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viron deux mille six cents Vendéens, pris les armes à la main, et que rien ne pouvait sauver 1. Carrier aurait voulu qu'on n'épargnât même pas leurs enfants, qu'il appelait des louveteaux. Nul ne consentit à servir ses colères contre eux. La commission militaire s'opposant à ce qu'il fit enlever sans jugement les prisonniers, pour les noyer, Carrier mande le président et lui dit: C'est donc toi qui t'opposes à mes ordres? Songe que je suis le représentant de vingt-cinq millions d'hommes. Puisque tu veux juger, juge done; et si l'entrepôt n'est pas vidé dans deux heures, je te fais fusiller. »

Ce représentant se plaisait au spectacle des supplices. Au milieu de ses orgies, il portait la santé des calottins qui avaient bu à la grande tasse. Un seul citoyen osa le dénoncer. Julien, fils du député de la Drôme, envoyé par Robespierre pour observer ce qui se passait à Nantes, lui écrivit le 15 pluviôse (3 février) «que d'insolents officiers vivaient à Nantes, dans le luxe et la débauche, ainsi que Carrier, qui s'était rendu inaccessible à toutes les réclamations, et qui négligeait toutes les affaires, en se faisant dire malade. Que cependant il était dans un sérail, entouré d'insolentes sultanes et d'épauletiers lui servant d'eunuques;

1 Je donne ici les chiffres véritables, d'après les renseignements minutieux pris sur les lieux, et qui concordent avec les procès-verbaux. L'agent du comité de salut public, Julien fils, exagéra singulièrement, dans ses lettres à Robespierre.

qu'il maltraitait de coups les fonctionnaires et les membres de la société populaire, qui n'étaient pas de son avis. » Julien racontait les noyades et ajoutait que Carrier lui avait dit à lui-même qu'on ne révolutionnait que par de semblables mesures, de semblables mesures, et que Prieur (de la Marne), qui ne savait qu'enfermer les suspects, était un imbécile.

Carrier fut rappelé à Paris, à la fin de pluviôse, par Robespierre. Il passa au scrutin des Jacobins (2 ventôse), où il fut admis, après que Collot-d'Herbois eut fait son éloge.

XI. Les victoires du Mans et de Savenay furent suivies d'un autre succès, dans le Midi. L'armée républicaine, qui assiégeait Toulon, avait commencé par resserrer l'ennemi dans l'enceinte de la place. Tandis que les représentants et les généraux délibéraient sur le plan d'attaque, Gasparin, commissaire de la Convention, qui s'en occupait avec le plus de zèle, mourut empoisonné, dit-on, par les aristocrates'. Au reste, les basses intrigues de ces derniers étaient de nature à confirmer tous les soupçons. Pour répandre de fausses alarmes, ils parvinrent à faire insérer, dans certains journaux de Paris, une lettre signée Barras et Fréron, en mission en Provence, qui assurait que le manque de vivres et l'accroissement des forces anglaises devaient faire abandonner le siége, et retirer l'ar

1 Prudhomme, dans son Histoire impartiale des crimes, affirme qu'il mourut d'une indigestion.

mée conventionnelle au delà de la Durance. Le comité de salut public reconnut bientôt la fausseté de cette lettre, car au moment où elle avait dû partir de Toulon, les Anglais au désespoir avaient tenté une sortie, dans laquelle ils avaient été complétement battus. D'ailleurs, les commissaires de la Convention, à qui s'étaient joint Robespierre jeune et Ricord, jouissaient d'une réputation de courage trop bien établie, pour que l'on pût croire à une lâcheté de leur part'. Je ne rêve qu'à Toulon, écrivait Fréron à Lucile Desmoulins ou j'y périrai, ou je le rendrai à la républiqué. Je pars: la canonnade commencera aussitôt mon arrivée. Nous allons gagner un laurier ou un saule: préparez-moi l'un ou l'autre2.

L'armée aussi avait juré de reprendre la ville, ou de périr. Dugommier, général en chef, tint un conseil de guerre, avec les représentants, et quelques officiers distingués, au nombre desquels était Bonaparte, chef de bataillon d'artillerie, alors âgé de vingt-quatre ans. On convint qu'une colonne insulterait de front la redoute du Petit-Gibraltar, tandis qu'une autre, filant le long de mer, escaladerait la sommité qui commandait le fort de l'Aiguillette, afin de couper la communication du camp avec la redoute. Une autre attaque se

1 Barras et Fréron désavouèrent cette lettre, dès qu'elle parvint à leur connaissance.

2 Vieux Cordelier.-Correspondance inédite de C. Desmoulins. 19

III.

rait opérée à l'est, sur le fort Faron, tandis que devait bombarder la ville.

l'on

Dans la nuit du 16 au 17 décembre, les généraux Labarre et Victor sortent du camp par une pluie violente'. Emportés par un excès de zèle, au lieu de se diriger tout à la fois sur la redoute et sur la sommité retranchée, ils arrivent tous deux en face de la redoute, dont ils tentent l'escalade sous un feu terrible. Les fossés sont bientôt jonchés de cadavres. La présence de Robespierre jeune et de Fréron anime les assaillants, qui se rallient. Les plus adroits montent sur les épaules des plus robustes, et s'introduisent dans la redoute par les embrasures. Là, après avoir combattu encore près d'une heure corps à corps les canonniers anglais et espagnols, ils se rendent maîtres de la redoute. Les ennemis profitèrent des ténèbres, pour s'enfuir à Toulon, sur des embarcations. Avant midi, Dugommier se trouva en possession des forts de l'Aiguillette et de Balaguier. Le général Lapoype, chargé de l'attaque du fort Faron, fut aussi heureux.

Toulon, avec sa garnison de quinze mille hommes et la facilité d'être ravitaillée par mer, pouvait tenir encore longtemps; mais les revers avaient consterné les alliés. D'ailleurs, les Anglais se souciaient peu de soutenir les chances d'une longue et coûteuse défense. Ils montèrent sur leurs vaisseaux, dans la nuit du

1 Jomini.

18 au 19 décembre (28-29 frimaire); mais, avant de fuir, leur capitaine, Sidney-Smith, incendia, l'arsenal, les magasins de mâture, et les vaisseaux désarmés qu'il ne put emmener. Seize vaisseaux et cinq frégates furent consumés; trois vaisseaux et six frégates furent emmenés; cinq vaisseaux furent envoyés en mission dans les ports français de l'Océan. Sept vaisseaux et onze frégates restèrent intacts, parce que les forçats rompirent leurs chaînes, et les sauvèrent, ainsi que l'arsenal, au prix de leur vie; puis rentrèrent tranquillement au bagne.

Au moment où les rebelles se virent livrés par les Anglais aux justes vengeances de la Convention, ils voulurent se retirer sur les escadres combinées. Les alliés, loin d'aider cette retraite, s'y opposèrent. Des douze mille Toulonnais qui tentèrent de s'enfuir, plus de trois mille hommes, femmes et enfants, tombèrent dans les flots. Durant vingt-quatre heures, la ville et le port présentèrent le spectacle affreux des flammes, des cris de rage ou de moquerie des Anglais, des lugubres plaintes des Français, qui se noyaient, et de ceux qui n'avaient pu s'enfuir1.

Ce fut dans ces circonstances que l'armée républi

1 « Nous ne retracerons pas, dit Jomini, les horreurs qui signalèrent cette opération, de crainte d'être accusé de passion ou de haine : les mémoires de Fonvielle et d'Imbert, qui avaient négocié la trahison, les légueront à la postérité, comme un exemple du sort qui frappe, tôt ou tard, les hommes assez imprudents pour remettre les destinées de leur patrie à la merci de ces ennemis implacables.

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