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plus vantée de tous, offrit hypocritement à Marat, pour arriver près de lui, une infortune à secourir. Quoiqu'elle spéculât le rétablissement de la royauté, elle se comparait à Brutus, le dernier des républicains de son pays.

Si l'assassinat pouvait être permis dans un cas, pourquoi ne le serait-il pas dans d'autres? Et alors, en une heure, quelques scélérats dépeupleraient un empire de tous les hommes éclairés et vertueux : il n'y aurait plus que confusion et terreur. Comment donc tant d'écrivains ont-ils eu l'impudeur de vanter Charlotte Corday? Non, non, on ne doit jamais louer le crime; si Charlotte Corday a reçu des éloges dans un temps où l'on a flétri les héros, sa mémoire devient exécrable quand on leur rend justice.

XIV. Toutes les sections de Paris vinrent à la barre de la Convention demander un décret déclarant que Marat avait mérité les honneurs dus aux grands hommes. Son corps fut embaumé, et exposé à la vue du peuple, dans l'église des Cordeliers. La foule s'y succéda; et, se prosternant avec respect, entendit ce discours de l'un de ses orateurs :

<< Il est mort, l'Ami du peuple!... il est mort assassiné!... La consternation du peuple, sa douleur muette, ses larmes, les honneurs que vous rendez au plus grand des hommes, sont le plus éloquent, le plus sublime de tous les éloges. Citoyennes, jetez des fleurs sur le corps pâle de Marat; il fut notre ami, il

fut notre père; c'est pour le peuple qu'il a vécu, c'est pour le peuple qu'il est mort. (Les femmes jettent en silence des fleurs sur le cercueil.)

» Citoyens, nous venons de payer à la nature et à la reconnaissance le tribut que nous lui devions; nous venons de pleurer la mort de l'Ami du peuple. Du haut des cieux, Marat a goûté, en voyant couler vos larmes, la plus délicieuse de toutes les récompenses; mais sa grande âme, toujours enflammée de l'amour de la république, attend de vous des hommages plus dignes de lui, plus dignes de vrais républicains. Il me semble l'entendre vous dire dans son langage énergique : « Républicains, cessez vos pleurs; mettez un » terme à vos regrets, c'est aux esclaves à se lamen» ter; le républicain ne verse qu'une larme c'est » sur les malheurs de sa patrie, et il songe à la ven»ger. Ce n'est pas moi qu'on a voulu assassiner : c'est » la république; ce n'est pas moi qu'il faut venger: » c'est la patrie... Que le sang de Marat devienne une » semence d'intrépides républicains; que son courage » passe dans toutes vos âmes; que les traîtres, épou» vantés, ne voient autour d'eux que des amis du peu>>ple, et des vengeurs de la patrie. »

» Oui, citoyens, voilà ce que vous dit l'âme de Marat; voilà l'hommage que vous devez rendre à sa mémoire, la vengeance qu'il attend de vous... 0 Marat! âme rare et sublime! nous t'imiterons, nous écraserons tous les traîtres; nous vengerons ta mort à

force de vertu. Nous le jurons sur ton corps sanglant, sur le poignard qui te perça le sein... nous le ju

rons!... >>

La société des Jacobins consacra plusieurs séances à l'Ami du peuple, et rejeta la proposition qui lui fut faite de continuer son journal, et celle de << discuter sa fortune1. » Robespierre demanda même aux Jacobins que l'on ne rendît point d'honneurs funèbres à Marat, parce que de tels honneurs satisfont le peuple. Toutefois, les funérailles furent magnifiques; la Convention y assista tout entière. Le peuple, rassemblé sous les bannières des sections, suivait dans un silence respectueux; des larmes coulaient de tous les yeux; chacun sentait vivement la blessure de la république ; jamais spectacle ne fut plus imposant ni plus touchant. Le corps de Marat fut déposé sous les arbres du jardin des Cordeliers.

On donna le nom de Marat à une place et à la rue qu'il habitait, et l'on érigea sa statue au conseil général et à la Convention. Dans chaque maison, son buste fut mis sur la cheminée, à côté d'un crucifix. Des honneurs presque divins furent rendus à sa mémoire; les Cordeliers dressèrent, dans la salle de leurs séances, un autel à son cœur, qu'ils obtinrent de conserver2.

1 C'était une niaiserie. Il était de notoriété publique que Marat était plus pauvre à sa mort, que lorsqu'il arriva aux affaires. Il ne laissa que son mobilier, qui ne valait pas douze cents livres, et des assignats pour cinquante livres. Il nourrissait sa sœur.

2 Le culte de Marat commença ainsi aux Cordeliers: Un membre,

Un juré au tribunal révolutionnaire, nommé Brochet, composa et fit imprimer une prière qui contenait ces mots: Cœur Jésus! cœur Marat! ô sacré cœur de Jésus! 6 sacré cœur de Marat'! Les instituteurs et les institutrices, dans les écoles, faisaient faire le signe de la croix, à leurs élèves, au nom de Marat2.

La Convention exploita, au profit de la révolution, le culte voué par le peuple à Marat; mais aussi des hommes suspects se targuèrent de ce nom. Jacques Roux et Leclerc publièrent un journal, intitulé l'Ombre de Marat. La veuve de l'Ami du peuple se présenta à la Convention nationale, pour se plaindre de ce que ces hommes, outrageant la mémoire de Marat en se disant ses continuateurs, se servaient de son nom, pour commander l'effusion du sang. Elle demanda leur punition, et les deux folliculaires furent emprisonnés.

Marat rendait des services d'autant plus grands à la France que lui seul avait la puissance de s'opposer aux ultra-révolutionnaires, aux cnragés, car il était le seul patriote assez populaire pour ne pas inspirer de défiance aux citoyens, lorsqu'il parlait de modération. Il était comme le maximum du patriotisme3; au delà élevant les yeux vers l'urne qui contenait son cœur, s'écria: Restes précieux d'un dieu! serons-nous donc parjures à tes mânes! tu nous demandes vengeance, et tes assassins respirent encore! Réveillez-vous, Cordeliers: il est temps. Courons venger Marat, courons essuyer les larmes de la France éplorée.

1 Beaulieu, t. V, p. 199.

2 Deux Amis, t. XI, p. 402.

3 Le vieux Cordelier, no 2.

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René Levasseur, t. I, p. 208.

de ce qu'il demandait, il n'y avait donc qu'exagération et perversité. « Les aristocrates ne pourront nous » perdre, disait Camille, qu'en se faisant plus révolu>>tionnaires que nous. Aussi, tout le temps que je vois >> Marat, sur lequel on peut compter, dans notre sein, » je ne saurais avoir de crainte, car celui-là au moins >> ne peut être dépassé.

» Marat était, dit Réné Levasseur, une sorte de » sauvegarde contre les popularités intéressées des » démagogues aux gages de l'étranger. Cette sauve» garde une fois détruite, ils mirent la main à l'œu» vre, et le démocratisme des Hébert, des Chaumette >> et des Chabot ne tarda pas à s'imprégner de telles » couleurs, qu'il fut impossible d'y méconnaître les » traces de l'or de l'Angleterre, et les intrigues de » l'émigration. »

La mort de ce grand citoyen frappa la république au cœur. Marat, en se faisant terrible et violent, avait eu pour but d'empêcher que l'on n'abattît la révolution par l'exagération de son principe, et d'arrêter l'effusion du sang, qu'il n'était pas rigoureusement nécessaire de verser. Lui seul en était capable, et par sa clairvoyance, et par sa franchise, et par sa popularité. Robespierre n'était ni assez franc, ni assez judicieux; Danton avait montré trop de modération, et n'était pas assez tenace, pour opérer ce grand œuvre. XV. Aussi, le crime de Charlotte Corday eut des suites funestes pour la république: mais, momenta

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