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Le Roman de la Charrette, comme la plupart des autres œuvres de Chrétien de Troyes, appartient au cycle de la Table Ronde.

On sait que ces romans, comme les chansons de geste, ont pour objet le récit d'évènements qui, bien. que fictifs, étaient alors considérés comme vrais par le public. Quoique ce genre de littérature ait été fort cultivé en France du XIIe au XIV siècle, et que Chrétien de Troyes y ait acquis une grande célébrité, il fut rarement adopté par les écrivains champenois, et, à côté de Chrétien de Troyes, le seul romancier que la Champagne puisse revendiquer paraît être Bertrand de Bar-sur-Aube. Bertrand se nomme luimême dans ces vers :

Ce fu en mai qu'il fait chaut et seri;
Ke l'erbe est vers et rosier sont flori,
A Bar-sor-Aube, un chastel signori,
Lai cist Bertrans en un vergier flori
Uns gentis clers qui ceste chanson fist.

Le poème de Bertrand de Bar-sur-Aube a pour objet l'histoire de Girard de Viane. Il appartient au cycle carlovingien. M. Paulin Paris en a donné l'analyse dans l'Histoire littéraire de la France (a). Dès 1829, M. I. Bekker en a fait paraître 4,060 vers en tête du Férabras provençal (b). Il a été depuis édité par M. Tarbé, et il doit faire partie de la collection des chansons de geste du cycle carlovingien qui se publie aux frais de l'Etat, sous la savante direction de M. Guessard.

(a) Tome XXII, p. 448-460.

(b) Dans les Mémoires de l'Académie de Berlin.

Ces longues compositions poétiques qui, malgré de grandes beautés et l'incontestable talent de nombre de leurs auteurs, devaient bientôt passer de mode, et qui, tombées dans le domaine de la littérature populaire, furent tant de fois depuis imprimées et réimprimées par les presses de Troyes, ne semblent pas avoir été au moyen-âge dans le génie champenois. Après l'honneur qu'a eu la Champagne d'être la patrie du fameux romancier Chrétien de Troyes, les deux faits les plus saillants de l'histoire littéraire de cette province dans le dernier siècle de son autonomie sont ceux-ci : elle a donné naissance

au premier des chroniqueurs français, Geofroi de Villehardouin, et à l'historien de saint Louis, Jean de Joinville, tous deux prosateurs. Elle a été gouvernée, dans la personne de Thibaut IV, par le premier des chansonniers du temps.

Nous avons fait avec détail l'histoire de Geofroi de Villehardouin (a) jusqu'à son départ pour la croisade. Quand il se mit en route pour cette expédition

:

(a) Voir plus haut, p. 513 et suivantes. Nous ajouterons ici une observation Geofroi de Villehardouin, après s'être établi en Orient, conserva le titre de maréchal de Champagne, bien qu'il eût cessé d'en remplir les fonctions; ce fait résulte d'une charte de l'année 1207, dont nous avons en ce moment l'original sous les yeux. Cependant, le cartulaire de Saint-Loup de Troyes, qui appartient à M. de la Porte, document du XIIIe siècle, contient deux fois, fos 67 vo et 87 vo, la copie d'une charte datée d'avril 1202 et où Geofroi, le point de partir pour la croisade, se qualifie d'ancien maréchal de Champagne, marescallus quondam Campanie. Nous ne nous chargeons pas d'expliquer cette contradiction; toutefois, le maréchal Odard d'Aulnay nous donne l'exemple d'un fait analogue (voir plus plus haut, p. 512).

sur

célèbre, il vivait depuis dix-sept ans à la cour de Champagne. La langue dans laquelle il écrivit son immortel ouvrage est celle qu'il avait parlée avec Marie de France, Henri II, Thibaut III et Blanche de Navarre.

Lorsque Joinville prit la plume, la période dont nous faisons l'histoire était depuis longtemps terminée. Mais survivant à ses contemporains et vivant dans une génération qui n'était pas la sienne, Joinville fixait sur le parchemin les souvenirs de sa jeunesse et de son âge mûr, du temps de Thibaut IV et de Thibaut V, au service desquels il avait été attaché comme sénéchal et avec lesquels il s'était tant de fois entretenu (a).

Le lecteur lira avec intérêt le parallèle de ces deux écrivains dû à la plume de M. Paulin Paris.

«Le sire de Joinville... est naïf et loyal; il sait bien tout ce qu'il raconte, et il raconte tout ce qu'il sait sans trop d'ordre et sans aucune espèce d'art. Passionné pour tout ce qu'il y a de bon, de grand, de religieux dans les personnages qu'il a connus, il ne remonte pas à la cause des entreprises, il n'en discute pas les moyens d'exécution... Il est facile de reconnaître que le bon sénéchal avait reçu de la nature les vertus du chevalier plutôt que les talents de

(a) Voir plus haut, pages 488-489. On a de Joinville, outre la fameuse Histoire de saint Louis, une profession de foi sur laquelle on peut consulter la Dissertation sur le Credo de Joinville, publiée par M. Didot dans son édition des Mémoires de Jean, sire de Joinville, P. CL-CLXVII. Voir aussi dans le même volume, p. CLXVIIICLXXXIX, le travail de M. Paulin Paris, intitulé: Nouvelles recherches sur les manuscrits du sire de Joinville.

l'écrivain. Cependant tout nous charme aujourd'hui dans son style, les défauts aussi bien que les qualités comment un digne serviteur de saint Louis, nous racontant la larme encore dans les yeux tout ce que son cœur avait gardé du saint roi, aurait-il pu ne pas nous intéresser!... Bien des critiques, en plaçant Joinville en regard de Villehardouin, ont cru devoir accorder sur tous les points l'avantage au premier. Nous sommes d'un avis entièrement opposé; car le reçit de Villehardouin nous semble une œuvre réellement digne des plus beaux morceaux historiques de l'antiquité grecque et romaine. Jamais homme de guerre et de conseil n'écrivit avec plus de précision, de clarté, d'intérêt et de sincérité la relation d'une grande conquête et de tous ses résultats. Chez lui, pas un mot, pas une pensée que le goût le plus délicat ou la raison la plus haute ne doive avouer (a). »

A la suite de ces beaux livres, nous pouvons placer un ouvrage du même genre qui, sans avoir atteint la même célébrité, fait certainement aussi grand honneur à la province qui l'a produit : c'est La Chronique de Rains. Elle n'a pas la valeur historique de La conqueste de Constantinoble, et de La vie de saint Louis. Bien du faux s'y mêle au vrai : le goût des anecdotes populaires la rend quelquefois un peu frivole; mais à côté de ces taches, que de verve, et souvent que de grandeur! Les chroniques monastiques sont plus savantes, mais d'ordinaire manquent

(a) P. Paris, De la conqueste de Constantinoble, introduction, p. XL-XLI.

à la fois de vie et de forme. Dans La Chronique de Rains, a dit un maître, « nous retrouvons enfin après

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un long silence la narration épique des historiens » de l'antiquité (a). » Nous applaudissons à cette parole, sauf une réserve c'est qu'un demi-siècle plus tôt, cette narration épique se trouve déjà, ce nous semble, dans Villehardouin (6).

Si c'est une plume champenoise qui la première a écrit en français de la prose historique, et si elle l'a fait avec un si admirable talent, nous serons obligé de parler avec moins d'orgueil des débuts de la chanson française, qui cependant, au xır° siècle, a été, dans notre province, cultivée avec tant de succès. Au XII° siècle, la France possédait déjà de nombreux chansonniers qui composaient en langue vulgaire, mais la plupart ne se servaient pas de notre langue du Nord: ils chantaient dans cette langue mélodieuse du Midi, qui a conservé du latin tant de voyelles sonores que nous avons assourdies et rendues muettes. C'étaient les troubadours.

On n'a pas conservé les œuvres ni même le nom de tous ces poètes; mais parmi les troubadours du XIIe siècle, ceux dont nous possédons des poésies légères, tensons, sirventes, descorts, chansons proprement dites sont fort nombreux, comme on peut le voir notamment par les notices réunies dans le livre de M. Diez, intitulé: Leben und werke der Troubadours, et dans l'Histoire littéraire de la France.

(a) M. V. Leclerc, dans l'Hist. litt., XXI, 715.

(b) La chronique de Rains, signalée à l'attention du monde savant par M. Paulin Paris, dans Le Romancero françois, en 1833, a été publiée par M. Louis Paris en 1837.

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