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nait d'instituer à Paris, sous le vocable de saint Bernard, un collége pour l'instruction de ses moines. Thibaut V accorda à ce collége dispense de droit d'amortissement jusqu'à concurrence de 40 livres de revenu (3120). Deux ans après, il s'occupait de fonder à Tudéla, en Navarre, ce qu'on nomma plus tard une Université, ou, comme on disait alors, une « étude générale (studium generale) et des chaires » magistrales pour l'utilité et le profit commun de » ceux qui, afin d'étudier, viendraient à Tudéla et y » séjourneraient. » Le pape Alexandre IV accorda aux étudiants de Tudéla le même privilége qu'à ceux de Paris, quant à la jouissance des bénéfices ecclésiastiques, et décida que, pendant leurs études, ils toucheraient leurs revenus comme les bénéficiers résidants (a). Jeanne de Navarre, reine de France, nièce de Thibaut V et son héritière médiate, suivit son exemple en fondant, à Paris, le collége de Navarre, qui, après avoir été si célèbre dans l'ancienne Université, a de nos jours trouvé dans une vie nouvelle une nouvelle illustration, puisque c'est dans ses bâtiments qu'est abritée l'Ecole Polytechnique.

Mais ce n'est pas de ce côté que nous devons chercher la principale influence de la cour de Champagne son action eut surtout pour effet de seconder le grand mouvement qui, se produisant à la fin du XIe siècle et pendant le x111o en dehors des écoles dans un public ordinairement étranger aux études latines et classiques, développa, à côté de la littérature scholastique, de cette littérature quelquefois si

(a) Bulle du 8 mai 1259, dans Raynaldi, an. 1259, nos 16 et 17.

élevée, mais habituellement si raide, si sèche et si peu attrayante, toute une littérature nouvelle, gaie, légère, vivant d'imagination comme l'autre de raisonnement, mais peu sérieuse et souvent peu morale, en un mot la littérature française primitive. Henri Ier, comme nous l'avons vu, était resté étranger à ce mouvement. C'était un latiniste élevé dans le goût de ces discussions subtiles qui alors faisaient la joie des pédants, et il ne voyait rien au delà. Aussi, Chrétien de Troyes dut-il aller hors de Champagne chercher des protecteurs (a). Cependant Jean le Nevelais, dans son roman de la Vengeance d'Alexandre, fait l'éloge d'Henri Ier. Voici dans quels termes il s'exprime :

Encore sera il del conte Henri liez.

Cil est sor tout le mons de doner efforciez,
Sage est et cortois et preus et afetiez,
Et aime les eglises et honore clergiez;
Les povres gentilz homes n'a il pas abessiez,
Ançois les a très bien levez et essauciez (b)
Et donées les terres, les rentes et les fiez :
Ja de doner ne fu son pers apareillez (c).

Jean le Nevelais avait été probablement traité par Henri plus libéralement que l'auteur de Perceval le Gallois; et les souvenirs classiques qui s'attachent au nom d'Alexandre le Grand, qui s'attachaient surtout

(a) Voir notre tome III, p. 188.

(b) On peut supposer ici une allusion à l'anecdote du chambrier Artaud; voir notre tome III, p. 127.

(c) Paulin Paris, Les Manuscrits français de la Bibliothèque du Roi, VI, 212; cf. Histoire littéraire, XV, 125, et Tarbé, Poètes de Champagne antérieurs au siècle de François Ier, p. xxxmi

alors au disciple d'Aristote, avaient sans doute provoqué en faveur de Jean, quoi qu'il écrivît en français, une exception que ne pouvait réclamer le chantre du roi Artus et de tant d'autres héros inconnus à l'antiquité.

Mais après Henri Ier la langue latine, qui avait été la langue préférée de ce prince, paraît être tombée en discrédit à la cour de Champagne. Elle resta la langue des choses sérieuses, de l'administration, de la science et de l'Eglise; mais il ne semblait plus possible de s'amuser en latin.

Depuis Henri le, la seule composition latine qui ait été, que nous sachions, rédigée pour un comte de Champagne n'a jamais pu avoir la prétention de récréer personne; c'est le Songe de Pharaon, par Jean de Limoges, moine de Clairvaux. Il est dédié « au >> prince victorieux, le seigneur Thibaut, roi magni

fique de Navarre, comte palatin de Champagne et » Brie, à qui Jean souhaite et le succès dans sa >> guerre contre les puissances aériennes (c'est-à>> dire contre le démon), et l'heureuse consomma>>tion de sa course. » Nous ne savons pas d'une manière certaine si ce seigneur Thibaut est Thibaut IV ou Thibaut V; mais il est grandement probable que c'est le second. On connaît les habitudes de piété de Thibaut V, et on peut supposer qu'il ait eu le désir de chercher son instruction ou son édification dans le genre de littérature auquel appartient l'œuvre du moine de Clairvaux. En effet, le Songe de Pharaon est un traité de morale à l'usage des rois. Jean de Limoges, dans sa dédicace, parle des libéralités faites au clergé et probablement à son ordre par le prince auquel il s'adresse. « Vous avez mé

>> rité, » lui dit-il, « d'amasser dans les cieux un >> trésor incorruptible, de laisser après vous sur la >> terre un nom éternel, et d'allumer chez les clercs. » et les élèves dévots le feu d'une gratitude sans >> fin. >> Or, nous avons déjà parlé des bienfaits de Thibaut V envers le collége Saint-Bernard (3120) et l'abbaye de Clairvaux (3646) (a). Il paraît que Thibaut V, en faisant un des actes de générosité que nous connaissons ou quelqu'autre dont nous avons perdu la trace, avait exprimé aux moines de Clairvaux le désir d'obtenir de leur reconnaissance un ouvrage de Jean de Limoges. Ce dernier, auteur de plusieurs livres inédits (b) et que personne ne songera sans doute jamais à publier, jouissait alors d'une célébrité relative. Il était probablement un des membres les plus lettrés d'un ordre qui ne se piquait guère de littérature,' et un des étudiants les plus distingués du collége peu savant de Saint-Bernard de Paris. Il se hâta de répondre à l'appel de Thibaut. <«< Moi le plus petit des clercs et des élèves,» dit-il, « j'ai considéré vos prières comme un ordre, et j'of

(a) Thibaut IV a fait aussi plusieurs donations à l'abbaye de Clairvaux, mais elles sont antérieures à son avénement au trône de Navarre (1635 bis, 1822, 2127, 2197), tandis que l'ouvrage dont nous parlons est postérieur à cet avénement.

(b) Le Songe de Pharaon est connu depuis longtemps (voir un article de M. Daunou dans l'Histoire littéraire de la France, XVIII, 393-395), mais la liste des autres productions de Jean de Limoges ne l'est que depuis la publication du savant Catalogue. des manuscrits de la Bibliothèque de Troyes, par M. Harmand (Catalogue des manuscrits des Bibliothèques des départements, tome II, p. 241, 242, 369, 608, 646-648).

>> fre à Votre Sérénité ce petit présent. Je n'ai pas la » témérité de me croire la prudence de Platon, la >> brillante imagination de Zénon, la faconde de Ci» céron; mais j'ai confiance en celui qui ouvre les >> lèvres des muets et qui donne de l'éloquence aux >> langues les plus malhabiles. »

Son livre, divisé en dix-neuf lettres non compris la dédicace, est une amplification de rhétorique sur le récit biblique du Songe de Pharaon et de ses explications. « J'ai fait, » dit-il, « la narration du fameux » Songe de Pharaon, en y intercalant un commen>> taire moral sur la discipline des rois : Pharaon y >> est le modèle de tout roi curieux, l'Egypte de tout » royaume zélé, Joseph de tout conseiller vertueux; » et en mêlant à la trame de mon livre de petites >> fleurs de rhétorique et de théologie, j'ai espéré >> plaire à Votre Altesse. » Cet ouvrage a été publié deux fois. Le manuscrit original, couvert de ratures nombreuses, a été conservé à la bibliothèque de Clairvaux jusqu'à la Révolution, et il se trouve aujourd'hui dans celle de Troyes, sous le n° 1534. En outre, la bibliothèque de Clairvaux en avait une copie exécutée au XIIe siècle avec beaucoup de soin, et ornée de ces lettres dorées et peintes qui, aux termes des règlements cisterciens, ne devaient jamais décorer les livres à l'usage de cet ordre. De Clairvaux, ce manuscrit est passé, comme le premier, à la bibliothèque de Troyes, où il porte le no 556. A l'intention de qui a-t-il été écrit et peint? Serait-il l'exemplaire destiné à Thibaut V, et la mort prématurée de ce prince aurait-elle été l'obstacle qui aurait empêché les moines de Clairvaux d'offrir à leur protecteur ce petit chef-d'œuvre

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