.

doctrine qu'ils ne croient pas. Je prévois que tôt ou tard il faudra rompre : ce n'est pas la peine de renouer. Quand vous verrai, nous causerons

à fond de tout cela.

Vous avez très bien vu l'état de la question sur le dernier chapitre du Contrat social, et la critique de Roustan porte à faux à cet égard; mais comme cela n'empêche pas d'ailleurs que son ouvrage ne soit bon, je n'ai pas dû l'engager à jeter au feu un écrit dans lequel il me réfute ; et c'est pourtant ce qu'il auroit du faire si je lui avois fait voir combien il s'est trompé. Je trouve dans cet écrit un zéle pour la liberté qui me le fait aimer. Si les coups portés aux tyrans doivent passer par ma poitrine, qu'on la perce sans scrupule, je la livrerai volontiers.

Mettez-moi, je vous prie, aux pieds de l'aimable dame qui daigne s'intéresser pour moi. Pour les lacets, l'usage en est consacré, et je n'en suis plus le maître. Il faut, pour en obtenir un, qu'elle ait la bonté de redevenir fille, de se remarier de nouveau, et de s'engager à nourrir de son lait son premier enfant. Pour vous, vous avez des filles : je déposerai dans vos mains ceux qui leur sont destinés. Adieu, cher ami.

LETTRE CCCLIII.

A M. DE MALESHERBES.

Motiers-Travers, le 26 octobre 1762.

Permettez, monsieur, qu'un homme tant de fois honoré de vos graces, mais qui ne vous en demanda jamais que de justes et d'honnêtes, vous en demande encore une aujourd'hui. L'hiver dernier, je vous écrivis quatre lettres consécutives sur mon caractère et l'histoire de mon ame, dont j'espérois que le calme ne finiroit plus; je souhaiterois extrêmement d'avoir une copie de ces quatre lettres, et je crois que le sentiment qui les a dictées mérite cette complaisance de votre part. Je prends donc la liberté de vous demander cette copie; ou si vous aimez mieux m'envoyer les originaux, je ne prendrai que le temps de les transcrire, et vous les renverrai, si vous le desirez, dans peu de jours. Je serai, monsieur, d'autant plus sensible à cette grace, qu'elle m'apprendra que mes malheurs n'ont point altéré votre estime et vos bontés pour moi, et que vous ne jugez point les hommes sur leur destinée.

Recevez, monsieur, les assurances de mon profond respect.

Mon adresse est à Motiers-Travers, comté de Neuchâtel, par Pontarlier; et les lettres qui ne sont pas contre-signées doivent être affranchies jusqu'à Pontarlier.

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LETTRE CCCLIV.

A M. MOUCHON,

MINISTRE DU SAINT ÉVANGILE, À GENÈVE.

A Motiers, le 29 octobre 1762.

Bien obligé, très cher cousin, de votre bonne visite, de votre bon envoi, de votre bonne lettre, et sur-tout de votre bonne amitié, qui donne du prix à tout le reste. Je vous assure que si vous avez emporté d'ici quelque souvenir agréable, vous y avez laissé bien des consolations. Vous me faites bénir les malheurs qui m'ont attiré de tels amis. Et quel cas ne dois-je pas faire d'un attachement formé par l'épreuve qui en brise tant d'autres? Vous me devez maintenant tous les sentiments que vous m'avez inspirés, et vous ne pourrez, sans ingratitude, oublier de votre vie que les deux

larmes que vous avez versées à notre premier abord sont tombées dans mon cœur.

C'est un petit mal que la qualité de citoyen ne soit pas énoncée dans le baptistaire; j'ai toujours été plus jaloux des devoirs que des droits de ce titre honorable. Je me suis toujours fait un devoir de peu exiger des hommes: en échange du bien que jai tâché de leur faire, je ne leur ai demandé que de ne me point faire de mal. Vous voyez comment je l'ai obtenu. Mais n'importe, ils auront beau faire, je serai libre par-tout, malgré

eux.

Si je vous ai tenu quelques mauvais propos, au sujet de l'atlas, ce dont je ne me souviens point, j'ai eu tort, et je vous prie de l'oublier. Il est bon qu'une amitié aussi généreuse que la vôtre commence par avoir quelque chose à pardonner. Je n'approuve pas, de mon côté, que vous en ayez payé le port. Je vous prie d'en ajouter le déboursé à celui du baptistaire et au prix de l'atlas, qu'un ami sera chargé de vous rembourser.

Mille choses, je vous supplie, à l'honnête anonyme', dont je vous ai montré la lettre; vous savez combien elle m'a touché ; vous n'avez là-dessus à lui dire que ce que vous avez vu vous-même.

Cet anonyme étoit M. Philippe Robin, citoyen distingué par son mérite et ses talents (Note de M. Mouchon.)

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