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avec moi, car elle vous donne à mon imagination toutes les graces que vous pourriez avoir à mes yeux ; et moins vous me reprochez ma négligence, plus vous me forcez à me la reprocher.

La femme qui me dit le tais-toi, Jean-Jacques', n'étoit point madame de Luxembourg, que je ne 'connoissois pas même dans ce temps-là; c'est une personne que je n'ai jamais revue, mais qui dit avoir pour moi une estime dont je me tiens très honoré. Vous dites que je ne suis indifférent à personne; tant mieux : je ne puis souffrir les tièdes, et j'aime mieux être haï de mille à outrance et aimé de même d'un seul. Quiconque ne se passionne pas pour moi n'est pas digne de moi. Comme je ne sais point haïr, je paie en mépris la haine des autres, et cela ne me tourmente point: ils sont pour moi comme n'existant pas. A l'égard de mon livre, vous le jugerez comme il vous plaira; vous savez que j'ai toujours séparé l'auteur de l'homme: on peut ne pas aimer mes livres, et je ne trouve point cela mauvais; mais quiconque ne m'aime pas à cause de mes livres est un fripon, jamais on ne m'ôtera cela de l'esprit.

C'est en effet M. de Gisors dont j'ai voulu parler, je n'ai pas cru qu'on s'y pût tromper. Nous n'avons pas le bonheur de vivre dans un siècle où

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le même éloge se puisse appliquer à plusieurs jeunes gens.

Je crois que vous connoissez M. du Terreaux; il faut que je vous dise une chose que je souhaite qu'il sache. J'avois demandé, par une lettre qui a passé dans ses mains, un exemplaire du mandement que M. l'archevêque de Paris a donné contre moi. M. du Terreaux, voulant m'obliger, a prévenu celui à qui je m'adressois, et m'a envoyé un exemplaire de ce mandement par monsieur son frère, qui, avant de me le donner, a pris le soin de le faire promener par tout Motiers; ce qui ne peut faire qu'un fort mauvais effet dans un pays où les jugements de Paris servent de règle, et où il m'importe d'être bien voulu. Entre nous, il y a bien de la différence entre les deux frères pour le mérite. Engagez M. du Terreaux, si jamais il m'honore de quelque envoi, de ne le point faire passer par les mains de son frère, et prenez, s'il vous plaît, la même requête pour vous.

Bonjour, madame: si vous ressemblez à vos lettres, vous êtes mon ange; si j'étois des vôtres, je vous ferois ma prière tous les matins.

LETTRE CCCXLIX.

A LA MÊME.

Motiers, le 5 octobre 1762.

J'ai reçu dans leur temps, madame, la lettre que vous m'avez envoyée par M. du Terreaux et l'épître qui y étoit jointe. J'ai oublié de vous en remercier; j'ai eu grand tort; mais enfin je ne saurois faire que je ne l'aie pas oublié. Au reste, je ne sais point louer les louanges qu'on me donne, ni critiquer les vers que l'on fait pour moi; et comme je n'aime pas qu'on me fasse plus de bien que je n'en demande, je n'aime pas non plus à remercier. Je suis excédé de lettres, de mémoires, de vers, de louanges, de critiques, de dissertations; tout veut des réponses; il me faudroit dix mains, et dix secrétaires; je n'y puis plus tenir. Ainsi, madame, puisque, comme que je m'y prenne, vous avez l'obstination d'exiger toujours une prompte réponse, et l'art de la rendre toujours nécessaire, je vous demande en grace de finir notre commerce, comme je vous demanderois de le cultiver dans un autre temps.

LETTRE CCCL.

A MADAME LA COMTESSE DE BOUFFLERS.

Motiers-Travers, le 7 octobre 1762.

J'espère, madame, avoir gardé, sur les obligeantes offres de madame de La M. (La Mare), le secret que vous me recommandez dans votre lettre du 10 septembre. Cependant, comme je n'ai pas un souvenir exact de ce que j'ai pu écrire, je pourrois y avoir manqué par inadvertance, ayant d'abord cru que ce secret exigé n'étoit que la délicatesse d'un cœur noble qui ne veut point publier ses bienfaits. Il faut de plus vous dire qu'avant l'arrivée de votre pénultième lettre j'en avois reçu une de madame la M. de L. (la maréchale de Luxembourg), dans laquelle, après m'avoir parlé de vos propositions pour l'Angleterre, elle ajoute que vous m'en avez fait d'autres, qu'elle aimeroit bien mieux que j'acceptasse. Or, n'ayant point encore reçu la lettre où vous me parlez de l'offre de M. le P. de C. (le prince de Conti), pouvois-je croire autre chose, sinon que l'offre de madame de La M. (La Mare) étoit connue et approuvée de madame de Luxembourg ? J'étois

dans cette idée quand je lui répondis. Cependant je suis persuadé que je ne lui en parlai point; mais je ne me souviens pas assez de ma lettre

en être sûr.

pour

Voici la lettre que vous m'ordonnez de vous renvoyer. Milord Maréchal, qui m'honore de ses bontés, pense comme vous sur le voyage d'Angleterre, que vous me proposez. Je ne sais même s'il n'a pas aussi écrit à M. Hume sur mon compte. Je me rends donc; et si, après le voyage que vous vous proposez de faire dans cette île le printemps. prochain, vous persistez à croire qu'il me convienne d'y aller, j'irai, sous vos auspices, y chercher la paix, que je ne puis trouver nulle part. Il n'y a que mon état qui puisse nuire à ce projet. Les hivers ici sont si rudes, et les approches de celui-ci me sont déja si contraires, que c'est une espèce de folie d'étendre mes vues au-delà. Nous parlerons de tout cela dans le temps; mais en attendant, je ne puis vous cacher que je suis très déterminé à ne point passer par la France. Il faut qu'un étranger soit fou pour mettre le pied dans un pays où l'on ne connoît d'autre justice que la force, et où l'on ne sait pas même ce que c'est que le droit des

gens.

Vous aurez su, madame, que le roi de Prusse a fait sur mon compte une réponse très obligeante à Milord Maréchal. On a fait courir dans le public

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