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Cependant, Boyer-Fonfrède, qui fit toujours preuve d'un noble courage, réclama vivement un rapport sur ses amis détenus. « Il faut, dit-il, prouver au plus tôt l'innocence de nos collègues. Je ne suis resté ici que pour les défendre, et je vous annonce qu'une armée s'avance de Bordeaux pour venger les attentats commis, contre eux. » Vergniaud écrit à Barrère et à Robert Lindet, membres du comité de salut public, cette lettre véhémente 1 : « Hommes làches qui vendez vos consciences et le bonheur de la république, pour conserver une popularité qui vous fuit, vous peignez les représentants arrêtés comme des factieux; je vous dénonce à mon tour à la France comme des imposteurs et des assassins, etc... >>

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La Montagne, exaspérée, demande aussi le rapport; Saint-Just, que l'on venait d'adjoindre au comité de salut public avec Couthon et Jean-Bon-Saint-André, le présenta le 8 juillet. Il montra la connexité des insurrections de la Vendée, du Calvados et de Lyon, connexité prouvée par Wimpfen, Puisaye et Précy, qui n'avaient cessé d'avoir des intelligences avec les Vendéens. Le comité de salut public en concluait que les fugitifs voulaient renverser la république, pour rétablir les Bourbons sur le trône. Tel n'était pas assurément le dessein de la plupart d'entre eux; mais alors il était impossible de ne s'y pas tromper. D'accord

Beaulieu, p. 150.

avec les royalistes, les Girondins agissaient comme eux; ils étaient donc leurs complices, quelle que fût la différence de leurs intentions ultérieures.

Le comité conclut à déclarer traîtres à la patrie Buzot, Barbaroux, Gorsas, Lanjuinais, Salles, Louvet, Bergoing, Biroteau et Pétion, pour s'être soustraits au décret d'arrestation du 2 juin, et s'être mis en état de rébellion dans les départements. Il demanda la mise en accusation de Gensonné, Guadet, Vergniaud, Mollevault et Gardien, comme prévenus de complicité avec les premiers. Il proposa le rappel, dans le sein de la Convention, des autres députés, plutôt trompés que coupables.

XIII. La Convention hésitait à adopter ces conclusions qu'elle trouvait encore trop sévères, lorsqu'un grand crime vint précipiter le fatal dénoûment de cette affaire. Les députés réfugiés à Caen avaient fait connaissance de Charlotte Corday d'Armans, jeune fille royaliste et d'un caractère résolu, qui eut bientôt des rapports intimes avec Barbaroux. Ces députés lui persuadèrent qu'elle pourrait s'immortaliser, en délivrant la France de la Montagne. A cet effet, il était nécessaire, disaient-ils, de couper la Montagne en deux, c'est-à-dire, de tuer Danton, crime dont on aurait accusé Robespierre. Cinq députés remirent à Charlotte Corday des instructions pour elle et des lettres pour leurs collègues du côté droit, restés à la Convention, et qui, au nombre de soixante-treize,

correspondaient secrètement avec eux. Quelques-uns d'entre eux, notamment Duperret, se disposaient même à les rejoindre à Caen.

Charlotte se rendit à Paris, et ouvrit les lettres, où elle vit que ses amis accusaient Danton de vouloir mettre l'ex-dauphin sur le trône. Alors elle se garda bien de porter la main sur un homme qu'elle considérait comme utile à sa cause, et résolut de tuer Marat'. Le 12 juillet, elle lui écrivit, sous un faux nom, pour lui annoncer qu'elle le mettrait à même de rendre un grand service à la France. Elle se présenta chez lui 2 le lendemain matin; mais ne fut point reçue, car Marat, atteint depuis quelque temps d'une maladie inflammatoire, provenant de ses travaux excessifs, avait à peine le temps d'écrire son journal. Charlotte Corday, retournée à son hôtel, écrivit la lettre sui

vante:

« Je vous ai écrit ce matin, Marat; avez-vous reçu » ma lettre? Je ne puis le croire, puisqu'on m'a re» fusé votre porte. J'espère que, du moins, vous m'ac»corderez une entrevue. Je vous le répète, j'arrive » de Caen; j'ai à vous révéler les secrets les plus im>> portants pour le salut de la république. D'ailleurs, » je suis persécutée pour la cause de la liberté; je >> suis malheureuse: il suffit que je le sois, pour avoir >> droit à votre protection. >>

1 Notice de Vimpfen.

2 L'Ami du peuple habitait la rue de l'Ecole de Médecine.

A sept heures et demie du soir, elle revint chez Marat. On refusa de l'introduire, parce que l'Ami du peuple était dans sa baignoire, occupé à écrire. Mais ayant entendu le colloque, il comprit que la visiteuse était la femme qui lui avait écrit les deux lettres, et ordonna qu'on la fit entrer. Il la questionna sur le nom des députés présents à Caen, et sur les administrateurs de cette ville. Pendant que l'Ami du peuple écrivait ces noms, Charlotte Corday tira un couteau qu'elle tenait caché sous sa robe, et le lui plongea dans le sein. Marat ne put pousser que ce cri: Amoi, ma chère amie! et expira aussitôt'. Sa femme et un plieur de journaux accourent et empêchent Charlotte de s'évader.

Cette fille, d'une beauté remarquable, montra du calme dans son procès, et avoua son crime. Pour intéresser en sa faveur, elle témoigna des sentiments républicains. Son défenseur s'en rapporta à la sagesse du jury; elle fut condamnée à mort et exécutée le 17 juillet. Le bourreau, en montrant sa tête au peuple, lui ayant appliqué deux soufflets, fut condamné à l'emprisonnement, comme coupable d'outrages à la morale publique 2.

Charlotte Corday n'était pas une héroïne, comme

1 Des historiens ont publié une lettre de Marat mourant à Gusman; cette lettre est apocryphe. La sœur de Marat m'a confirmé que l'Ami du peuple n'écrivit rien après sa blessure, qu'il n'eut que la force d'appeler et expira aussitôt.

2 Voir au greffe du tribunal.

on a voulu le faire accroire. Ayant l'intention de fuir en Angleterre, elle avait pris toutes ses mesures, qui furent déconcertées par le cri de Marat, et la vigilance des personnes qui se trouvaient dans l'antichambre. Le seul motif qui poussa Charlotte à cet assassinat, fut le besoin de renommée, et l'espoir d'être récompensée par un pouvoir nouveau. Ses interrogatoires, d'ailleurs, et ses dernières lettres, prouvent son excessive vanité. Si elle mourut avec courage, elle ressembla à tous ses contemporains, qui allaient à la guillotine avec une tranquille assurance.

L'assassinat politique, aussi bien que l'assassinat privé, a toujours été, et sera toujours un crime. Ce sentiment est dans la conscience de tous les hommes; le peuple seul ou ses délégués ont le droit de mettre un homme à mort, dans les circonstances prévues, et pour l'utilité publique. En toute autre occasion, l'individu, qui se rend coupable d'homicide, ne commet pas seulement une action contraire aux lois naturelles et écrites, mais court la chance d'immoler un homme utile à la patrie. En effet, l'assassin agissant toujours sous l'impulsion d'un intérêt égoïste ou d'un fanatisme aveugle, ne peut jamais savoir quels seront, pour la cause publique, les résultats de son action. Au surplus, tous ces assassins ont montré de la lâcheté, ou une vanité folle. Charlotte Corday, la

1 Elle l'a avoué dans son interrogatoire.

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