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Robespierre s'écrie:

<< Danton, tu es accusé d'avoir émigré; on a dit que tu avais passé en Suisse; que ta maladie était feinte pour cacher au peuple ta fuite; on a dit que ton ambition était d'être régent sous Louis XVII; qu'à une époque déterminée, tout a été préparé pour le proclamer; que tu étais le chef de la conspiration; que ni Pitt, ni Cobourg, ni l'Angleterre, ni l'Autriche, ni la Prusse n'étaient nos véritables ennemis, mais que c'était toi seul; que la Montagne était composée de tes complices; qu'il ne fallait pas s'occuper des agents envoyés par les puissances étrangères; que les conspirations étaient des fables qu'il fallait mépriser; en un mot, qu'il fallait t'égorger...

» Danton, ne sais-tu pas que plus un homme a de courage et de patriotisme, plus les ennemis de la chose publique s'attachent à sa perte? Ne sais-tu pas, et ne savez-vous pas tous, citoyens, que cette méthode est infaillible? Eh! si le défenseur de la liberté n'était pas calomnié, ce serait une preuve que nous n'aurions plus ni prêtres ni nobles à combattre.

» Les ennemis de la patrie semblent m'accabler de louanges exclusivement; mais je les répudie1. La cause des patriotes est une, comme celle de la tyrannie; ils sont tous solidaires. Je me trompe peut-être sur Danton; mais vu dans sa famille, il ne mérite

1 Allusion au journal d'Hébert.

que des éloges. Sous les rapports politiques, je l'ai observé une différence d'opinion entre lui et moi me le faisait épier avec soin, quelquefois avec colère; et s'il n'a pas toujours été de mon avis, en concluraije qu'il trahissait la patrie? Non, je la lui ai vu toujours servir avec zèle. Danton veut qu'on le juge ; il a raison; qu'on me juge aussi. Qu'ils se présentent ces hommes qui sont plus patriotes que nous! je gage que ce sont des nobles, des privilégiés. Vous y trouverez un marquis, et vous aurez la juste mesure du patriotisme de ces emphatiques accusateurs. Il est évident que Danton a été calomnié; mais je vois là un des fils les plus importants de la trame ourdie contre les patriotes. >>

Merlin de Thionville ajouta : « Je déclare que Danton m'arracha des mains du juge de paix Larivierre; qu'au 10 août, il sauva la république avec ces paroles: De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace! Voilà Danton. »

Nul n'osant répondre au discours de Robespierre, Danton reçut du président l'accolade fraternelle, au milieu des applaudissements les plus flatteurs.

VII. L'admission de Camille Desmoulins éprouva aussi quelques difficultés; et pourtant où trouver une vie plus constamment remplie d'un noble enthousiasme pour la liberté !

Camille Desmoulins naquit à Guise, département de l'Aisne, en 1760, d'une famille honorable, mais

sans fortune. Il fit son éducation au collége Louisle-Grand, où il était boursier. Doué des plus heureuses dispositions pour les lettres, il travaillait avec ardeur, et se nourrissait surtout des beaux livres de l'antiquité. Cette sorte de fréquentation continuelle et passionnée des grands hommes de la Grèce et de Rome lui inspira l'amour de la patrie et des idées républicaines, à un âge et à une époque où les préoccupations de cette nature pouvaient sembler un rêve. A quinze ans, dans un dîner chez un de ses parents, devant une société nombreuse, il soutint les avantages du gouvernement républicain, et défendit cette thèse avec une énergie et une éloquence qui frappèrent d'étonnement l'auditoire choisi qui l'écoutait.

Reçu avocat en 1785, il dut renoncer à plaider, à cause du bégaiement dont il était affecté. Il vécut des mémoires qu'il composa pour ses confrères et pour les procureurs. Ses pamphlets, publiés en 89, le firent rechercher par plusieurs députés célèbres, notamment par Mirabeau, dont il fut le commensal et le secrétaire. Mais dès qu'il vit ce député trahir la cause populaire, il devint son ennemi, et sut résister aux offres les plus brillantes.

Cependant, Camille avait à lutter contre la pauvreté : ses écrits ne profitaient qu'à son libraire. En vain suppliait-il son père de lui envoyer cinq à six louis

1 Son père était lieutenant général du bailliage, et très-attaché au roi.

pour acheter un lit'; M. Desmoulins les lui refusait, soit qu'il fût gêné, soit qu'il voulût forcer son fils à revenir dans sa province. Camille aimait trop la révolution, pour ne s'y point entièrement sacrifier. Il entreprit alors le Journal des révolutions de France et de Brabant, qui prit rang dans le journalisme, immédiatement après la feuille de Marat. Pour acheter son silence, la cour et les Feuillants lui offrirent des sommes considérables et des places; il rejela tout avec mépris; il ne rougissait pas de sa pauvreté, dont il était même fier. L'attachement et l'admiration qu'il avait voués à Robespierre, son condisciple, redoublėrent à cette époque; et ses écrits, lus par tout le monde, contribuèrent beaucoup à la réputation du député jacobin.

Étudiant en droit, Camille avait rencontré au Luxembourg mademoiselle Lucile Duplessis, jeune fille d'une beauté et d'un esprit remarquables, dont il devint amoureux. Elle l'aimait aussi, et chaque jour ils se promenaient ensemble, avec la mère de Lucile. Madame Duplessis, qui avait reconnu dans Camille de grandes qualités, consentait au mariage; mais M. Duplessis, riche, ambitieux et royaliste, s'y opposait. Il ne s'y décida qu'à la fin de 1790, lorsqu'il vit l'avenir de Camille bien assuré.

Cette union fut des plus heureuses. Il en naquit

1 Correspondance inédite de C. Desmoulins.

en 1792, un fils, qui reçut le nom d'Horace. « Je ne » dirai qu'un mot de ma femme (écrivait en 1793 >> Camille, répondant à ceux qui lui reprochaient » d'avoir épousé une femme riche); j'avais toujours » cru à l'immortalité de l'âme. Après tant de sa» crifices d'intérêts personnels que j'avais faits à la » liberté et au bonheur du peuple, je me disais au » fort de la persécution: Il faut que les vertus atten» dent les récompenses ailleurs. Mais mon mariage est » si heureux, mon bonheur domestique si grand, » que j'ai craint d'avoir reçu ma récompense sur la » terre, et j'avais perdu ma démonstration de l'im» mortalité. Maintenant, les persécutions et les lâches » calomnies me rendent toute mon espérance. »>

Camille était aussi brave que spirituel écrivain. Le 10 août, il se trouvait un fusil à la main à l'attaque des Tuileries; et dans toutes les circonstances de la révolution, il paya de sa personne. Nul ne montra, sous des dehors aussi aimables, avec un caractère si sympathique, une âme moins ambitieuse ni plus. de dévouement. Tandis que la jalousie empêchait une foule d'hommes, même des plus purs, de reconnaître le mérite de leurs émules, Camille vantait ses amis avec un désintéressement sans exemple, et souvent aussi avec un enthousiasme naïf, qui l'entraînait trop loin dans ses éloges. Il n'est pas un personnage, qui se soit montré patriote au commencement de la révolution, auquel il ait marchandé son

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