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dont cet affront irriterait l'audace, et qu'en saine politique, lorsqu'on n'avait pas la certitude de réduire son ennemi, il ne fallait pas avoir l'imprudence de le braver.

Le comte de Mansfeld déclara, qu'il ne pouvait approuver l'inquisition; mais qu'il blâmait le compromis: il ajouta, qu'il avait vu avec peine son propre fils au nombre des confédérés, et qu'il l'avait menacé de toute son indignation, en cas qu'il ne se hâtât d'abandonner ce parti séditieux.

Le comte d'Aremberg et le comte de Mègue parlèrent dans le sens du duc d'Arschot et du comte de Berlaimont, et leur avis fut, qu'il ne fallait point recevoir la requête des conjurés, ou du moins qu'il fallait les renvoyer à un autre temps, espérant qu'une coalition aussi subitement formée, n'aurait pas as sez de consistance pour se soutenir et se consoli= der; qu'elle se dissoudrait d'elle-même, si l'on pouvait gagner du temps.

Les autres seigneurs ne s'expliquèrent que faiblement contre les confédérés, et se déchaînèrent rudement contre l'inquisition.

La gouvernante, voyant que les esprits étaient trop échauffés pour délibérer sur cet objet avec le calme, la modération et l'impartialité qu'il convient d'apporter dans les affaires, convoqua une secon de assemblée, où elle prononça un discours préparé, qui avait le double objet de justifier la sévérité des édits et de prouver la nécessité de l'inquisition, puisque ces édits n'avaient été portés, du consentement des états généraux de toutes les provinces, que pour arrêter les maux occasionnés par l'hérésie, et que ce tribunal n'avait été institué que

pour appliquer les peines prononcées par les édits. Si donc, disait-elle, les édits ont été unanimement reçus par les états, parce qu'ils n'ont vu dans ces lois qu'un remède salutaire et nécessaire, pourquoi faut-il se déchaîner avec tant de violence contre un tribunal, qui n'a point d'autre fonction, que d'appliquer le remède prescrit par ces lois? La loi prononce la peine, et le tribunal l'applique. L'une et l'autre ont le même but: il est donc absurde d'adopter l'une, et de rejeter l'autre.

C'était, par cette espèce de sophisme, qu'elle tâchait d'attirer les membres du conseil dans son sentiment; mais les avis furent partagés. Ceux qui entraient dans les vues de la gouvernante, disaient que, quand on faisait des lois, il fallait en peser mûrement les avantages et les inconvéniens; que, quand elles étaient faites, il fallait en soutenir vigoureusement l'exécution; qu'il n'y avait point de plus funeste abus dans l'administration des états; point de marque plus sûre de leur faiblesse; point de signe plus certain de leur décadence, que la variation dans les principes et les changemens dans les lois; que, dans l'espèce de lutte qui venait de s'élever, il serait dangereux d'accorder la moindre chose aux hérétiques, parce que, dès qu'ils auraient emporté un point, ils ne cesseraient de former de nouvelles pré

tentions.

Les autres soutenaient, que l'autorité était bien plus dangereusement compromise, en voulant maintenir une loi à laquelle on ne pourrait forcer le peuple à se soumettre; qu'en y faisant des changemens et en y apportant des modifications qui en rendraient l'exécution plus douce et conséquemment plus faci

le; que la loi de l'inquisition était odieuse et insupportable à toutes les classes de citoyens; qu'il n'y avait pas un si petit ouvrier à Anvers, qui ne fût muni d'un fusil pour tuer celui qui tenterait d'y introduire ce tribunal; que c'était faire une injure manifeste aux évêques par cet établissement, puisqu'on paraissait se défier de leur zèle, en transférant à un nouveau tribunal le droit qui leur appartenait, de juger les différends relatifs à la religion; que d'ailleurs il n'était plus temps de délibérer quand les confédérés étaient aux portes de Bruxelles; qu'avant de rejeter leur demande, il fallait s'assurer si l'on avait assez de forces et de moyens pour opposer une résistance ferme aux attaques combinées des habitans et des étrangers, entrés dans cette confédération.

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Il fut donc conclu à la pluralité des voix, que les inquisiteurs de la foi suspendraient l'exercice de leurs fonctions, d'autant plus qu'ils n'avaient point encore fait, selon l'usage, renouveler leurs pouvoirs par le pape nouvellement élu ; qu'on apporterait des adoucissemens aux peines portées par les édits; qu'en adoptant ce tempéramment, on ne faisait que suivre l'exemple et les intentions de l'empereur CharlesQuint, qui, sur les remontrances de la reine de Hongrie, sa sœur, n'avait pas cru compromettre sa dignité, en modérant la sévérité de ses propres lois.

La gouvernante, voyant tous les esprits soulevés contre l'inquisition, sentit qu'il était inutile de résister à cette masse d'opinions: elle ne pouvait se fier au prince d'Orange : elle avait entendu dire au comte d'Egmont, que jamais il ne prendrait les ar

mes pour la défense de l'inquisition, ou pour l'exé-. cution des édits : elle savait qu'il n'y avait plus 'ni de bonne volonté à espérer, ni de secours à attendre des autres seigneurs: elle prit donc le parti de suivre l'avis de l'assemblée : elle députa sur-lechamp un courrier en Espagne, pour informer le roi de l'obligation où elle avait été, de déroger à ses ordres.

Ce fut le même jour, vers les six heures du soir, que les confédérés, au nombre de 200, suivant Strada; de 300, suivant Wanloom; de 400, suivant Grotius et de Thou; de 500, selon d'autres, ayant Brédérode et le comte Louis de Nassau à leur tête, arrivèrent à Bruxelles : ils allèrent descendre chez le prince d'Orange, où le comte de Mansfeld et le comte de Horn allèrent leur rendre visite. Le lendemain, Brédérode assembla les confédérés à l'hôtel de Culembourg, et leur proposa de signer derechef le compromis et de renouveler le serment qu'ils avaient déjà fait, de prendre les armes dans le cas où l'un des confédérés serait emprisonné.

Le jour suivant, 5 d'avril, ils s'assemblèrent encore dans le même hôtel, d'où ils sortirent deux à deux, comme en procession, pour se rendre à la cour. Toute la ville était accourue en foule à ce spectacle singulier. Brédérode, qui portait la parole, présenta une requête, par laquelle ils demandaient l'abolition de l'inquisition, la suppression des édits et celle des nouveaux évêchés. La gouvernante leur fit une courte réponse, par laquelle elle leur promit qu'elle examinerait leur requête. Dès le lendemain, ils retournèrent encore en cortége au palais de la gouvernante, qui leur rendit leur requête,

où elle avait écrit à la marge, par forme d'apostille, le réglement qu'elle avait fait émaner dernièrement pour suspendre les fonctions des inquisiteurs et modérer la rigueur des édits.

Brédérode avait fait préparer, pour ce jour-là, dans l'hôtel de Culembourg, un grand repas de plus de trois cents couverts, où les confédérés, échauffés par le vin, imaginèrent de donner un nom à la confédération. Brédérode venait de dire, au comte de Culembourg, que, s'étant approché de la gou vernante, le jour qu'ils avaient été présenter la requête, il avait entendu le comte de Berlaimont traiter les confédérés de gueux. Brédérode les engagea à adopter cette dénomination, qui, disait-il, exprimait l'intention et le but de leur association, qui était de devenir réellement gueux pour défendre la liberté de leur patrie. Cette réflexion fut goûtée; et ils se mirent à boire, à coups redoublés, à la santé des gueux. Toute la salle retentit des acclamations des confédérés, qui criaient de toutes leurs forces: vivent les gueux !

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A la fin du repas, Brédérode paraît avec une besace de mendiant au cou et une écuelle de bois à la main il remplit cette écuelle de vin et boit à la santé de tous les convives, en les félicitant sur les sentimens qui les avait réunis il ajouta à ces félicitations, des voeux, avec des protestations d'un inviolable attachement. A ces mots, ils recommencèrent à crier, avec plus de force: vivent les gueux! Ils burent tour-à-tour dans l'écuelle. Le prince d'Orange, le comte d'Egmont et le comte de Horn, qui avaient dîné chez le comte de Mansfeld, étant survenus, pendant cette scène, renouvelèrent la

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