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de calligraphie? C'est une hypothèse que nous livrons à l'appréciation du lecteur.

Outre cet ouvrage latin, dédié à Thibaut V, nous avons une lettre aussi en latin adressée par Adam, abbé de Perseigne, à Blanche de Navarre. Elle accompagnait un volume de sermons composés également en latin par ce prélat. Mais, par cette lettre, on voit qu'il supposait que Blanche aurait besoin d'une traduction (a).

Si Blanche ne connaissait pas à fond la langue latine, il est probable que Marie de France, qui gouverna la Champagne de 1181 à 1186 et de 1190 à 1198, n'en savait pas beaucoup plus. On conserve à la bibliothèque impériale (mss. fr. 12456, 12457), une traduction de la Genèse faite par son ordre en vers français. L'auteur nous apprend qu'il commença son ouvrage en 1192, et qu'il ne le termina qu'après la mort de Marie. On remarque dans le préambule et dans l'épilogue plusieurs vers à l'éloge de cette princesse, de son mari et de son fils. En voici quelques-uns sur Henri I", fondateur de SaintEtienne de Troyes :

C'est li bons cuens, ki tans biens fist,

Ke l'onor saint Estiévene assist,

Riche église et bien provendée
Dont la terre est tote amendée.
De ce fist il à Deu prosent,
Car ses cors i gist en présent.

En voici d'autres sur Henri II, qui, après la retraite de Philippe-Auguste et de Richard Coeur-de

(a) Voir plus haut, p. 197.

Lion, resta en Orient pour garder la Terre-Sainte, et sur sa mère, qui gouverna la Champagne en son absence :

Li proux cuens Henri li gentilz,
Ki en toz biens ert ententilz,
Remest là, quant cil lo laissièrent
Ki del tot lo pris abaissièrent (a).
Mais li suens en est halt montez :
Grant honors i a la contez
De la prouesce à tel segnor.
Ele ne puet avoir gregnor
K'il remest tos solz en la terre
Por maintenir la mortel guerre.

De ce mult le reconforta
La prouz mère ki le porta.
Sovent en fu dolente et lié,
Conforté et desconselhié :
Dolente qu'ele ne le véoit
(Ce qu'a son cuer plus li séoit),
Et lié sens duel, senz envie
Des grans biens c'on disoit de lui.
Bien séoit telz filz à tel mère.

A li (elle) doivent prendre exemplaire
Totes les dames ki or vivent.

Bien garda la terre et maintint,
Ne rien de quankes a mains tint,
Ne perdi, tant fu graciouse
Et sage et prouz et coragouse!

A Meaz regist la gentils dame.

(a) Allusion au blâme qui fut alors généralement infligé à Philippe-Auguste et aux compagnons de sa retraite.

Ele fu suer à II haus rois.
Des Maries n'i ot que trois,
Mais ele pot estre la quarte
Après la soror sainte Marthe.

On trouve encore, à la bibliothèque impériale, la traduction d'un autre texte biblique faite sur l'invitation de Marie. Ce texte est le psaume Eructavit. L'auteur de la traduction, ou plutôt de la paraphrase, car on y compte plus de 3,000 vers, nous dit lui-même qu'il écrit pour la dame de Champagne, et que cette dame de Champagne est sœur du roi de France. On sait que Marie de France était sœur de Philippe-Auguste.

Une chançon que David fist,
Cui notre sires an cuer mist,
Dira ma dame de Champaigne
Celi cui dame Diex ansaigne.

La gentil suer le roi de France
Racordez nos nostre créance.
Panssez, dame, de bien amer,
De servir et de reclamer
Celui qui la foi nos espire

Où vostre gentis cors se mire (a).

Ces deux ouvrages ne sont pas les seuls qui aient été composés pour Marie de France. Elle ne demanda pas seulement à la poésie française naissante un enseignement pieux comme celui de la Genèse

(a) Bibl. Imp., ms. fr. 2094, ancien 79562, fos 172-204 (notamment fo 194), cf. ms. fr. 1747, ancien 7694, fos 85-98, et Tarbé, Poètes de Champagne antérieurs au siècle de François Ier, p. XXXVII-XXXVIII.

ou des

psaumes, elle eut aussi recours à elle comme moyen de récréation et de passe-temps.

On croit qu'elle prit intérêt aux chansons du fameux Quènes ou Conon de Béthune qui, dit-on, aurait écrit pour elle ces vers:

Chançon legière à entendre
Ferai que bien m'est mestiers
Que chascun le puist aprendre,
Et qu'on le chant volentiers;
Ne par autre messagiers
N'iert ja ma dolor mostrée

A la millor qui soit née (a).

Dans tous les cas, un échec de Quènes à la cour de France fut surtout sensible à ce poète, parce que Marie était présente :

Por çou j'ai mis mon chanter en défois (défaut)
Que mon langage ont blasmé li François,

Et mes chançons, oyant les Champenois

Et la contesse encoir, dont plus me poise (b).

On doit sans doute reconnaître aussi Marie dans la comtesse de Brie qui commanda une chanson à Aubin ou Auboin de Sézanne. Cette pièce commence ainsi :

Bien cuidai toute ma vie
Joie et chansons oublier;

(a) Le Romancero françois, p. 81.

(b) Le Romancero françois, p. 83. Sur Quènes de Béthune, voir Le Romancero françois, p. 77-110, et l'Histoire littéraire, XVIII, 845-848. Ce personnage ayant vécu de 1150 à 1224, et n'étant qu'en 1202 parti pour la croisade, on pourrait se demander si la comtesse de Champagne chantée lui ne serait pas Blanche de Navarre qui régna à partir de l'année 1199, aussi bien que Marie

Mais la comtesse de Brie
Cui commans je n'os véer,

M'a commandé à chanter (a).

Enfin, ce fut sur l'invitation de Marie que Chrétien de Troyes composa le Roman de la Charrette.

Puisque ma dame de Champaigne
Vielt que romans à faire anpraigne,
Je l'anprendrai moult volentiers
Come cil qui est suens antiers (b).

de France, 1164-1198; mais il y a plus de probabilité pour Marie de France.

(a) Ce que nous disons d'Auboin de Sézanne peut donner lieu à deux objections, la première est que Marie de France ne porta jamais le titre de comtesse de Brie, et se fit toujours qualifier de comtesse de Troyes. Blanche de Navarre suivit cet exemple. La première comtesse de Champagne qui se soit dite comtesse de Brie est probablement Gertrude de Dabo, 1220-1222, et même nous n'avons pas de preuve formelle de l'emploi de cette qualification avant Agnès de Beaujeu, qui se donne le titre de comtesse palatine de Champagne et de Brie dans un acte de juin 1226 (1719). Thibaut IV, mari de Gertrude et d'Agnès, est le premier de nos comtes qui ait substitué au titre de comte palatin de Troyes celui de comte palatin de Champagne et de Brie. Cependant, il se peut qu'on ait donné à quelques-unes de nos comtesses un titre qu'elles ne prenaient pas encore elles-mêmes; la chose est certaine pour Blanche de Navarre; elle est possible pour Marie de France. - Une autre difficulté a été soulevée par M. Tarbé, qui, dans son livre intitulé Les Chansonniers de Champagne, p. XIV-XV, se prétend fondé à donner Gasse Brulé pour l'auteur de cette chanson (voir aussi le même volume, p. 45-46, où la pièce est imprimée. Nous suivons l'opinion de M. Paulin Paris: le Romancero françois, p. 125 et suivantes; Histoire littéraire, XXIII, 528-529; Les Manuscrits français de la Bibliothèque du Roi, VI, 67.

(b) Histoire littéraire de la France, XV, 253. Ce roman a été publié par M. Tarbé.

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